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Interrogatoire au fond : L’accusé Mohamed Zerbo à la barre

 

Cette fois-ci, c’est la bonne. Après quatre mois de tiraillements sur les exceptions et incidents de procédure, les déports d’avocats et les suspensions d’audiences, le procès du putsch manqué de septembre 2015 a enfin pu entrer dans le fond avec l’entame de l’interrogatoire des accusés le 29 juin 2018. Premier appelé à la barre, le sergent-chef  Lahoko Mohamed Zerbo dont l’audition s’est étalée sur les journées de vendredi et samedi derniers. Retour sur ces deux jours d’audience.

 

 

L’ultime tentative des avocats de la défense de repousser l’échéance n’aura pas abouti : à l’entame de l’audience, plusieurs demandes de sursis à statuer ont été en effet formulées, mais aucune n’a obtenu de suite favorable. Les dernières questions préliminaires, d’une longue série, vidées, l’interrogatoire au fond pouvait débuter.

Il  était un peu plus de 15h lorsque le sergent-chef Laoko Mohamed Zerbo s’est présenté à la barre pour répondre des faits qui lui sont reprochés : attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires et dégradation volontaire aggravée de biens. Aujourd’hui radié de l’armée, après près de 10 ans de service, il est le premier des accusés à se présenter devant le tribunal.

L’ancien  commando de 33 ans a plaidé non coupable de l’ensemble de ces chefs d’accusation. Il a expliqué avoir reçu un appel du sergent-chef Roger Koussoubé, dit le Touareg, le 16 septembre 2015 entre 13h et 14h. Son interlocuteur lui demandait de rejoindre le garage du palais présidentiel. Il a affirmé s’y être rendu et avoir trouvé sur place le Touareg, l’adjudant-chef major Eloi Badiel et d’autres militaires dont il ignore l’identité. «J’étais en tenue de sport. Le major Eloi Badiel m’a intimé l’ordre d’aller porter une tenue militaire. A mon retour, je n’ai vu que l’adjudant Ouékouri Kossè qui m’a demandé si je pouvais conduire. J’ai dit oui et il m’a dit de conduire un véhicule V8. Nous sommes allés côté ouest du palais pour une mission d’observation», a relaté l’accusé. Il a affirmé n’avoir pas su que quelque chose se tramait. A l’en croire, ce n’est que le lendemain qu’il a appris par les ondes que ses camarades d’armes avaient fait irruption au Conseil des ministres et que des membres du gouvernement avaient été retenus en otages. Il a indiqué s’être rendu pour une autre «mission d’observation» à radio Savana FM entre  16h et 17h,  sur instruction du major Eloi Badiel, en compagnie de trois autres soldats. Le sergent-chef Laoko Mohamed Zerbo a soutenu que le groupe n’a pas investi les locaux de la radio mais est resté à l’extérieur. A leur retour, ils ont croisé des barricades qu’ils ont dégagées à hauteur de la télévision BF1 sans coup de feu.

Ce récit, a fait remarquer le parquet, est en contradiction avec ses premières déclarations consignées dans les procès-verbaux : sur sa « mission d’observation » au palais, l’accusé avait déclaré aux enquêteurs avoir vu des gens dont le sergent-chef Moussa Nébié et le sergent Ollo Stanislas Poda faire  irruption dans la salle du Conseil des ministres ;  il avait également confié avoir participé à une réunion dirigée par Eloi Badiel. Des déclarations que l’accusé conteste aujourd’hui. Pourquoi a-t-il signé alors les P-V ? «Je n’avais pas l’impression d’avoir un juge militaire en face de moi, mais un supérieur hiérarchique», a-t-il répondu. Son avocat, Me Idrissa Badini, a lui aussi opté pour cette ligne de défense en invitant le tribunal à ne pas tenir compte des P-V d’audition : le plus important, selon lui, c’est ce que son client dit à la barre. «On veut nous faire croire que les P-V sont comme parole d’Evangile. Si c’est le cas, Monsieur le Président, il faut simplement lire les P-V et vous entrez délibérer».

A la reprise de l’audience le samedi matin, les débats se sont encore focalisés sur le rôle que le sergent-chef Lahoko Mohamed Zerbo aurait joué lors du putsch à Zorgho, à Savane FM, au studio Abazon et dans le « maintien de l’ordre » à Ouagadougou.

Concernant la capitale du Ganzourgou, il a avoué y avoir été en mission d’escorte. Lui et ses hommes auraient simplement escorté une voiture de marque Mercedes. Sur les lieux, il a installé un périmètre de sécurité autour d’une maison. Mais il est formel, il n’a jamais su qu’il s’agissait des locaux d’une radio.

A Savane FM, il a parlé d’une mission d’observation qui consistait à voir s’il y avait des choses suspectes qui s’y déroulaient, comme des gens qui entrent ou sortent avec des armes.

Au parquet, qui lui faisait remarquer qu’il jouait au poète en disant qu’à la présidence il faisait de l’observation, le sergent-chef a répondu qu’il n’en était rien, car de sa position, c’était des arbres et des fleurs qu’il voyait et que le dire n’avait rien de poétique.

Me Séraphin Somé de la partie civile a voulu savoir le niveau d’instruction de l’accusé, mais Lahoko Mohamed Zerbo a refusé de le dire : «Je ne réponds pas à cette question, car ça n’a pas de lien avec les infractions pour lesquelles je suis poursuivi».

