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Obsèques Idrissa Ouédraogo : Dernière scène au cimetière de Gounghin

Décédé dimanche dernier à l’âge de 64 ans des suites de maladie, le cinéaste burkinabè Idrissa Ouédraogo repose désormais au cimetière municipal de Gounghin à Ouagadougou. Le mardi 20 février 2018, une foule nombreuse, étreinte par une vive émotion, a rendu un hommage mérité à l’Etalon d’Or de Yennenga, qui laisse à la postérité une œuvre cinématographique gigantesque.

 

On eût cru que tout Ouagadougou s’était vidée de son monde pour accompagner Idrissa Ouédraogo dans son dernier voyage au cimetière municipal de Gounghin, tant une foule nombreuse, l’après-midi d’hier mardi, a pris d’assaut la nécropole pour faire ses adieux à un des dignes ambassadeurs de la culture burkinabè. Ils étaient là depuis longtemps déjà, parents, amis et connaissances, attendant le cortège funèbre en provenance de la maison mortuaire après la levée du corps, comme prévu, autour de 15 heures. Dans le public, des visages bien connus. Des artistes, des personnalités du monde politique, administratif… Parmi celles-ci, le haut représentant du chef de l’Etat, le ministre de la Communication, celui de la Culture, des Arts et du Tourisme. A noter aussi la présence aux obsèques de délégations venues du Mali, du Niger, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de la France… pour ne citer que ces pays.

 

A l’immortel l’Etat reconnaissant

 

C’est vers 16 heures que le véhicule des pompes funèbres transportant la dépouille mortelle de l’illustre disparu fit son entrée dans l’enceinte du cimetière municipal, ce qui eut pour effet d’alerter tous ceux qui patientaient. Ils formèrent alors aussitôt un bloc autour de la garde nationale pour une cérémonie d’hommage sobre mais très intense en symbolique. Décoration à titre posthume du disparu, interventions du représentant de la Fédération des cinéastes africains, Emmanuel Sanon, et de la fille cadette du regretté, Nora Ouédraogo, au nom de la famille, ont été les temps forts de ce cérémonial. La fille de celui qui s’en est allé a livré un message particulièrement émouvant sur son père, le grand frère et l’ami de certains. On en retient surtout que l’homme de culture était « un exemple parfait d’humilité, de sensibilité et de générosité » qui a toujours eu beaucoup de compassion pour ses enfants et autour de lui. C’est quelqu’un, dira-t-elle, qui leur a appris à donner, à avoir le sens de la fraternité et de la solidarité. Pour Nora, l’immortel qu’est son père est en train de faire rire et danser les anges ! Longue ovation…   

C’est seulement après l’oraison aux morts que le cercueil fut porté à quelques mètres de là pour la mise en terre. Mais pas si vite ! Avant cela, on a eu droit à l’intervention d’un représentant du ministère de la Culture, en la personne du délégué général du FESPACO, Ardiouma Soma, l’intermède de la parenté à plaisanterie…, le tout immortalisé par les caméras et photographes chasseurs d’images. De proches parents passeront tour à tour pour les premières pelletées et c’était ainsi fini, les obsèques officielles de l’immense Idrissa Ouédraogo, qui repose pour toujours au carré des artistes au cimetière municipal de Gounghin. 

Avant que l’illustre disparu soit accompagné à sa dernière demeure, une lecture du Coran et la projection de quelques-uns de ses films ont été organisées dimanche passé à son domicile, suivies d’une veillée d’hommage le lendemain au CENASA. Idrissa s’en est allé mais ses proches, amis et connaissances d’ici et d’ailleurs, dans la mémoire desquels son souvenir restera vivace, promettent de ne jamais l’oublier. Salut, l’artiste !

 

D. Evariste Ouédraogo

 

Encadré

Biographie expresse

 

Idrissa Ouédraogo est né le 21 janvier 1954 à Banfora dans la province de la Comoé au Burkina Faso. Il est titulaire d’un diplôme d’études générales (DEUG) de l’Institut africain d’études cinématographiques de Ouagadougou (INAFEC). Après un passage à Kiev en URSS pour des études de cinéma, il rejoint l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) à la Sorbonne, aujourd’hui Fondation européenne des métiers de l’image et du son (FEMIS). Idrissa Ouédraogo dont le nom figure dans le dictionnaire a, entre autres, été l’un des rares cinéastes africains à mettre en scène « La tragédie du roi Christophe » d’Aimé Césaire, pour la Comédie française.

