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Opération caisse vide : Les malades crachent sur le cadeau du SYNTSHA

Le Syndicat des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) a décrété un mot d’ordre dénommé «caisses vides». Prévue pour une semaine, cette opération, débutée lundi 11 juin 2018, consiste à faire des prestations sanitaires gratuites dans les centres de santé publics. Mais c’est compter sans les responsables des établissements sanitaires, qui ont pris des dispositions pour faire passer les malades… à la caisse et avec le choix de nombreux usagers de ne pas mordre dans le cadeau du SYNTSHA.

 

C’est le printemps des mouvements sociaux au Burkina. Tous les moyens sont bons pour faire plier le gouvernement face aux exigences. Après sit-in, grèves, arrêts de travail sans service minimum, le Syndicat des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) a opté pour une opération « caisse vide ». C’est-à-dire ? «Cela veut dire que, durant cette semaine-là, nous avons donné un mot d’ordre à nos militants de soigner les gens sans qu’ils paient. Les soins impliquent les consultations et les différents examens. Mais en cas d’ordonnance, ils payent les médicaments en pharmacie», a expliqué le secrétaire général de la sous-section SYNTSHA de l’hôpital Yalgado, Amadi Konfé, à notre passage sur les lieux peu après 11h le lundi 11 juin, premier jour du mouvement. Un mode opératoire tout de même extra.

Cependant, selon le responsable du SYNTSHA, il s’agit d’une forme de lutte comme toute autre: «Il y a beaucoup de formes de lutte : les sit-in, la grève, le boycott des gardes et des permanences, a rétention des rapports. Nous avons utilisé, de par le passé, tous ces moyens. Nous sommes contraints maintenant d’utiliser l’opération caisse vide, c’est le dernier recours.»

Cette décision, selon Amadi Konfé, a été prise suite au non-respect d’un protocole d’accord signé depuis mars 2017. Beaucoup d’engagements contenus dans ce protocole n’ont jusque-là pas connu d’application malgré les nombreuses interpellations : il s’agit, entre autres, de l’harmonisation catégorielle des agents de la santé avec les autres fonctionnaires de l’Etat ; de la réintégration des ICP (Infirmiers chefs de poste : ndlr) relevés de leur fonction suite au respect d’un mot d’ordre de grève de la sous-section SYNTSHA de Pouytenga ; de l’amélioration des conditions de travail dans les différents centres de santé confrontés à de nombreux maux. «A l’hôpital Blaise Compaoré, le scanner et l’IRM sont en panne. A Yalgado ici, malgré la situation désastreuse, on est en train de vouloir augmenter les tarifications», a-t-il dit.

Il y a, en plus, la question du statut particulier. «Actuellement la plupart des ministères sont en élaboration de leurs statuts particuliers. Il y en a qui ont fini. Pour le ministère de la Santé, ça se trouve dans les tiroirs, les techniciens ont élaboré les TDR et le ministère dit qu’il n’y a pas d’argent».

Mais une opération caisse vide ne contribuera-t-elle pas à aggraver la santé financière déjà précaire d’un hôpital comme Yalgado ? A écouter le responsable syndical, c’est à l’Etat de prendre ses responsabilités : «Nous sommes contre la privatisation de la santé. Quelqu’un qui est malade et qui vient à l’hôpital ne devrait pas débourser de l’argent  pour se soigner. L’Etat doit assumer. Il doit faire de la santé une priorité et y mettre les moyens. Si on peut dépenser des milliards pour prendre des V8, c’est que la santé n’est pas prioritaire».

A en croire le SG SYNTSHA de Yalgado, le mouvement pourra se durcir davantage si, à l’issue de la semaine de caisse vide, une solution n’est pas trouvée. «Nous avons choisi d’aller molo (1). Mais si le gouvernement persiste à ne pas répondre, nous allons durcir le ton.  C’est clair que nous n’allons pas nous arrêter tant que les problèmes ne sont pas résolus», a-t-il martelé.

Mais reste à savoir si cette opération bénéficie de l’adhésion des populations.

Dans la matinée du 11 avril, les caisses de Yalgado étaient ouvertes avec les agents de caisse bien en place. Quelques personnes accoudées à la petite fenêtre des guichets s’acquittaient de leurs droits de consultation ou d’examens médicaux sous un soleil ardent.

Une jeune dame avance vers le laboratoire, les mains remplies de papiers. Malade, elle allait à la caisse pour se renseigner sur les prix des différents examens qu’on lui a prescrits. De cette opération caisse vide, elle a dit ne pas être au courant.

Un peu plus loin, au niveau des urgences médicales, nous croisons un jeune homme tenant, lui aussi, une pile de papiers. «Je suis ici avec un malade. Je viens de payer pour ses examens », nous apprend-il, sans vouloir décliner son identité. Contrairement à cette dame, il est informé de l’opération caisse vide mais a choisi de s’acquitter de ses frais médicaux. «Nous, nous sommes internés ici et je ne veux pas de problèmes après», lâche-t-il vaguement.

Dans la grande cour de l’hôpital, à proximité des guichets de payement, on remarque aussi des agents en blouse orange sur la présence desquels le SG du SYNTSHA avait attiré notre attention, en ces termes : «La direction a réuni ses agents de recouvrement qu’elle paye 15000 F/jour. Vous  les verrez en blouse rose dans la cour. Ils se promènent et obligent les malades à aller à la caisse».

Selon lui, la présence de ces agents ajoutée à un déficit d’information des malades sont les raisons pour lesquelles l’opération caisse vide ne connaît pas, à son premier jour d’application, le succès escompté. «On n’a pas pu prendre nos dispositions pour que la majorité des gens aient l’information. Ce qui fait qu’au niveau de l’hôpital, le suivi n’est pas ça. Nous allons nous retrouver après pour voir quelles mesures prendre pour permettre d’améliorer la situation», a-t-il expliqué.

En attendant, le directeur général de Yalgado, Constant Dahourou, se réjouit du fonctionnement normal de son établissement : «Ce matin, j’ai fait le tour des services pour voir si les malades sont soignés.. J’ai aussi visité tous les pools de recouvrement  comme la facturation et les caisses. Dans l’ensemble, nous arrivons à maintenir le service ». 

Quant aux agents de recouvrement que le SYNTSHA accuse les responsables de Yalgado d’avoir recrutés pour boycotter son mot d’ordre, le DG s’en défend ainsi: « Habituellement ces agents sont sur le terrain. Ils sillonnent l’hôpital pour voir si tout est en ordre, mais à situation exceptionnelle, comportement exceptionnel, ils sont beaucoup plus actifs aujourd’hui. Nous n’avons contraint personne à travailler. C’est un dispositif qui a seulement été mis en place », a-t-il indiqué avant de relever que, tout comme les syndicats sont libres de manifester dans les lieux publics, l’hôpital est dans son rôle d’assurer un recouvrement.

Tout comme à Yalgado, à l’Office de santé des travailleurs, à notre passage aux environs de midi, il n’y avait plus de patients, mais les caissières ont confié n’avoir rencontré aucun problème de payement. Tous les malades sont passés à la caisse.

 

(1) Aller doucement

 

Alima Séogo Koanda

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