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Réinhumation restes Thomas Sankara et Cie : Fin de 8 années d’errance dans la nature

 

Depuis hier 23 février 2023, les restes des treize suppliciés du 15 octobre 87 reposent au mémorial Thomas-Sankara, ex-Conseil de l’entente,  l’endroit où ils avaient été fauchés par la mort 36 ans plus tôt. La cérémonie d’inhumation qui, pour l’essentiel, s’est déroulée loin des caméras et autres objectifs de prise de vues, a connu des témoins privilégiés au rang desquels des représentants des familles des victimes. Avec cet acte, dira Joseph Saba, qui s’est exprimé au nom de toutes les familles, les âmes de leurs parents vont cesser d’errer dans la nature et leur deuil peut maintenant commencer.

 

 

Derrière la statue gigantesque de Thomas Sankara et des douze bustes de ses compagnons d’infortune sont dressées des tentes blanches avec des chaises de la même couleur. Au fronton de ces trois bâches il est écrit « Famille Bationo », « Famille Bamouni », « Famille Kompaoré », « Famille Kiemdé », « Famille Gouem », « Famille Ouédraogo », « Famille Saba », « Famille Savadogo », « Famille Sawadogo », « Famille Somda », « Famille Sankara », « Famille Soré », « Famille Zagré », comme pour orienter les membres de ces familles respectives vers l’espace qui leur est réservé. Ces chapiteaux sont suivis de trois autres, placés bout à bout, destinés à recevoir les autres invités triés sur le volet. Tous doivent faire face aux cercueils et photos des treize personnes tuées en ces lieux il y a 36 années. Les bières, enrobées des couleurs du drapeau national, sont six de chaque côté mais celle du milieu, un peu plus en avant, fait l’attraction : c’est celle qui contient les restes du leader de la révolution d’août 83. Certains font des pieds et des mains pour poser avec ce cercueil, le poing levé comme le faisait Thomas Sankara. Apparaît dans la foulée Seydou Zagré, ancien directeur de cabinet de l’ex-président Roch Marc Christian qui, comme dans une revue de troupe, se positionne devant le cercueil de Sibiri Patrice Zagré. Ce dernier fut maître-assistant en philosophie, haut-commissaire de la province du Bazéga et directeur des Etudes de l’académie militaire Georges-Namoano. Tout de blanc vêtu, M. Zagré se recueille un moment, fait des photos à divers angles de vue avant de se diriger vers les pavillons. C’est pratiquement le même scénario avec les autres représentants des familles des victimes qui se glissent dans l’espace ; la plupart sont vêtus de blanc comme si c’était un dress code.

 

Dans cette ambiance arrivent au fur et à mesure des compagnons de Thomas, des sympathisants, des autorités militaires et paramilitaires, des présidents d’institutions, des membres du gouvernement et de l’Assemblée législative de transition, des chefs de missions diplomatiques et consulaires, pour ne citer que ces corps constitués. Ceux qui auront fait remarquer leur arrivée, sans peut-être le vouloir, c’est la dizaine d’hommes vêtus de tenues traditionnelles. Un habillement bien en exergue et des cliquetis qui vous oblige à leur accorder ne serait-ce que cinq secondes d’attention. Ils sont installés à côté du public de choix et sont rejoint par la suite par les religieux (catholiques, protestants et musulmans). Arrive en dernière position le Premier ministre, Me Apollinaire Kyélem de Tambèla, qui s’incline devant les illustres disparus avant de prendre place. Le retrait des hommes de médias est aussitôt demandé avant le début de la cérémonie proprement dite.  