 

Encadré

Filmographie

 

Fonctionnaire à la direction de la cinématographie nationale (DCN), Idrissa Ouédraogo a réalisé plusieurs films éducatifs avant son premier court-métrage « Poko », grand prix du FESPACO en 1981. Il a également signé de nombreux films documentaires. Il s’agit essentiellement de « Les écuelles » (1983), « Les funérailles du Larlé Naaba » (1984), « Ouagadougou, Ouaga deux roues » (1985), « Issa le tisserand » (1985).

L’artiste a aussi à son actif une fournée de longs-métrages à succès. Ce sont, entre autres, « Le Choix » (1986), « Yaaba » (1988), prix de la Critique au Festival de Cannes en 1989 et un autre prix dans un festival au Japon, « Tilaï » (1990), grand prix du Jury au Festival de Cannes la même année et Etalon d’Or de Yennenga au FESPACO 1991, « Samba Traoré » (1992), Tanit d’argent aux Journées cinématographique de Carthage (JCC) en Tunisie en 1992 et Ours d’argent à Berlin, « Le cri du cœur » (1994), « Kini et Adams » (1997), « La colère des dieux » (2003).

Courant novembre 2016, le cinéaste a partagé son expérience avec ses pairs et la jeune génération à Tunis, lors du cinquantenaire des JCC. A cette occasion, il a été décoré par le président tunisien himself.

Ayant fondé sa société de production dénommée « Les films de l’avenir », l’homme aux immenses talents artistiques, outre ses propres œuvres, a produit de nombreuses fictions parmi lesquelles « Guimba, un tyran une époque » du Malien Cheick Oumar Sissoko, ou encore « Sous la clarté de la lune » de sa compatriote Apolline Traoré.

 

Encadré

 

Obsèques Idrissa Ouédraogo

Ils ont dit

 

Proches, amis ou simples collaborateurs, ils ont côtoyé le disparu. Dans les lignes qui suivent, ils se prononcent sur ce qu’a été l’homme pour ses congénères. Des mots bienveillants qui témoignent de ses qualités humaines. Pour sûr, le regretté, parti à un moment où on avait encore besoin de son expérience professionnelle, va manquer à beaucoup de gens.  

 

 

Saturnin Milla (comédien) :

«Un maestro »

 

Idrissa était un artiste, au sens plein du terme. L’esprit artistique était en permanence là quand il faisait ses réalisations. C’était un maestro et il a son nom inscrit dans le dictionnaire. Commandeur de l’Ordre national burkinabè, Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres français… Idrissa Ouédraogo était plus qu’un baobab. Il avait l’âme artistique.

 

Mariam Koné (comédienne-conteuse) :

« Un réalisateur très doué »

 

Je retiens d’Idrissa Ouédraogo le souvenir d’un grand homme de culture, un génie du cinéma burkinabè. C’était un réalisateur très doué dans la direction d’acteur. Sur le plateau, face à un comédien qui était mal à l’aise dans son rôle, mal dans sa peau ou qui avait un problème quelconque devant la caméra, Idrissa avait le moyen de le faire jouer. C’était un manitou. Vraiment, nous avons perdu un grand réalisateur. J’ai appris d’Idrissa l’amour de mon travail. Il vivait son travail et avait la passion de ce qu’il faisait. J’ai donc appris de lui qu’il faut aimer ce que l’on fait et on peut alors en vivre pour toujours.

 

Tahirou Tasséré Ouédraogo (cinéaste et frère cadet du défunt) :

« C’était une icône »

 

Mon grand frère Idrissa Ouédraogo était une icône du cinéma africain. Il m’a appris le métier du cinéma, m’a donné la chance d’aller à l’école du 7e Art à Paris. Aujourd’hui, je fais des films grâce à lui. Il y a deux ans, quand il a eu une attaque cardiaque, nous sommes allés à Tunis avec lui. C’était difficile mais il allait mieux et nous étions optimistes jusque-là. Malheureusement le sort en a finalement décidé autrement. Pour moi, sa mort pose un défi : celui d’achever l’œuvre qu’il a entamée. Il avait un projet de long-métrage et de série qui lui tenait à cœur. Il s’agit respectivement de « Boukary Koutou » et de « Djarabi ». Je vais m’investir à les réaliser.  

