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« Personne n’est à l’abri d’une fausse information »: (Adnan Sidibé, meilleur fact-checker africain de l’année)

Journaliste à Fasocheck, Adnan Sidibé a remporté, le 10 octobre 2024, à Accra, le prix du meilleur fact-checker professionnel du continent africain. C’était lors de l’«Africa Fact Summit», un évènement qui récompense chaque année les meilleures productions dans le domaine de la vérification de l’information. Titulaire d’une licence en sciences de l’information et de la communication en 2020, il a rejoint une année plus tard l’équipe de Fasocheck, qui traque la désinformation et les discours de haine. Dans cette interview, le lauréat du prestigieux prix revient sur son travail et donne quelques conseils pour éviter de tomber dans le panneau des fabricants de fausses nouvelles.

 

 

Comment se fait le choix des sujets que vous traitez à Fasocheck ?

 

 

Nous procédons d’abord par une veille médiatique à la fois dans les médias traditionnels, mais aussi dans les médias en ligne et sur les réseaux sociaux. Pour ces derniers, il faudrait prendre en compte les messageries privées comme WhatsApp et Telegram où des fausses informations circulent à une grande vitesse par le partage dans de multiples groupes d’échanges.

Puis, vient le choix du sujet qui se fait sur la base de critères précis. Il faut déjà qu’une affirmation ou une déclaration soit faite, donc vérifiable, qu’elle soit exposée sur l’espace public et enfin nous jugeons de l’intérêt général et de la pertinence que revêt le sujet.

 

 

De quels outils ou ressources disposez-vous pour vérifier l’exactitude d’une info ?

 

C’est principalement la recherche en ligne avancée. Avec cette méthode, on trouve des données, des mails de personnes ressources que nous contactons, en leur expliquant l’utilité publique de notre travail.

Nous disposons dans notre tâche d’une précieuse ressource qui est l’OSINT (Open Source Intelligence), ou si vous voulez, le Renseignement de source ouverte. Les données ouvertes sont accessibles à tous. Il suffit juste de savoir comment chercher.

Il nous arrive également d’effectuer des lectures minutieuses de rapports de plusieurs pages, voire de centaines pour être à mesure de comprendre la thématique et poser des questions précises.

 

 

En trois ans d’expérience, quel est votre article de vérification qui vous a le plus marqué ?

 

C’est celui qui portait sur des statistiques du cheptel burkinabè qui mourrait chaque année à la suite de l’ingestion des sachets plastiques. Roger Baro, qui était à l’époque le directeur de la prévention des pollutions et des risques environnementaux du ministère de l’Environnement, avait déclaré qu’ « au Burkina 30% du cheptel meurt à la suite de l’ingestion des sachets plastiques occasionnant une perte de 405 milliards FCFA/an » Nous avons vérifié si les sachets plastiques causent vraiment la mort de 30 % du cheptel burkinabè.

C’était mon premier article de fact-checking poussé et j’y ai passé près de deux mois. Lors des séances d’édition de l’article, je voyais des jours de travail démonter, car il y avait des failles dans mes procédés de recherches et mes résultats. J’ai souvent pensé à abandonner. Mais dès que l’article a été publié, j’ai eu plus confiance en moi et je pense que je m’en sors mieux désormais dans mes articles de fact-checking.

 

 

Finalement quelles étaient les conclusions de vos recherches ?

 

L’article a permis d’éclairer et déconstruire un discours qui circulait depuis 2014 au plus haut niveau politique. La déclaration de Roger Baro que nous avons vérifiée vient d’une manipulation de données vieilles de 22 ans, employées dans le cadre d’un plaidoyer qui a abouti à l’adoption d’une loi contre les sachets non biodégradables plastiques.

Ces données ont été de nouveau travesties en 2022 dans le but de réviser la loi qui a été votée en 2014.

Même si cette loi contribue à limiter l’importation des sachets plastiques non biodégradables et que les sachets plastiques constituent un danger pour le cheptel et l’environnement, elle est quand même le fruit du faux.

 

 

Vous venez de recevoir le prix du meilleur fact-checker professionnel sur le continent. L’article primé portait sur la vérification d’une affirmation de l’agence onusienne pour l’environnement, qui soutenait que « 80 % des personnes touchées par les effets du changement climatique sont des femmes ». Qu’est-ce qui a prévalu à cette distinction ?

 

Sans avoir été dans le jury de sélection, je pourrais affirmer que c’est le degré de confiance que l’on pourrait avoir à l’endroit d’une telle l’institution. On ne pouvait pas imaginer qu’une telle affirmation soit erronée. C’est aussi surtout que l’agence a reconnu l’absence de sources fiables de la déclaration et s’est engagée à retirer ce chiffre de ses publications en ligne.

 

 

Si une organisation en principe sérieuse comme l’agence des Nations unies pour l’environnement peut se tromper, peut-on donc dire que tout le monde peut être auteur de fausses informations ?

 

On peut le dire, car personne n’est à l’abri d’une fausse information en allant de l’agence des Nations unies pour l’environnement au PNUD, présenté comme la source. L’essentiel ici n’est pas de savoir qui peut se tromper, mais plutôt de mettre en place des mécanismes pour détecter et corriger ces erreurs rapidement. La transparence et la responsabilité, comme celles dont le PNUD a fait preuve, sont des exemples à suivre. Elles renforcent l'importance du fact-checking, qui ne consiste pas seulement à débusquer des erreurs, mais à assainir le débat public et à promouvoir une information fiable de qualité.

 

 

Comment se passe votre travail dans le contexte national actuel où la propagande et la désinformation font rage ?

 

La conséquence de tout cela est que Fasocheck est fortement sollicité, rendant impossible la vérification de toutes les informations. Nous nous concentrons donc sur les sujets susceptibles de porter atteinte à la cohésion sociale et au vivre-ensemble.

 

 

Y a-t-il des informations officielles ou pas que vous vous interdisez de checker ?

 

En réalité, il n’y a pas de fact-checking que l’on s’interdit de traiter, mais nous faisons le choix sur plusieurs aspects dont la viralité et le potentiel de nuisance de l’information à vérifier. L’objectif est d’éviter de donner de l’audience à une fausse information qui, pour l’instant, n’a pas encore d’impact notable sur la société.

 

 

Quelles ficelles pour repérer les fausse nouvelles ?

 

Il faut adopter le doute méthodique sur tout ce qu’on reçoit et prêter une attention particulière à la source citée à la suite de chaque affirmation, car personne ne détient la vérité absolue. Utilisez également des outils comme « search by image » pour vérifier l’authenticité des images. Consultez également les canaux officiels des organisations et des Etats concernés, ainsi que les médias reconnus. Soyez vigilants sur les réseaux sociaux où de faux médias peuvent se présenter comme fiables.

 

Interview réalisée par Hugues Richard Sama 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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