Conte de Noël : La petite école dans les sables
- Écrit par Webmaster Obs
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Tout a commencé par un vœu impossible adressé au Père Noël par une jeune fille.
«Je vais demander au Père Noël de rouvrir notre école ! », avait dit Rahma au moment où tous ses camarades voulaient autre chose. Ahmed qui élève tout ce qui marche, court ou vole a demandé un lévrier, un chien de race du désert. Loïc dit La flèche, est un athlète qui ne marche jamais, il court à tout instant ; il ne passe pas par les portes, il préfère sauter par-dessus les murs.
Lui, il veut une paire de chaussures de course et Charif qui a toujours un ballon sous le bras, veut le maillot de Messi, celui de l’équipe d’Argentine, championne du monde. Rahim n’a rien dit. Les autres enfants ont bien ri de l’idée de Rahma. « Quelle idée saugrenue de demander au père Noël de rouvrir nos classes », se dirent-ils.
Il faut dire que Rahma est une bien étrange fillette. Ses compagnons de classe l’ont surnommée « Perle parfumée » parce qu’elle porte un collier de perles autour du cou qui dégage un très bon parfum autour d’elle. Rahma porte ce collier odorant parce que son frère Rahim est aveugle et c’est grâce au parfum qu’elle laisse dans son sillage que celui-ci arrive à la suivre. « Ce parfum, c’est ma canne blanche d’aveugle », dit Rahim.
L’école du village a été fermée, il y a plusieurs années. C’était un lundi matin, au moment où les élèves débutaient le premier cours, que des hommes masqués ont surgi des dunes, juchés en binômes sur des motos pétaradantes et brandissant des fusils de guerre puis lâchant des rafales en l’air. Dans la panique, Rahma, Rahim et leurs amis se sont cachés sous les bancs. Après que les hommes sont partis, l’école a été fermée et les enseignants sont repartis en ville. Plus tard, l’infirmerie a fermé et les infirmiers ont rejoint la ville. Ensuite, ce fut le tour du commissariat de police, de la brigade de gendarmerie, tous les services de l’Etat ont baissé les volets et les fonctionnaires et leurs enfants ont quitté le village. Certains camarades de Rahma sont partis s’inscrire dans la ville la plus proche.
Au début de la fermeture des classes, Rahma et ses amis étaient bien contents de jouer tous les jours, du matin au soir, sans exercice à faire à la maison, sans leçon à mémoriser et à réciter à haute voix sur l’estrade et ni de devoir à faire. Mais bien vite, l’école a commencé à leur manquer. Ils voulaient retrouver le tableau noir, l’odeur de la craie, le chahut en classe en l’absence de la maîtresse et toutes ces merveilleuses choses qu’ils apprennent chaque jour. Un jour, ils sont allés à l’école, ont ouvert une persienne et ont regardé l’intérieur d’une classe. Le spectacle était désolant : les murs étaient pleins de lézards, les toiles d’araignée ont envahi le toit et l’odeur de pisse des chauves-souris était très forte. Ils sont repartis tout tristes de ce désolant spectacle.
Mais l’idée de Rahma qui avait fait rire le groupe a commencé doucement à s’imposer et ils ont oublié leurs cadeaux. Tous sentaient que l’école leur manquait. Mais c’est Rahim l’aveugle qui réussit à dire avec les mots les plus justes ce qu’ils ressentaient :
- Avez-vous remarqué comme moi que depuis que l’école est fermée, il y a moins de lumière dans le village comme si la nuit persistait même en plein jour ?
- Zut ! pour quelqu’un qui ne voit pas, tu as quand même senti que la lumière a faibli avec la fermeture de l’école, s’exclama Assana.
La veille de Noël, tous les enfants ont décidé de demander au père Noël de les faire reprendre les cours. Leurs parents ont bien essayé de leur expliquer que le Père Noël envoie des cadeaux dans sa hotte, il ne vient pas faire des travaux mais les enfants tenaient mordicus. Une lettre a été adressée au Père Noël et signée par tous les enfants. Elle a été remise à la mère de Rahma pour l’acheminement.
Et voici qu’arrive Noël par un matin venteux et froid. Le vent soulève le sable et jette les grains dans les yeux, les oreilles, le nez et dans les cheveux. Et le froid mordille tel un chaton les parties dénudées du corps surtout les mains et le visage. Comme il n’y a plus de chapelle au village, ceux qui assistaient à la messe se retrouvent dans la cour de la famille Loïc pour une petite prière en l’honneur de la naissance de l’enfant Jésus. Toute la bande des enfants est réunie là aussi : Rahma, Rahim, Assane, Charif, Muslim.
