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Procès putsch manqué : Le défilé des accusés n’a toujours pas commencé

Hier 12 juin 2018, la salle des Banquets de Ouaga 2000 a renoué avec ses « convives » d’un autre genre, les protagonistes du dossier du putsch manqué de septembre 2015. L’interrogatoire annoncé des accusés n’a pas eu lieu parce que deux accusés, l’ex-Bâtonnier Mamadou Traoré et Relwendé Compaoré, se sont retrouvés sans avocats pour les assister. Du coup, cette question s’est imposée à l’audience : faut-il entamer l’instruction du dossier à la barre ou trouver d’abord des conseils à ces deux accusés ? Preuve que le sujet est d’importance, le tribunal a suspendu l’audience qui reprendra le jeudi 14 juin 2018 à 11 heures avec le délibéré sur cette question.

 

«L’homme mince sera-t-il au prétoire ce matin ?», ainsi que votre journal, L’Observateur Paalga, concluait hier son avant-papier sur la reprise annoncée du procès du putsch manqué ce mardi. Cette interrogation faisait suite au fait que le cerveau présumé du « coup d’Etat le plus bête du monde » était alité dans une clinique de la place depuis quelques jours.

On en a eu la réponse hier puisque «Golf», entendez le général Gilbert Diendéré, était bel et bien présent dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. Preuve que son état de santé est au beau fixe.

Diendéré est arrivé au prétoire une dizaine de minutes avant 9h, drapé dans la tenue militaire «terre du Burkina», le béret rouge vissé sur la tête. Derrière lui, le général de gendarmerie, Djibril Bassolé, en boubou blanc avec un bonnet de la même couleur, et leurs coaccusés se sont mis debout pour les salutations d’usage.

9h12 : Après que le Tribunal s’est installé, Seidou Ouédraogo, et ses pairs ont voulu s’assurer que le délai de deux semaines accordé aux nouveaux avocats commis d’office leur a été utile ; autrement dit, estiment-ils que ce temps leur a permis de s’imprégner du dossier et de préparer la défense de leurs clients ?

Me Régis Bonkoungou et Me Idrissa Badini, respectivement avocats commis d’office pour Abdoul Karim Bagagna, dit Lota, d’une part, et pour Loako Mohamed Zerbo et Minata Guelwaré, d’autre part, ont déclaré avoir eu le temps nécessaire pour connaître du dossier. Par contre Me Timothée Zongo et son confrère Alexandre Sandwidi n’étaient pas encore dans la salle pour répondre à cette même question.

Dans la foulée, le président de la chambre donnera lecture d’un arrêté du 30 mai 2018 émanant de l’actuel  Bâtonnier, Mamadou Savadogo, dans lequel celui-ci décharge les avocats Mamadou Keïta et Samuel Guitenga de leur mission d’avocats commis d’office aux côtés du général Gilbert Diendéré et deux autres accusés que sont Relwendé Compaoré et Nobila Sawadogo. Prenant donc acte, le président du tribunal a invité les intéressés à la barre pour savoir s’ils ont pris contact avec leurs anciens conseils dont ils souhaitent toujours l’assistance. «Golf» a indiqué que son ancien avocat, qu’il a contacté, a accepté de revenir dans le dossier. Ce qui sera confirmé par des associés de Me Mathieu Somé, qui se reconstitue alors. Il en est de même pour Nobila Sawadogo avec son ancien avocat, Me Flore Marie Ange Toé. Cependant, Relwendé Compaoré a soutenu n’avoir jamais dit à son avocat commis d’office qu’il n’accepterait pas ses services. De quoi surprendre le parquet militaire qui y voit un argument contradictoire. L’accusé en question a réitéré sa volonté d’être assisté (ancien ou avocat commis d’office) et a eu l’assurance du Tribunal que les diligences nécessaires seraient faites pour qu’il ait un avocat.

 

Me Silvère Kiemtaremboumbou se déporte

 

On se  souvient également que le colonel Omer Bationo n’avait pas d’avocat à ses côtés d’où un arrêté du Bâtonnier, en date du 29 mai 2018, commettant Me Maria Kanyili à sa défense. Celle-ci, si elle ne s’est pas opposée à sa mission, a demandé deux semaines pour s’y préparer. Chose qui a surpris encore le parquet militaire.  «Je constate que Me Kanyili était déjà constituée dans le dossier qui est un et unique. S’agit-il du même dossier ? Je ne sais pas de quelle préparation elle parle. Pour ce délai supplémentaire, nous ne voyons pas l’opportunité », a dit le substitut du procureur militaire Sidi Békaye Sawadogo.

Et l’avocate de revenir à la charge : «ce n’est pas du dilatoire, Monsieur le président, j’assiste l’accusé Samuel Coulibaly.  Je ne suis pas censée connaître le cas  du colonel Omer Bationo». Pour trancher, le président a déclaré que l’auxiliaire de justice disposerait du temps qu’il faut pour ce faire sans que cela n’interrompe le cours de la justice.

Le président de la chambre de première instance du Tribunal militaire de Ouagadougou invitera aussi Me Silvère Kiemtaremboumbou à se prononcer sur la lettre qu’il venait de déposer le matin même à 8h33. Par cette correspondance, l’avocat, sans autre forme de procès, a informé le Tribunal de son déport (voir encadré). Réagissant sur ce dernier développement, le procureur militaire a souligné qu’il plaise à la chambre de faire application de l’article 43 de la loi portant organisation, fonctionnement et procédure applicable devant la Chambre criminelle (voir encadré). La présence de l’avocat étant obligatoire en matière criminelle, Alioun Zanré a demandé aux juges de faire les diligences pour trouver un avocat commis d’office à l’ancien Bâtonnier Mamadou Traoré sans que cela interrompe le cours de la justice.

