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Hygiène menstruelle : Le combat des filles quand les Anglais débarquent à l’école

«Le pont est cassé», «Il y a inondation au Pays-Bas» ou encore «Les Anglais ont débarqué». Ce sont autant de messages codés utilisés par les femmes pour parler de leurs règles ou menstrues, un sujet tabou dans plusieurs  milieux. Beaucoup considèrent en effet la femme en règles comme étant dans un état « d’impureté ». C’est pourtant un phénomène biologique normal auquel sont soumises, une fois par mois, les femmes, de la puberté à la ménopause. Caractérisée par l’écoulement de sang, en plus de maux de bas-ventre ou de sautes d’humeur dans certains cas, la période menstruelle constitue un problème majeur à gérer aussi bien pour les femmes que pour les jeunes filles. Concernant ces dernières, notamment celles sur les bancs, comment gèrent-elles leurs menstrues ? Quelle hygiène quand on voit ses règles à l’école ? Comment concilier règles et école ? Description du problème à l’occasion de la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle, le 28 mai.

 

Dans une classe, le professeur invite une élève à aller au tableau. Celle-ci décline l’offre. Le professeur lui enjoint, une, deux, trois fois de rejoindre le tableau mais elle reste sur sa position. Très en colère, l’enseignant la rejoint à sa place et la tire de force pour la faire se lever. Alors, quelle découverte ! Des «hum, hum, Monsieur» fusent de partout dans la salle, des têtes s’élèvent pour voir ce qui se passe…Quelle honte ! L’arrière de la tenue de la pauvre était imbibé de sang. Une camarade s’empresse de lui passer un pagne. Confus, le professeur tente de s’excuser en lâchant : tu ne pouvais pas me dire ça ? avant de l’autoriser à rentrer chez elle. Ambiance.

Cette scène à laquelle l’auteur de ces lignes a assisté ne la quittera jamais, de même que les regards de pitié envers cette jeune fille quand, le lendemain, elle est revenue à l’école ou même des années après quand on la voyait dans la rue. Cette tache de sang ne sera jamais effacée des mémoires.

Déplorable, quand on sait que le seul pêché de cette « femme » a été de se laisser surprendre par ses règles, qui ne préviennent pas toujours, à l’école ; malheureusement, son cas est loin d’être isolé. En effet, elles sont bien nombreuses, les jeunes élèves qui vivent quotidiennement cette situation.

 

Souvent incomprise par son entourage, la jeune fille en menstrues est parfois objet de marginalisation. « Nous considérons le phénomène des menstrues comme une question genre. En effet, au-delà du caractère biologique, il y a des perceptions sociales qui entourent les menstrues et qui marginalisent la jeune fille en menstrues. Ce qui l’empêche, souvent, si elle est scolarisée, d’être assidue à l’école », a relevé Inoussa Sissao de la Direction de la promotion de l’éducation inclusive, de l’éducation des filles et du genre (DPE/EFG) du ministère de l’Education nationale, que nous avons rencontré lundi 28 mai à son bureau de Paspanga à Ouagadougou alors qu’il venait de rentrer de la célébration de la journée mondiale de l’hygiène menstruelle tenue au lycée Nelson Mandela.

 

Une fille sur dix s’absente de l’école à cause des règles

 

Ce même jour, aux environs de 11h30 dans la grande cour du lycée Bambata de Ouagadougou, nous posons exprès cette question, « Sais-tu quand une fille de ta classe a ses règles ? » à Ibrahim Cheick Nana, élève de la classe de 2nd C2. Sa réponse : affirmative. Comment le sais-tu ?, poursuivons-nous. Réponse : « Quand elle commence à se plaindre de maux de ventre ». No comment.

La marginalisation, on l’imagine, favorise la déscolarisation de la jeune fille.

