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Africain et chrétien : comment résoudre le problème de l’écartèlement ?

La première solution sera de choisir le christianisme contre les religions traditionnelles. C’est un peu le choix qu’a fait la première génération de chrétiens en faisant table rase des coutumes religieuses pour devenir adeptes « convaincus » des religions importées.

 

Ce choix peut s’expliquer par la foi de ces adeptes, par le fait aussi qu’ils avaient bien perçu la crédibilité des religions importées et enfin, peut-être aussi, par le désir d'un certain mimétisme du Blanc qu'ils considèrent comme supérieur. De fait, pour beaucoup de gens, l'attitude générale du Noir par rapport au Blanc ne semble pas tout à fait étrangère au mobile de la conversion du Noir au christianisme.

« Et il y a longtemps, lit-on dans Peau noire, masque Blanc de F. Fanon, que le Noir a saisi la supériorité technique du Blanc et tous ses efforts depuis tendent à réaliser une existence blanche ». Selon Frantz Fanon, « pour cette première génération de chrétiens, leur excuse était donc assez profonde, ce qui transparaît par exemple dans les convictions fermes que manifestent encore aujourd'hui les chrétiens d’un certain âge aux dépens d'une sorte d'indigénisation du christianisme ».

Acquis aux idées coloniales, ces chrétiens considèrent les religions traditionnelles comme sauvages, traduisant ainsi dans leurs actes et dans leurs paroles les leçons fidèlement apprises de leurs maîtres. Cependant il y a lieu de mettre en doute l'efficience de cette solution. D'une part, dans ces premières générations mêmes, il y avait déjà beaucoup d'Africains qui se sont refusés à la conversion.

Et plus tard parmi les convertis, la plupart ne se sentaient pas tout à fait à l'aise, car deux possibilités s'offraient à eux : ou bien demeurer chrétiens sincères et fidèles, coupés plus ou moins de leur communauté, ou bien mener une double vie dite « chrétienne » en superficie, « païenne » en profondeur, avec plus ou moins bonne conscience. C'est dire en fin de compte que l'écartèlement n'avait pas complètement disparu et le problème reste encore posé.

Une deuxième voie de solution est à l'opposé de la première. C’est le rejet des religions dites importées et le retour au passé. Nous avons tous connu beaucoup d'Africains à qui répugnaient les religions importées: les uns par fidélité aux traditions ancestrales, les autres par rejet de ce qu'ils considéraient comme produit d'importation; ils manifestaient tous à leur égard une résistance tantôt passive, tantôt active. Si cela était vrai il y a plusieurs décades, ça l'est peut-être encore plus de nos jours avec le processus de décolonisation des savoirs et des mentalités.

Mais ici encore la « solution » ne satisfait pas totalement, car, s’opposer pour s’affirmer, c’est rester encore tributaire de son passé; et même si nous nous évertuions à faire taire notre conscience, elle nous poussera, malgré tout, à regarder ces réalités qui désormais font irréversiblement partie de notre Afrique. C'est en effet une gageure que de vouloir ressusciter l’Afrique d’hier. Le romantisme du retour au passé ne résout pas tous les problèmes : qu’on le veuille ou pas, que nous soyons d’accord ou pas, le colonialisme et, de façon plus large, notre entrée en dialogue avec les autres continents, constitue un fait que nous ne pouvons pas effacer d'un coup de chiffon.

Ce qui est intéressant, ce n'est ni le passé africain, ni le passé occidental, si c'est seulement pour nous y réfugier ou pour l'idéaliser dans un rêve paralysant qui nous empêcherait de vivre l'aujourd'hui de l'Afrique et du monde. Africains ou Asiatiques, Européens ou Américains, notre préoccupation doit être le présent et l'avenir. Bien sûr, comme le dit si bien le proverbe : « C'est au bout de l'ancienne corde que l’on tisse la nouvelle ». Si nous nous référons au passé, c'est pour y trouver les éléments qui nous permettent de construire le présent et le futur. Notre conviction, au fond, est que l’Afrique doit faire appel à toutes énergies vitales. Son patrimoine religieux doit alimenter ces énergies. Le Christ est venu, non pas pour abolir, mais pour accomplir.

Les peuples africains, aujourd’hui encore, veulent maîtriser leur destin historique pour leur accomplissement. Et, comme l’a si bien écrit Engelbert Mveng, « il n’y a pas de survie de leur héritage religieux que dans la mesure où cet héritage peut lever le défi de l’avenir et forger en eux une âme nouvelle pour un homme nouveau ». Le christianisme doit continuer à dialoguer avec les Religions traditionnelles africaines. Nous aurons l’occasion de traiter des conditions de ce dialogue.

 

Père Jean-Paul Sagadou

Assomptionniste

 

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