Assassinat de Norbert Zongo : Un quart de siècle avec de multiples défis
- Écrit par Webmaster Obs
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Un quart de siècle. Mine de rien cela fait 25 ans que Norbert Zongo a été assassiné. Le directeur de publication de l’Indépendant a trouvé la mort en rade de Sapouy avec trois de ses compagnons d’infortune le 13 décembre 1998.
Son corps, ou plutôt ce qui en restait, a été retrouvé à l’intérieur de son véhicule carbonisé. Un doigt accusateur était pointé sur le régime de Blaise Compaoré pour une raison bien simple : à l’époque des faits celui qui était le poil à gratter du régime menait une enquête sur David Ouédraogo, le chauffeur du frère cadet du président d’alors, mort dans des circonstances troubles dans les mains du Régiment de sécurité présidentielle pour une histoire présumée de vol d’argent.
C’était le début de l’affaire Norbert Zongo qui fera plus que vaciller le régime Compaoré. Naitra d’ailleurs officiellement le Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques (CODMPP) dont l’objectif premier est de faire la lumière sur le drame de Sapouy.
Face à l’onde de choc créée par cet évènement, le pouvoir fut obligé de consentir la mise en place d’une Commission d’enquête indépendante qui, cinq mois plus tard, déposera son rapport dans lequel figuraient les noms de six suspects sérieux, tous de la garde prétorienne. C’est le début d’une longue quête de justice qui, 25 ans après, n’a pas encore abouti. Que de rebondissements en effet dans cet interminable feuilleton politico-judiciaire avec les épisodes suivants :
- l’inculpation en 2001 de Marcel Kafando par le juge d'instruction Wenceslas Ilboudo pour "assassinat" et "incendie volontaire" ;
- suivie en 2006 d'un non-lieu pour cause de rétractation de l’unique témoin à charge, Jean Racine Yaméogo l’ex-officier de l’armée de l’air.
- en décembre 2014, réouverture du dossier par « le fait de prince » en même temps que le dossier Thomas Sankara par Michel Kafando, président de la Transition d’alors, suite à l’insurrection populaire qui a emporté l’enfant terrible de Ziniaré ;
- arrestation de François Compaoré à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle le 29 octobre 2017, conformément au mandat d’arrêt international suivie de la demande d’extradition formulée par le Burkina Faso. Cette arrestation a marqué le début d’une bataille judiciaire dans l’Hexagone.
Le décret d’extradition a été signé par l’ancien Premier ministre français Philippe Edouard et entériné par le Conseil d’Etat après le recours en annulation introduit par les avocats de la défense. De guerre lasse, François Compaoré s’est déporté à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui en septembre 2023 a rendu son arrêt. La CEDH a notamment décidé que l’accusé n’est pas extradable au motif que cela entraînerait des conséquences d’une gravité exceptionnelle sur sa sécurité et son intégrité physique et violerait notamment l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme en vertu duquel « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Il faut dire que les assurances données par l’Etat burkinabè sous Roch Marc Christian Kaboré se sont effondrées avec les deux coups d’Etat du colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba et du capitaine Ibrahim Traoré, même si pour ceux qui réclament justice pour Norbert Zongo, ces arguments ne sont pas suffisants pour empêcher l’extradition de l’accusé. Et de ce fait, après le verdict de la CEDH, le gouvernement burkinabè avait laissé entendre que même sans François, le jugement aurait lieu. Un juge d’instruction du cabinet n°4 a même été commis à l’affaire et le jugement pourrait avoir lieu courant 2024.
Ce 25e anniversaire de l’autodafé de Sapouy intervient à un moment où de l’avis de nombreux acteurs de la scène sociopolitique nationale, de nombreux nuages sont en train de s’amonceler au-dessus de la liberté de presse et d’expression pour laquelle Norbert Zongo alias Henri Sebgo a enduré le sacrifice suprême.
Au nom de la lutte contre le terrorisme, de nombreuses décisions, lois, comportements et propos jugés liberticides par certains ont été pris. Réduisant ainsi les espaces de liberté comme peau de chagrin. Une préoccupation de l’heure qui sera au cœur du panel, l’activité phare de cette commémoration sous le thème « Pour le sacrifice suprême consenti pour les libertés, la défense des droits humains et la bonne gouvernance, poursuivons la lutte pour la vérité et la justice pour Norbert Zongo et ses compagnons ».
Abdou Karim Sawadogo