A en croire en effet monsieur Sissao citant une étude de l’UNICEF, 1 fille sur 10 s’absente de l’école à cause de son cycle menstruel. D’autres études ont également montré que les filles sont obligées de rentrer à la maison quand elles sont  indisposées. «C’est l’une des raisons pour lesquelles, malgré le fait que le nombre de filles dépasse celui des garçons dans les classes, ces derniers arrivent à se maintenir à l’école et à réussir plus que les filles. A cela s’ajoutent les phénomènes connexes de grossesse et de mariage auxquels sont exposées les adolescentes dès la première saignée. Dans certaines sociétés, on dit même qu’une fille ne voit pas trois fois ses règles chez ses parents », a-t-il relevé avant d’ajouter que ces obstacles à la poursuite des études, à la réussite et au maintien des filles à l’école, sa direction les a pris à bras le corps.

En plus des risques de déscolarisation, les menstrues constituent un véritable problème de santé pour les femmes. Ainsi des activités sont initiées dans certains établissements pour amener les jeunes filles à prendre conscience de ce qui leur arrive quand elles sont en règles et d’en discuter avec d’autres personnes. « Nous avons, par exemple, mis en place dans certains établissements des clubs qui constituent des cadres d’échange où les filles peuvent se retrouver et parler de leur corps, de la gestion de leurs menstrues, cela avec l’accompagnement de mentors », a-t-il indiqué.

En plus de cette activité, un guide intitulé « La puberté et l’hygiène menstruelle » a été édité, en partenariat avec l’UNICEF, au profit des filles. Ce document, d’une vingtaine de pages, répond à toutes les questions relatives aux menstrues, notamment à leur la gestion hygiénique à l’école.

 

La gestion des règles constitue en effet un véritable casse-tête pour des élèves qui n’ont pas toujours un endroit à l’école où se nettoyer et se changer quand elles sont en période : la majorité des établissements de la ville manquent de cadre approprié, à l’image des toilettes adaptées, de salles de rechange ou même parfois de la simple eau, indispensables pour s’assurer une bonne hygiène intime.

Un constat que corrobore le proviseur du lycée Bambata dès que nous abordons avec lui le sujet. Il a émis le vœu que de bonnes volontés aident les écoles à se doter d’équipements dans ce sens.

 

« Chez moi là, ça vient beaucoup »

De jeunes filles du lycée ne se feront pas prier pour parler des problèmes d’hygiène qu’elles rencontrent à l’école quand elles sont en règles : Mamata Ouédraogo, Nemata Kiemtoré, Habibou Ouédraogo et Alizèta Ouédraogo, toutes élèves de la 2nd C2,  sont confrontées au même problème : celui du manque d’hygiène des toilettes qui ne leur permet pas de se changer, même si elles prennent le soin d’apporter des serviettes de rechange, car ne rentrant pas chez elles à midi. « Chez moi là, ça vient beaucoup. Donc je double les slips et je porte une petite culotte en bas de ma tenue. En plus j’apporte un pagne en cas de débordement »,  a confié l’une d’elles avant de relever qu’il arrive parfois, malgré toutes ces précautions, que ses habits soient tachetés.

Foi d’Inoussa Sissao, son service œuvre également à  améliorer l’environnement d’étude pour que la fille en période menstruelle puisse gérer de façon hygiénique l’écoulement de sang et suivre les cours normalement comme les garçons : «Grâce à nos activités, de nombreux établissements ont commencé à rendre propres leurs toilettes. Avec l’accompagnement d’ONG de mise en œuvre également, des kits d’urgence, constitués de serviettes hygiéniques, sont remis aux jeunes filles. Il est même arrivé que nous construisions des salles de rechange pour permettre aux filles de se nettoyer et de se changer afin de rester à l’école ». Vivement donc que ce genre d’initiatives se répande dans tous les établissements, dans toutes les écoles du pays.

En effet avec des règles qui apparaissent de plus en plus précocement, le problème se vit aussi dans les écoles primaires.