Il n’y a pas d’arbre de Noël mais il a été décidé que tous les voisins partagent le repas du réveillon. Rahma est assise avec ses amis dans un coin de la cour. Ils sont tous chaudement habillés avec des bonnets, des manteaux ou des pulls, certains avec une écharpe autour du cou. Le parfum de Rahma flotte dans l’air comme un cercle qui les contient.
Des lumières dans le ciel
Vers minuit, la prière des adultes est perturbée par une sorte de jeu de lumières au-dessus de leur tête. Dans le ciel, des feux clignotants et une ampoule gyrophare qui se déplacent lentement. Certains pensent à l’étoile qui a guidé les Rois mages vers l’enfant Jésus, d’autres songent à des soucoupes volantes. Les lumières se dirigent vers l’école et s’y posent.
L’école est à une demi-heure de marche de la cour des Loïc. D’un côté, elle est proche parce que l’on peut voir les lumières danser dans la cour telles de grosses lucioles mais d’un autre côté, elle est assez éloignée de sorte qu’on ne peut distinguer les contours des choses qui s’y passent. Tandis que les gens regardent perplexes le ballet des lumières dans la cour de l’école, c’est Rahma qui ramène tout le monde à la réalité en criant : « C’est le papa Noël qui est venu par le ciel sur son traineau tiré par les rennes pour rouvrir notre école. »
Les adultes ne croient pas à cette histoire, ils ont perdu avec l’âge la capacité de croire au merveilleux. Mais ils ne démentent pas. Un peu tard dans la nuit, toutes les lumières sont reparties ; elles se sont élevées au-dessus de l’école et ont disparu dans la nuit, replongeant l’école dans les ténèbres. Tous les adultes avaient oublié l’incident, ils bavardaient, riaient, évoquaient l’année à venir et priaient qu’elle amène la paix dans le village et dans le pays.
Rahma qui n’avait pas oublié le ballet des lumières étranges à l’école s’élança dans la nuit et les autres enfants la suivirent. Dans l’obscurité, ils ne la voyaient pas mais le parfum du collier libéré dans la nuit semble être le fil qui les reliait à la jeune fille. Ils la trouvèrent dans la classe qui était ouverte. Un des garçons s’adossa au mur et la salle fut inondée de lumière. Il avait touché sans le savoir l’interrupteur. Ils virent de nouveaux tables-bancs, des sacs avec toutes les fournitures, posés sur les tables et sur chaque cartable, le nom de l’élève.
Tout heureux, ils s’assirent et se mirent à chanter les anciennes chansons apprises à l’école. Et Rahma entonna la chanson de papa Noël qui fut reprise en chœur par Rahim, Rachid, Charif, Loïc et tous les autres. Avant que la chanson finisse, leur maîtresse entra dans la classe comme une apparition. Ils se levèrent d’un bond et lui dire : « Bonjour maîtresse ».
- Bonjour les enfants ! Joyeux Noël à vous. L’école reprend en 2023 pour nous, dit-elle dans un large sourire.
Rahma demanda à la maîtresse si c’est effectivement le père Noël qui l’avait ramenée, avait mis l’électricité dans les classes et avait aussi apporté des fournitures pour chaque élève ?
Elle sourit et lui dit :
- Tu sais, parfois, le Père Noël étant très pris, il sous-traite les livraisons à d’autres personnes. Dans ce cas-ci, c’est l’armée de l’air et le ministère de l’Education nationale qui se sont chargés de réaliser le vœu que vous avez adressé au vieil homme à la barbe blanche.
Les enfants n’ont pas compris l’explication de la maîtresse mais qu’importe, ils étaient contents que le Père Noël ait réalisé leur souhait de reprendre le chemin de l’école.
Rahma se tourna vers son frère jumeau et lui dit : « Demain, il y aura plus de lumière dans le village… »
Rahim leva le nez comme un chaton, huma l’air et se dirigea vers sa sœur, la Perle parfumée, pour l’embrasser. Les autres enfants firent de même et tous s’enlacèrent au centre de la classe. La maîtresse les entoura de ses bras grassouillets…
- A la rentrée, on reprendra les cours, leur dit-elle.
Saïdou Alcény Barry