 

Issa Ouédraogo (comédien) :

« Quelqu’un de très important dans la direction d’acteur »

 

Je n’ai pas, à proprement parler, travaillé avec Idrissa sur un plateau de tournage, mais nous nous sommes beaucoup côtoyés dans le milieu du cinéma. C’était quelqu’un qui, dans la direction d’acteur, était très important. Idrissa Ouédraogo pouvait te faire donner ce qu’il attendait vraiment de toi, t’amener à te surpasser pour entrer dans ce qu’il voulait que tu donnes dans son film. En tant que comédien, il arrivait que tu lises le scénario sans percevoir réellement certains paramètres, mais lui, par sa manière de travailler, parvenait à te faire libérer le meilleur de toi-même. J’appréciais vraiment cela de sa part. 

 

Emmanuel Sanon (président de l’UNCB) :

« Pour lui, le travail passait avant tout »

 

Je suis scénariste et j’ai travaillé avec Idrissa dans le domaine de la scénarisation. Pour scénariser ses films, il venait me voir. Son dernier scénario, je l’ai eu il y a une semaine et il me demandait chaque fois où j’en étais. Nous avons fait l’INAFEC ensemble. « L’homme, dit Montesquieu, est chatoyant, ondoyant et divers. » Idrissa était un homme qui vivait bien. Il aimait la belle vie, c’était un artiste. Il aimait plaisanter avec tout le monde. Par contre, il ne jouait pas avec le travail. Idrissa pouvait ne pas engager de figurant pour un petit rôle donné, afin d’acheter plutôt le matériel qu’il fallait pour tourner son film. Ce matériel pouvait coûter dix ou vingt fois plus cher, mais il l’acquérait malgré tout. C’était quelqu’un pour qui le travail passait avant toute autre considération. Son décès, c’est comme un tour qu’il nous a joué, un pied de nez qu’il nous a fait, parce que nous préparions le cinquantenaire du FESPACO. Lui-même préparait son prochain film ainsi que beaucoup d’autres choses pour le Burkina. Il est parti sans avoir pu réaliser tout cela.  

 

Luc Damiba (vidéaste et président de l’association SEMFILMS) : « Il donnait au-delà de ce qu’il avait »

 

Idrissa Ouédraogo, pour nous jeunes, était un modèle de persévérance. C’était un humaniste parce qu’il parlait un langage que toute personne à travers le monde pouvait comprendre. Vu qu’il est le premier Burkinabè qui a tracé les sillons, chacun voulait ressembler quelque part à une partie de lui. Idrissa était un homme généreux. Dans le cinéma quand vous êtes généreux, vous permettez d’enfanter des milliers d’autres héritiers. Il n’y a pas de cinéaste burkinabè qui puisse vous dire qu’il n’a pas bénéficié de l’aura d’Idrissa pour avoir un financement, corriger un scénario, regarder son œuvre en construction… Son propre, c’est qu’il donnait au-delà de ce qu’il avait. En plus de cela, il voulait que les jeunes apprennent. Je me rappelle encore cet épisode au lycée Philippe Zinda Kaboré où il donnait des caméras prises à l’ISIS à des jeunes pour apprendre le cinéma. Il avait envie de donner toujours. Alors que certains sont égoïstes avec ce qu’ils ont, lui a toujours été généreux dans le domaine du cinéma. C’est un baobab qui s’est écroulé, mais il a laissé beaucoup de fruits. 

 

Pascal Didier Ouédraogo (réalisateur et producteur) :

« Un grand baroudeur »

 

Idrissa et moi, nous nous sommes retrouvés en 1re année à l’INAFEC. Tout de suite, nous avons sympathisé et nous étions tout le temps ensemble. A l’école, nous faisions toutes les activités ensemble et à la maison nous étions des amis. C’était un homme très sympathique. Moi, je ne disposais pas d’engin et c’est lui qui venait m’amener à l’université. Les travaux de recherche, nous les faisions toujours à deux. Par la suite, je suis allé poursuivre mes études en France où il m’a rejoint après un passage à Moscou. Nous avons toujours eu de bons rapports. Je garde de l’homme le souvenir d’un baroudeur. Nous avions des accointances parce que sa mère est d’ethnie samo, comme la mienne, et tous les deux nous sommes dioulaphones. Revenus au bercail, j’ai intégré la Télévision nationale pendant que lui était dans le cinéma. Je suis très touché et surpris par ce qui est arrivé. Je ne peux que souhaiter paix à son âme.

 

Propos recueillis par :

D. E. O.

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