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Jésus : Maître et chef d’initiation ?

 

En Afrique, l'initiation est un acte central de la vie communautaire, à la fois villageoise et ethnique. Elle marque l'accession à l'humanité, car la vivre, c'est «devenir homme dans la participation vécue au Tout par la médiation de ses ancêtres et dans la communion aux autres, devenir homme en transmettant le flambeau de cette tradition à la génération suivante, être homme par sa capacité d'être en harmonie avec tous les éléments de l'univers».

 

 

Comment ne pas admirer cette pédagogie initiatique qui fait du corps le chemin du savoir, qui joue du langage symbolique et de la parole du secret, qui intègre à une tradition et à une communauté, qui vit le temps dans un rythme de mort et de renaissance ? L'initiation ne peut-elle pas être une clé de compréhension du mystère de Jésus ? Tout ce que nous dit le Nouveau Testament à propos de Jésus ne peut-il pas se résumer dans un nouveau titre : «Jésus, chef d'initiation» ?

Mais de quel droit voir en Jésus un chef d’initiation ? Se demande Mgr Anselme Sanon. Une telle image du Sauveur le rend-il supportable au regard ? N’est-ce pas plutôt le défigurer, le mutiler ? Et voici la réponse du théologien burkinabè : Notre intention mérite d’être comprise : il s’agit pour nous de présenter le Sauveur sous d’autres aspects (Mc 16, 12) ; de lui offrir d’autres visages, dans des humanités culturelles qu’il ne saurait refuser ». De fait, pour Mgr Sanon, le visage du Christ est à comprendre du « dedans » (de la culture africaine) et non du « dehors » (ce qui nous vient d’ailleurs).

Au fond, «dire que Jésus est chef d’initiation, c’est reconnaître en lui, dans notre registre culturel, l’aîné qui guide vers la perfection ceux qui ont été à l’initiation, c’est-à-dire ceux qui, avec lui, ont pris la route pour l’expérience de l’invisible à travers ce qui est visible, pour rencontrer Dieu à travers l’homme, pour toucher l’éternité à travers le symbole de la vie présente». Pour que Jésus soit considéré comme chef d'initiation, il faut qu'il ait été initié dans sa tradition propre, c'est-à-dire dans la tradition juive.

Et c'est bien ce que nous constatons à travers la naissance, l'imposition du nom, l'épisode du Temple où Jésus écoute et interroge. Nous pouvons discerner sans peine dans son itinéraire les étapes de l'expérience initiatique : les épreuves ne lui manquent pas. Jésus résiste, surmonte les difficultés, va jusqu'au bout. « Tout Fils qu'il était, il apprit par ses souffrances l'obéissance » (He 5,8). Sa prédication en paraboles, son action en gestes symboliques définissent un style initiatique : ce n'est que progressivement que Jésus introduit au sens de sa vie.

Et le mystère pascal est initiation effective dans sa réalité de mort, d'ensevelissement et de résurrection. L'auteur de l'épître aux Hébreux l'a fort bien exprimé : «II convenait à celui pour qui et par qui tout existe et qui voulait conduire à la gloire une multitude de fils, de mener à l'accomplissement par des souffrances l'initiateur de leur salut » (He 2, 10). Initié, le Christ peut devenir initiateur. Car les chrétiens marchent « les yeux fixés sur celui qui est l'initiateur de la foi et qui la mène à son accomplissement, Jésus » (He. 12,2).

Lui seul est le vrai chemin de vie. Lui seul connaît la vérité dernière sur le sens de la vie et de la mort. Lui seul apporte la victoire définitive de la vie sur la mort. Lui seul instaure une communauté de fils et de frères. L'initiation traditionnelle parvient enfin à son terme : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s'il meurt, il porte du fruit en abondance » (Jn 12,24). Tout est dit par là, et du Christ et du chrétien. Il n’y a plus qu'un arbre d'initiation, celui de la Croix, plus qu'un Esprit, celui de Pentecôte, plus qu'un mystère, celui de Dieu parmi les hommes.

L'Eglise devient une communauté initiatrice, dans la meilleure tradition des Pères de l'Eglise. On saisit, de cette mise en œuvre rapidement esquissée, quelles peuvent être les procédures de l'inculturation. La culture traditionnelle a été reconnue dans la vérité de son mouvement, dans l'authenticité de sa recherche, dans la richesse de son anthropologie. L’Evangile a été relu à partir de cette expérience initiatique et a libéré un sens parlant pour l'Africain. L'accueil du Christ pourra être à la fois accomplissement et nouveauté, prise au sérieux de l'humanité noire dans le meilleur d'elle-même, révélation d'Un au-delà de l'expérience séculaire.

Il y aura eu dialogue et enrichissement mutuel. Selon un proverbe fon, «c'est au bout de l'ancienne corde qu'on tresse la nouvelle». Deux limites apparaissent cependant dans l'expérience initiatique traditionnelle par rapport à la nouvelle naissance en Christ. Le maître de l'initiation africain ne fait pas le passage avec son disciple, il n'est que le représentant du groupe social. D'autre part, l'initiation traditionnelle permet de déchiffrer le monde alors que l'initiation chrétienne révèle Dieu et son Envoyé, Jésus le Christ.

 

 

 

Père Jean-Paul Sagadou

Assomptionniste

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