Arts plastiques : Au fil du temps de Segson
- Écrit par Webmaster Obs
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L’artiste peintre Segson, de son vrai nom Séguéda Léopold, expose une dizaine de tableaux à l’Institut Goethe de Ouagadougou. Brodant autour du thème du pagne, l’artiste naïf déroule une série de tableaux où défilent ses sujets de prédilection : les scènes de genre sur la vie au village, le bouillonnement des rues dans la cité africaine et de nouveaux thèmes comme la guerre ou la femme.
Le titre de cette expo Au fil du Temps est bien choisi, car il rend compte de l’évolution de l’artiste en une décennie. En effet, tout familier de l’œuvre de Segson perçoit ici le glissement qui s’est opéré du travail premier, centré sur des scènes de genre, vers des tableaux où le personnage tend à disparaître, laissant place à des motifs qui se répètent, ce qui incline son travail vers l’abstraction. Comme dans Regard de femme…Sans toi où l’esquisse d’un visage féminin se fond dans les motifs d’un pagne.
En 2014, Segson était le seul artiste burkinabè à exposer dans la sélection officielle de la biennale d’art contemporain de Dakar et en dehors de lui, il n’est pas sûr qu’un autre artiste du Pays des hommes intègres ait eu cet honneur. En ces temps déjà, il avait un coup de pinceau qui le distinguait des autres peintres naïfs de la scène artistique ouagalaise. Il tranchait par l’originalité de son regard sur les hommes et la nature qui consistait à se tenir à une bonne distance critique pleine d’ironie.
Deux décennies plus tard, son trait s’est affiné, sans doute en raison de son travail sur les petites surfaces comme les assiettes. Ce qui oblige à miniaturiser les formes et les détails. Son travail a gagné en minutie et en précision. Par ailleurs sa vision, tout en restant très optimiste, voire enjouée, sur le monde tend vers une forme de panthéisme qui célèbre la nature à travers ses baobabs noueux et zoomorphes et, surtout en affublant les hommes et les femmes, mais particulièrement les hommes, d’un visage simiesque. Dans Conversations bienheureuses par exemple, le personnage central avec le bonnet, semble tout droit débarqué de La Planète des Singes.
On a connu l’artiste moraliste et humoriste qui épinglait les travers de la société dans un style gouailleur. Mais dans cette expo, il lui arrive de congédier la caricature pour aborder des sujets plus graves comme la guerre avec l’Enfance des Larmes. Au centre du tableau, un enfant-soldat tient une arme de guerre, au milieu de deux adultes qu’il écrase littéralement parce qu’il est en surplomb. Il pleut des fleurs sur toute la toile, sans doute une métaphore d’une jeunesse qui tombe avant la maturité. La guerre civile étant vue comme la bourrasque qui décoiffe les frondaisons des arbres et en arrache les fleurs, ces jeunes en fleurs qui sont la promesse des fruits de l’avenir.
Dans La dépravation, le peintre reste dans le figuratif mais opte pour une représentation du corps plus réaliste : la carnation de la peau dépigmentée est bien rendue par le marron mordoré. Ce qui constitue une rupture avec sa palette habituelle du peintre et on pense plutôt à Augustin Kassy et à ses awoulabas, ces femmes fortes qui remplissent ses toiles…
Dans ce travail, demeure néanmoins l’exubérance des couleurs et la pétulance de la vie. Segson reste irrémédiablement le chroniqueur des journées solaires et des moments heureux. Cette expo mise en espace par François d’Assise Ouédraogo et Marie Laurentine Bayala court du 27 janvier au 3 mars 2023.
Saïdou Alcény Barry