Loraine Kaboré, 14 ans, élève du CM2 à l’école primaire Bilbalgho, voit ses règles depuis une année. Ses menstrues sont parfois accompagnées de maux de ventre. Mais elle s’arrange pour ne pas rater l’école, d’autant plus qu’elle est en classe d’examen. Pour sa protection, elle utilise du coton hygiénique et apporte un pagne pour les cas de débordement. «J’apporte en plus un coton de rechange. Quand je sens que celui que j’ai porté est plein, je vais à côté des toilettes le changer», a t-elle confié.

Même son de cloche de la part de sa camarade de classe Reine Sylviane Zoungrana, âgée, elle, de 15 ans.

A ces jeunes filles, leurs parents, en l’occurrence les mères, ont-elles déjà parlé des règles ?  Non, ont-elles toutes deux répondu. Toutefois, à les en croire, le sujet est évoqué dans certaines matières comme les Sciences de la vie et de la terre (SVT) et la puériculture.

Mais qui mieux qu’une gynécologue-obstétricienne pour en parler ? (Confère encadré 2)

 

Alima Séogo Koanda

 

Encadré 1

Quelques extraits du « Petit guide pour les filles »

 

« Quand tu vois le sang chaque mois, il ne faut pas avoir peur ! Ce n’est pas une maladie, c’est une fonction du corps et c’est naturel » ;

« Attention :

-Voir les premières règles ne signifie pas que tu dois commencer à avoir des rapports sexuels. Tu n’y es pas obligée. Tu peux choisir cette étape importante de ta vie toi-même plus tard

- Tu peux tomber enceinte si tu as des rapports sexuels non protégés, mais ton corps n’est pas complètement prêt avant au moins 18 ans. Une grossesse avant 18 ans est dangereuse pour la mère et le bébé

-Tu peux attraper une maladie (IST,VIH-SIDA) lors de rapports sexuels non protégés » ;

« Protège-toi avec du matériel de protection avec lequel tu te sens à l’aise. Amène du matériel de protection supplémentaire pour que tu puisse te changer à l’école…Si tu vois une fille avec une tache de sang, dis-le –lui discrètement… »

 

En période de règles

« Restez au sec pour éviter les infections »

(Docteur Bako/Lankoandé Natacha, gynécologue-obstétricienne)

L’essentiel des informations sur les menstrues dans cet entretien avec le Docteur Lankoandé Natacha épouse Bako, gynécologue-obstétricienne à l’hôpital de district de Bogodogo.

 

Qu’est ce que les règles ou menstrues?

Il s’agit d’un écoulement sanguin provenant de la cavité utérine et survenant tous les mois chez la femme en âge de procréer. La survenue périodique de ces règles fait qu’on parle de cycle menstruel. (Les douleurs et crampes au bas-ventre, les seins qui gonflent et font mal, les maux de tête, la fatigue, les vertiges, les ballonnements sont, entre autres, les symptômes qui peuvent précéder ou qui viennent avec les règles : NDLR).

 

A partir de quel âge apparaissent-elles dans la vie d’une femme ?

Les règles surviennent à l’âge de la puberté et cet âge est variable d’une personne à l’autre (en général de 12 à 16 ans mais les règles peuvent aussi arriver avant ou après  : ndlr).

 

On entend parfois parler de règles du nourrisson. De quoi s’agit-il ?

Les règles du nourrisson entrent dans le cadre de ce qu’on appelle la crise génitale du nouveau-né.  C’est du sang qui apparait au niveau des organes génitaux de la nouveau-née. Il peut s’y associer un gonflement des grandes lèvres, un gonflement des seins avec parfois un  écoulement de lait. C’est un phénomène  qui est physiologique et disparaît au bout de quelques  jours.

 

Combien de temps dure le cycle menstruel ?

Le cycle menstruel est l’ensemble des manifestations physiologiques survenant périodiquement chez la femme, qui commence à la puberté avec l’apparition des 1res règles et se termine à la ménopause.  Un cycle dure en moyenne 28 jours avec des variations entre 21 et 35 jours, parfois même plus.

Les règles peuvent-elles jouer sur l’humeur des femmes ?