L’accusé a affirmé n’avoir été informé de l’arrestation des autorités de la Transition que le 17 septembre 2015 au carré d’armes. Mais le parquet n’était pas de cet avis. Sur ce point, son avocat, Me Idrissa Badini, a répliqué : «Mon client dit qu’il n’a eu l’info que le 17, on dit qu’il devrait être au courant  de cela dès le 16. Mais il n’était pas obligé d’écouter la radio le 16 septembre 2015».

Tout au long de son interrogatoire, le sergent-chef a nié avoir eu à tuer ou à blesser un manifestant. Du coup s’est posée la question de la difficulté à trouver nommément les auteurs des tueries et à prouver leur culpabilité. La difficulté est d’autant plus grande qu’il faut établir un lien direct entre les tueries et leurs auteurs, car, dans un procès pénal, la peine est personnelle tout comme l’infraction. Du coup, les morts sont réels, mais on ne peut pas dire qui les a tués. C’est pourquoi le parquet a voulu soulever l’idée d’une question subsidiaire de requalification des infractions afin de pouvoir imputer la responsabilité des morts et des blessés aux accusés.

Mais les avocats de la défense ne sont pas de cet avis. Pour eux, en dehors du rapport de la médecine légale, aucun rapport balistique n’incrimine précisément un accusé. C’est au parquet de s’évertuer à apporter des éléments de preuves pour qu’on puisse juger ces infractions.

Sur ce point un débat s’est engagé entre les deux parties et finalement le président du tribunal a estimé que ce débat était prématuré, car ne devant intervenir qu’à la fin de l’instruction à la barre. La requalification est donc une question primitive pour l’heure.

L’audience, qui a été suspendue peu de temps après 13 heures, reprendra ce lundi 2 juillet 2018 à 9 heures.

 

San Evariste Barro

Hugues Richard Sama

 

 

Les derniers préliminaires avant d’aller au fond

 

Avant qu’on entre dans le fond des débats, des avocats de la défense avaient introduit des exceptions d’incompétence du tribunal : Me  Olivier Yelkouny et Me Dieudonné Bonkoungou, les deux plaideurs, ont expliqué que l’arrêt de renvoi du 27 décembre 2017 renvoyait les accusés devant «la chambre de jugement», or le général Diendéré et sa suite sont présentement jugés devant «la chambre de première instance». En attendant le résultat de leur recours contre l’arrêt de renvoi devant la Cour de cassation, ils demandaient la suspension du procès.

Du déjà-vu, a répliqué le parquet, rappelant que le début du procès avait été déjà marqué par le débat sur la compétence du tribunal. Sans surprise les juges ont déclaré une fois de plus leur requête irrecevable.

Les avocats de Paul Sawadogo et Lassina Ouédraogo ont voulu, eux, que les juges annulent les citations des deux accusés, car les documents ne portaient pas mention des charges retenues contre eux. «Une erreur matérielle», a expliqué le ministère public. Leur requête, bien que jugée recevable a été rejetée.

L’ultime préliminaire  est venu de Me Bonkoungou qui a indiqué avoir saisi la Cour de justice de la CEDEAO des violations des droits de la défense.  Ce qui n’a pas empêché le procès d’entrer dans sa phase décisive.

 

HRS

 

 

Les pandores remballent caméra et appareil photo

 

Au début du procès en février, la communication de l’état-major général des armées filmait les audiences. Mais le caméraman a péri dans l’attaque du 2 mars. Depuis, plus rien. Lors des dernières audiences, la caméra a fait son retour dans la salle des Banquets, mais cette fois tenue par un gendarme. Me Bonkoungou a interrogé le tribunal sur l’enregistrement des débats fait  par les pandores alors que cela est interdit  sans autorisation expresse : c’est la raison d’ailleurs pour laquelle les journalistes ne sont pas autorisés à entrer dans la salle avec leur matériel de travail. Il ressort des explications du procureur militaire que les prises de vues s’effectuent pour des besoins d’archivage de la justice militaire qui s’est adjugé ce droit sans un quitus du tribunal. La défense et la partie civile ont souhaité alors que les journalistes puissent, eux aussi, filmer le procès. Alioun Zanré n’y a pas vu d’objection. Pour la première fois depuis le début du procès,   les trois parties étaient d’accord sur une chose. Après s’être retirés pour statuer sur cette exception en vue de permettre la publicité des débats, les juges n’y ont pas donné de suite favorable. Les chasseurs d’images de la gendarmerie ont donc été priés de cesser leur activité. Le tribunal a par ailleurs ordonné la mise sous scellés des enregistrements déjà effectués.

 

HRS

 

 

Dialogue entre Me Farama et l’accusé

 

- Qui est le chef suprême des armées ?

- Le président du Faso.

- Il est arrêté, vous ne faites rien pour le défendre, mais vous exécutez les ordres de ceux qui l’ont arrêté.

- Je suis militaire et exécute les ordres. Je ne juge pas de la légalité de l’ordre, le commandement en est entièrement responsable.

- Donc même si l’ordre est illégal, vous, vous l’exécutez ?

- Oui. Moi, je n’ai pas à juger si l’ordre est légal ou pas. C’est comme ça dans l’armée. Pour preuve, jusqu’à vendredi dernier, la gendarmerie filmait ce procès. C’est illégal, tout le monde le sait. Mais qu’est-ce que le procureur militaire vous a dit ? Il a dit que c’est le commandement qui a demandé cela pour des besoins d’archives. Pourtant le parquet sait bien que c’est illégal, mais comme le commandement a ordonné, il a obéi. C’est comme ça dans l’armée.

Ambiance dans la salle.

 

SEB

Dernière modification lelundi, 02 juillet 2018 22:25

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