France: A quand un tirailleur sénégalais au Panthéon?
- Écrit par Webmaster Obs
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Depuis hier, Missak Manouchian, son épouse Mélinée et 23 autres résistants, la plupart étrangers, de la Seconde Guerre mondiale reposent au Panthéon, ce temple laïc de la République situé au Quartier latin de Paris. Pour les époux Manouchian, il s’agit de leurs dépouilles et pour leurs camarades d’une plaque portant leurs noms. Tous reposent ainsi désormais aux côtés d’illustres personnalités de différents horizons et de différentes époques telles Jean Jaurès, André Malraux, Alexandre Dumas, Victor Hugo, Voltaire, Emile Zola, Jean-Jacques Rousseau, Marie et Pierre Curie, Simone et Antoine Veil. Autant de personnalités que la patrie reconnaissante a inhumées en ces lieux.
Missak Manouchian, un nom qui ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais c’est l’histoire d’une vie aussi courte que tragique. Après avoir fui le génocide arménien, il arrive en France en 1924 à l’âge de 18 ans et enchaîne les petits boulots, principalement dans la menuiserie. Militant communiste, poète proche des milieux artistiques et intellectuels arméniens à la veille de la Seconde Guerre mondiale, il entre en résistance armée lors de l’occupation allemande de la France. Arrêté le 16 novembre 1943, il est condamné à mort après un procès expéditif et est fusillé le 21 février 1944 au Mont-Valérien avec une vingtaine d’autres personnes membres de son groupe. Ironie du sort, il est mort pour cette France qu’il aimait tant mais qui lui a refusé la nationalité par deux fois pour diverses raisons. Quelque part, ce n’est que justice pour Manouchian l’apatride et ses nombreux autres héros inconnus, voire oubliés.
Au-delà de lui d’ailleurs, cette cérémonie présidée par Emmanuel Macron se voulait un hommage à tous les résistants étrangers qui ont combattu l’occupant.
On ne peut que s’en réjouir, même si on ne peut s’empêcher de se demander : après Manouchian, quand verra-t-on les restes d’un Dieng, d’un Traoré, d’un Zerbo, d’un Diallo ou d’un Ouédraogo dans cette crypte?
Certes, quelques Noirs y sont, à l’image du gouverneur colonial Félix Eboué, né à Cayenne et descendant d’esclaves guyanais ou encore de Joséphine Baker, chanteuse et danseuse d’origine américaine, mais d’Africains point.
Dieu seul sait pourtant les énormes sacrifices consentis par les tirailleurs sénégalais pendant la Seconde Guerre mondiale et les nombreux hauts faits d’armes dont ils ont été auteurs. Hélas le conflit mondial terminé, ils ont été relégués aux oubliettes et même payés en monnaie de singe avec la cristallisation de leurs pensions de retraite pour lesquelles il aura fallu des décennies et des décennies de lutte pour que justice soit faite.
Aujourd’hui, ce problème est en partie résolu, notamment en ce qui concerne l’obligation pour eux de résider six mois dans l’année en France afin de pouvoir toucher leur minimum vieillesse, mais une reconnaissance nationale au Panthéon ne serait pas de trop. Surtout, ne l’oublions pas, que l’entrée dans le saint des saints de cet immigré arménien arrive au moment où les débats sur l’immigration sont toujours aussi passionnés et où les partis d’extrême droite comme le Rassemblement national n’ont jamais été aussi forts. Lors du dernier scrutin municipal, le parti de Marine Le Pen a réalisé une percée historique avec ses 89 députés. Ce qui en fait le premier parti d’opposition de l’Hexagone. C’est dire qu’une telle cérémonie avec des cercueils d’Africains dont on rêve aura une symbolique très forte pour cette France «Black-blanc-beur» qu’on célèbre un jour de finale de coupe du monde, même si c’est pour l’oublier aussitôt, une fois l’euphorie sportive retombée.
Hugues Richard Sama