Les règles jouent sur l’humeur des femmes, étant donné que c’est la chute des hormones qui provoque les règles ; et cette chute d’hormones peut entraîner l’irritabilité, l’agressivité voire la dépression dans les cas extrêmes.

Pourquoi chez certaines, les règles coulent sans arrêt ?

Les règles qui coulent plus de sept jours sont le signe d’un dysfonctionnement au niveau de l’axe qui régule le cycle menstruel ; il peut s’agir d’un déséquilibre hormonal, d’une maladie des ovaires ou de l’utérus. Dans tous les cas, une consultation avec le gynécologue s’impose pour en rechercher la cause et la traiter.

 

Chez certaines les règles sont douloureuses et chez d’autres pas. Comment cela s’explique-t-il ?

Les règles douloureuses ou dysménorrhées peuvent survenir au cours des premières règles ou ménarches. Dans ce cas, on parle de dysménorrhées primaires, et le mécanisme  évoqué est  la sécrétion accrue de prostaglandines responsables de la douleur. Lorsque les douleurs apparaissent après plusieurs années de règles non douloureuses, on parle de dysménorrhées  secondaires pour lesquelles on retrouve plusieurs causes organiques telles que les endométrioses et les dystrophies ovariennes parmi tant d’autres.

Lorsqu’on n’en trouve pas la cause, on parle de dysménorrhées essentielles.

Certaines femmes dégagent des odeurs en période menstruelle. Pourquoi ?

Les menstrues sont issues de la dégradation de la couche superficielle de la muqueuse utérine, se manifestant par l’écoulement de sang hors de l’utérus à travers le col de celui-ci. Lorsque l’hygiène pendant les menstrues n’est pas adéquate, on peut  se retrouver face à ces mauvaises odeurs.

 

Les règles douloureuses peuvent-elles jouer sur la fertilité ?

Les douleurs au cours des règles ne peuvent pas avoir d’impact sur la fertilité ; cependant, c’est la cause de ces douleurs qui peut être responsable de l’infertilité, par exemple l’endométriose qui est responsable de douleurs  et de troubles de la fertilité.

 

 

Que pensez-vous de l’utilisation du tampon ou de la coupe menstruelle pour se protéger?

Le tampon et la coupe menstruelle sont des dispositifs intra vaginaux de protection utilisés pendant les règles. Ces dispositifs nécessitent des conditions d’hygiène que nous ne réunissons  pas toujours, à savoir des points d’eau avec du savon pour se laver les mains avant et après insertion. Ces dispositifs nécessitent également l’apprentissage de l’insertion surtout pour la coupe menstruelle, qui peut être un frein  du fait qu’il s’agisse d’un corps étranger.

Y a-t-il des maladies ou des infections liées aux règles ?

C’est plutôt le manque d’hygiène qui peut entraîner des infections pendant les règles.

 

Comment les éviter ? Comment se protéger convenablement pendant ses menstrues, surtout en temps de chaleur ?

Pour éviter ces infections, il faut changer souvent de garniture (morceau de pagne ou coton hygiénique : ndlr) pour rester au sec (toutes les 4 à 6h), car ces garnitures sont des nids de microbes.

Si on n’a pas la possibilité de se laver au cours de la journée, on peut utiliser des lingettes intimes  pour se nettoyer.

Il faut favoriser l’utilisation des sous-vêtements en coton et éviter les vêtements trop serrés.

Il faut se laver les mains avant et après chaque changement de protection.

Il faut également éviter les rapports sexuels pendant les règles.

La toilette intime après les règles est-elle conseillée ?

La toilette intime d’emblée n’est pas conseillée parce que le vagin a une capacité auto-nettoyante. Cependant si des odeurs persistent après les règles, on peut faire cette toilette de manière exceptionnelle, mais il ne faut pas la systématiser.

 

Commentaires   

0 #1 Henri_Sebgo 30-05-2018 08:25
Bel article très édifiant; ça se laisse lire comme dirait le chef. bravo maman!
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