Décès de Tshala Muana : Une moninga (1) du Burkina s’en est allée
- Écrit par Webmaster Obs
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La grande chanteuse, actrice et productrice congolaise Tshala Muana s’est éteinte le samedi 10 décembre 2022 à Kinshasa (RDC). A l’état civil Elisabeth Tshala Muana Muidikayi, grande voix de la chanson congolaise et africaine, elle est née le 13 mai 1958 à Elisabethville (aujourd’hui Lubumbashi) au Congo belge, actuelle République démocratique du Congo (RDC). Cette grande artiste est célèbre pour avoir donné ses lettres de noblesse au folklore du peuple Luba, le Mutuashi. Surnommée la reine du Mutuashi, elle était aussi affectueusement appelée par les Congolais la « mamu nationale ». Au Burkina Faso, où elle a donné de nombreux concerts dans les années 80, elle est surtout connue pour son grand hit « Burkina Faso », chanté en mooré et dédié à la révolution d’août 1983.
Quand nous avons échangé un jour avec une collègue congolaise formée au Burkina et exerçant son métier de journaliste dans une télévision nationale, elle a avoué ignorer que Tshala Muana, fierté de la musique congolaise, a eu un passage au Burkina où elle était adulée du public. Elle était cette voix merveilleuse mais c’est surtout en tant que grande danseuse aux reins de roseau qu’elle épatait les Burkinabè. Lors de ses prestations, elle donnait du tournis aux spectateurs de la capitale qui en demandaient davantage. Toujours éblouissante avec sa forme svelte, la fente de sa robe jusqu’aux hanches, ses déhanchements endiablés, elle a aussi accepté de prêter sa voix pour faire l’éloge de la révolution sankariste.
Sa participation active aux manifestations célébrant l’an 3 de la révolution en 1986 avait marqué les esprits des mélomanes. C’est en 1985 que Thomas Sankara demande à Ram Ouédraogo, manager de la chanteuse « zaïroise », d’organiser à Ouaga et à Bobo, 2 mégaconcerts en l’honneur de la révolution. Le message est compris et Ram comme l’appellent affectueusement ses admirateurs a voulu apporter une cerise sur ce gâteau d’anniversaire. Lui qui avait rencontré sa muse en 1979 à Abidjan va travailler à son ascension, à lui donner une stature de star et aussi à l’immerger dans la culture burkinabè.
La native de la ville de Lubumbashi débarque à Ouaga avec une chanson qui devint l’emblème de la révolution à son apogée. Dans la chanson patriotique, pas un seul mot n’évoque le nom du chef de la révolution car lui ne voulait « pas de culte de la personnalité ». Mais chanter les louanges de larévolution n’est autre chose que jeter des fleurs à son leader charismatique. « Vive la révolution, vive tout le Burkina, longue vie au peuple », disait-elle en refrain. Cette chanson de propagande, elle l’a interprétée en langue mooré, la langue la plus parlée au Pays des hommes intègres, pour toucher la plus grande masse mais elle n’est pas l’auteur de la chanson. L’auteur n’était autre que Georges Ouédraogo, le Gandaogo national, qu’elle a connu par le truchement de Ram basé en Côte d’Ivoire. Une chanson en mooré par la voix dela reine du Mutuashi sonnait avec un accent particulier qui mettait en exergue la musicalité de la langue nationale. Tshala Muana à Ouaga était une star dans la constellation des grandes cantatrices de la chanson africaine invitées. Elles étaient nombreuses à répondre à l’appel de Sankara, qui voulait donner une dimension panafricaine à la commémoration et mettre au premier plan la femme dans son processus politique. Outre la Congolaise Tshala Muana, il y avait la Sud-Africaine Myriam Makeba, l’Ivoirienne Nayanka Bell, la Malienne Nahoua Doumbia, et bien d’autres célébrités. Un concert grandiose et historique avait été organisé le 4 août dans le stade éponyme avec l’inoubliable prestation des grandes dames.
Avant la chanson « Burkina Faso », la chanteuse congolaise avait, dans une belle interprétation en 1983, revisité « Baba Moussa », le super hit voltaïque des années 70 de Tidiane Coulibaly qui rendait hommage à un mythique officier de police bobolais. Une interprétation n’est jamais meilleure que l’original mais à ce mérite de donner une autre facture à l’œuvre.
Tchébélé, une des chansons de la chanteuse fait un clin d’œil à la petite ville burkinabè dans la province du Nahouri. La reine du Mutuashi est ainsi l’une des rares artistes étrangères à avoir chanté en dioula et en mooré, les principales langues nationales du Burkina Faso. A une époque où la révolution était l’objet d’admiration et inspirait les artistes et des intellectuels de l’Afrique et du monde entier, l’apport à la culture nationale de la grande cantatrice congolaise que nous pleurons aujourd’hui est substantiel. Tshala Muana, injustement oubliée des Burkinabè. Même si elle a reçu un Kundé d’honneur en 2011, elle mérite tous les honneurs de notre chère patrie.
Dieudonné Ouédraogo
(1) Amie en lingala