 

 

 

« Taire toutes les polémiques »

 

 

 

Les gratte-papier en sont réduits à noter la suite des événements hors de l’espace sous une tente qui leur est dédiée depuis la veille. La sonorisation aidant, le premier à s’exprimer est le porte-parole du chef de terre de Mankougoudougou qui, après avoir traduit ses respects à toutes les autorités, toutes tendances et toutes ethnies confondues, salue un grand jour pour la Nation burkinabè. « Le chef de terre m’a mandaté de présenter ses condoléances à toutes les familles des personnes qui ont perdu la vie sur ce site. Il compatit à leur douleur et leur demande, à compter de ce jour, de taire toutes les polémiques et les divergences relatives à ces morts. Pour ce qui s’est passé le 15 octobre 87, que ce soit le fait de personnes résidant au pays ou à l’étranger, le chef de terre demande aux familles des victimes de se départir des rancœurs séance tenante et de tout confier à Dieu », dit le porte-parole. Il ajoute que les corps avaient été ensevelis au cimetière de Dagnoën avant d’être exhumés pour des besoins d’enquête (ndlr : le 25 mai 2015). Chose qui n’avait pas été faite dans les règles de l’art comme l’auraient voulu les mânes des ancêtres. Mais cahin-caha, ces déterrements ont été faits et le nécessaire sera de nouveau fait en ce jour au nom de la tradition. Une tradition qui, à son avis, est de plus en plus délaissée au profit d’autres pratiques cultuelles importées d’où son appel à un retour aux sources. Il en vient à se poser la question de savoir si les exhumations des personnes assassinées ne sont pas pour quelque chose dans la difficile situation de notre pays depuis ces dernières années. Mais quoi qu’il en soit, il souhaite qu’avec l’office qui se fera au nom des ancêtres, les disparus reposent définitivement en paix, que les cœurs de leurs familles respectives soient apaisés et que le pays, défendu bec et ongles, par tous ces devanciers, recouvre sa quiétude d’antan. Le rite du jour, dit-il, n’exclut pas qu’une autre ethnie fasse encore ce qu’elle doit faire pour le repos des défunts. Et avant de descendre du pupitre, cette mise en garde si ce n’est une imprécation du porte-parole du chef de terre de Mankougoudougou: « A la faveur des exhumations pour des enquêtes à l’étranger, que quiconque détiendrait un des restes des 13 suppliciés qu’il voudrait utiliser à des fins de destruction contre les familles des victimes ou contre le Burkina Faso sache que nous le laissons avec le ‘’tin pelèm’’ ou la terre des ancêtres, nos devanciers ainsi que nos aïeux ».

 

 

 

« Si les morts reposent en paix, nous avons la chance de vivre dans la paix »

 

 

 

« La journée est historique et les moments sont intenses et solennels », affirme pour sa part l’aumônier catholique, qui demande aux personnes présentes d’unir leur voix pour le repos des morts. « Si les morts reposent en paix, nous avons la chance de vivre dans la paix », ajoute-t-il avant de citer des passages à méditer. Ce sont plus précisément ceux qui relatent les derniers instants du Christ avant qu’il ne soit crucifié. Il parle d’un homme qui a reçu tout ce que son semblable peut faire de méchant mais qui a eu l’humilité et l’amour de demander à Dieu de pardonner à ses bourreaux, car ils ne savent pas ce qu’ils font. « Ces chefs religieux et ce peuple ont cherché à tuer l’homme mais, Dieu merci, ils n’ont pas pu tuer la vision ni éteindre l’ambition qui étaient les siennes. Aujourd’hui, nous sommes réunis pour porter, une dernière fois, en terre le président Thomas Sankara et ses douze compagnons. Notre prière est que ce jour soit marqué d’une pierre blanche par Dieu, que ce soit un jour où l’espérance va renaître, où la paix va commencer à revenir au Burkina Faso, de même que la prospérité et la réconciliation. Ces treize personnes portaient une vision, ils les ont tuées mais n’ont pas tué leur vision. Ils n’ont pas non plus éteint leur ambition ; ce que Dieu demande aux Burkinabè, c’est de se pardonner et de se réconcilier. Soyez bénis, à l’écoute de la parole de Dieu, au nom de Jésus-Christ, Amen », indique l’aumônier avant que la chorale, installée plus tôt, n’entonne des louanges. Une voix féminine, elle, exhorte l’assistance à se tenir débout pour faire monter vers Dieu une supplication en faveur des disparus et prier, par la même occasion, pour le pays éprouvé depuis un bon moment avant de bénir, pour finir, les cercueils.

 

 

 

« Repose maintenant en paix, mon capitaine »

 

 

 

Pour l’aumônier militaire musulman, ceux qui sont tombés sur le champ d’honneur ne sont pas morts, ils sont bien vivants auprès de leur Seigneur qui les nourrit.