 

« Nous vous demandons de renvoyer le dossier »

 

Après une suspension d’une heure, l’audience a repris à 10h38. «J’aperçois des témoins dans la salle. Veuillez rejoindre la salle qui vous est réservée. Les témoins ne doivent pas participer aux débats », a déclaré le président Seidou Ouédraogo. Mais il n’ira pas plus loin puisque Me Dieudonné Bonkoungou demande à s’exprimer : «Je veux faire observer qu’à la vérification des avocats commis d’office, l’accusé Relwendé Compaoré n’a toujours pas d’avocat. L’avocate du colonel Omer Bationo vous a demandé du temps pour se préparer. Le Bâtonnier Mamadou Traoré n’a pas non plus de conseil et nous constatons que vous voulez aller aux débats. Nous vous demandons de renvoyer le dossier et de faire application de l’article 43 en commettant des avocats à ces deux accusés ».

Selon le parquet, à travers le substitut Mamadou Traoré, le cas de Relwendé Compaoré ne nécessite pas d’autres commentaires. Mais concernant l’ancien Bâtonnier, il a estimé qu’il n’y a pas d’inconvénient à poursuivre avec l’interrogatoire des accusés, l’essentiel étant que des mesures soient prises afin que l’intéressé soit assisté. «Dans tous les cas, l’article 43 ne nous dit pas qu’il faut suspendre le cour de l’audience pour la commission d’office. Il n’y a pas de problème que nous continuions, mais si ce sont eux qui sont appelés ce matin, il y a problème », a-t-il fait remarquer.

Du côté des conseils des parties civiles, Me Prosper Farama, lui, a fait le constat amer de l’utilisation « abusive » des dispositions de la loi. Il a fait remarquer que des déports ont été faits maladroitement ou abusivement, et sans que rien ait changé dans l’évolution du dossier, ces mêmes avocats reviennent dans la procédure. Il a dit qu’il n’est pas embêtant de poursuivre avec l’interrogatoire d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une constitution collective des avocats. «Est-ce que commencer l’interrogatoire avec des accusés qui ont des conseils porte atteinte aux droits du Bâtonnier ? Je dis non ! », a-t-il répondu. Et son confrère Me Guy Hervé Kam de souscrire «totalement» au précédent argumentaire. Il a également estimé que la défense abuse des règles du procès équitable : «C’est dommage qu’on attende les jours d’audience pour se déporter. Il est aussi de votre rôle d’assurer une bonne administration de la justice. Cela n’impose pas qu’on renvoie le procès. Rien n’empêche de continuer ».

 

«Il y aura un temps où ça ne sera plus possible de renvoyer ce procès »

 

Le dernier mot revenant à la défense, Me Bonkoungou est revenu à la charge en signifiant que ce procès a déjà été renvoyé pour des raisons similaires, donc il ne voyait pas d’inconvénient à ce que le Tribunal se donne le temps de respecter l’article 43 qu’il estime violé si on poursuit, en l’état, ce procès. Me Antoinette Ouédraogo, qui ne souhaitait pas entretenir la polémique, a invoqué l’article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (voir encadré) pour soutenir la justesse de la requête de la défense : «Monsieur le Président, je pense qu’aujourd’hui vous allez faire œuvre utile en consacrant le droit à la défense. Ce n’est pas pour deux accusés que vous allez transgresser le principe qui vous est cher».

De nombreux autres avocats de la défense se sont également prononcés sur la question, certains pour la première fois qu’ils interviennent depuis l’ouverture du procès le 27 février 2018. Pour Me Michel Traoré, aucun avocat de la défense «n’a peur de ce procès ». Leur souci, a-t-il dit, demeure les conditions d’une meilleure administration de la justice et d’un procès équitable. Pour lui, toutes les personnes citées dans le cadre de ce procès sont liées entre elles d’où la nécessité d’attendre que tout le monde soit au même niveau avant d’entamer les débats de fond.

A l’issue de ces joutes verbales, le président Seidou Ouédraogo, après une brève concertation avec son conseiller et les juges assesseurs, a décidé de suspendre l’audience et de donner le délibéré sur cette question le jeudi 14 juin prochain à 11h.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

 

Encadré 1

Les raisons du déport de Me Silvère Kiemtaremboumbou

 

«Je n’ai jamais été au courant que les débats allaient porter sur le fond. De toutes les façons, c’est une procédure, et lorsqu’il y a des incidents on est amené soit à aller directement au fond soit on se déporte en fonction de l’évolution du dossier. Il y avait aussi des procédures pendantes au niveau de la chambre criminelle de la cour de cassation où le bâtonnier a fait l’objet de traitement discriminatoire. C’est la raison de mon déport. Nous avons fait un pourvoi en cassation contre l’arrêt qui a renvoyé le bâtonnier devant la chambre en vue de son annulation. Les recours sont recevables, mais le parquet général, à court d’argument, se permet de dire que par rapport au bâtonnier, on juge au cas par cas et a demandé que le pourvoi soit irrecevable, ce qu’a fait la chambre sur cette requête qui avait une très grande incidence sur la procédure de fond ».

 

Propos recueilli par A.D.

 

Encadré 2

Que disent les articles visés ?

 

Article 43 

A l’audience, la présence d’un conseil auprès de l’accusé est obligatoire.

Si l’avocat choisi ou commis conformément aux articles 15 et 16 de la présente loi ne se présente pas, le président d’audience en avise immédiatement le bâtonnier qui, lui, en commet un d’office.

Article 7

Tous (ndlr : parlant des accusés) sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination.  

 

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