 

« Camarade président, nous ne t’oublierons jamais, va et repose maintenant en paix, mon capitaine. Merci pour ce que tu as été pour nous et fait pour nous », déclare-t-il. Le riche parcours de Thomas Sankara va continuer d’éclairer les soldats, poursuit-il. « Seigneur de l’univers, créateur des cieux et de la terre, nous t’implorons par tes noms les plus exaltés que tu t’es nommé, que tu as révélé dans ton saint livre, révélé à certaines de tes créatures visibles et invisibles ici-bas et dans l’au-delàs, par tes noms placés dans ton palais royal qu’aucune imagination humaine ne peut atteindre, de faire en sorte que le sacrifice de Thomas Sankara ne soit pas vain, qu’une telle tragédie ne se reproduise plus au Burkina Faso, que l’idéal de bonheur et de prospérité que Thomas Sankara voulait pour sa patrie soit un facteur d’unité et de cohésion sociale pour tous les fils du pays face à l’insécurité que nous vivons ; que notre pays soit en paix, en sécurité, jouisse d’une tranquillité et d’une abondance en vertu de ta miséricorde », conclut-il. Les mahométans, en état d’ablution, sont conviés à former trois rangs pour la prière aux morts.

 

Passé cet épisode, c’est la sonnerie aux morts qui retentit, suivie du cérémonial d’inhumation qui débute par les restes de feu Patrice Sibiri Zagré et prend fin avec ceux du capitaine Thomas Sankara. Chaque cercueil est accompagné par 10 représentants de la famille concernée.

 

 

 

Aboubacar Dermé

 

 

 

Encadré 1 :

 

En attendant le 15 octobre 2023

 

 

 

Invité à prononcer un mot de remerciement au nom de toutes les familles des victimes, Joseph Saba a exprimé leur gratitude à Sa Majesté le Moogho Naaba et à ses coutumiers pour le travail abattu ; au juge d’instruction qui a instruit le dossier et, partant, à toute la justice militaire, sans oublier les avocats. Les plus hautes autorités du pays et tous ceux qui ont rendu possible cette journée ont aussi été salués parce qu’à l’époque personne ne pouvait imaginer qu’il y aurait justice pour les personnes tuées. Il tire en cette cérémonie une satisfaction morale, celle de savoir que les âmes de leurs parents qui erraient depuis huit ans vont maintenant se reposer en paix dans des sépultures dignes de ce nom. Les familles vont également pouvoir faire le deuil de leur martyr en attendant la cérémonie d’hommage avec des témoignages, le 15 octobre prochain.

 

A.D.         

 

 

 

Encadré 2 :

 

Codes des tombes, identités et fonctions des 13 victimes

 

TS. Cne Sankara Thomas Isidore Noël : Président du Conseil national de la révolution, président du Faso

 

     D1. Bamouni Paulin Babou : Journaliste et écrivain, directeur de la presse présidentielle

 

G1.  Sergent Bationo Emmanuel : Collaborateur du secrétaire permanent du CNR

 

D2.  Kompaoré Bonaventure : Conseiller des affaires sociales, conseiller à la présidence du Faso

 

G2.  Gouem Abdoulaye : Conducteur civil du président du Faso

 

D3.  Kiemdé Gannoaga Frédéric : Juriste, conseiller juridique du ministre de la Justice

 

G3. Soldat de 1re classe Ouédraogo Wallilaye : Membre de la sécurité présidentielle

 

D4. Adjudant Saba Christophe : Président de la commission de contrôle et de vérification du CNR, secrétaire permanent du CNR

 

G4. Sergent-chef Savadogo Hamado : Membre de la sécurité présidentielle

 

D5. Soldat de 1re classe Sawadogo Noufou : Membre de la sécurité présidentielle

 

G5. Caporal Somda Der Jean André : Conducteur du président du Faso, membre de la sécurité présidentielle

 

D6. MDL Soré Paténéma : Collaborateur du secrétaire permanent du CNR

G6. Zagré Sibiri Patrice : Maître-assistant de philosophie, haut-commissaire de la province du Bazéga, directeur des études de l’Académie militaire Georges Namoano 

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