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Procès putsch manqué : Le déballage de «Touareg» n’a pas eu lieu

Du mardi 10 au vendredi 13 juillet 2018, voilà le temps que la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou a mis pour boucler l’audition du sergent-chef Roger Koussoubé, dit «Le Touareg». Ce même vendredi, deux autres accusés ont été appelés à la barre : le soldat de 1re classe Boureima Zouré et le sergent-chef Adama Diallo. On retiendra surtout que le grand déballage promis par « Le Touareg » n’a pas eu lieu puisqu’il a préféré se rétracter ou se réserver, c’est selon.

 

 

Il était 9h13 le vendredi 13 juillet dernier lorsque le président de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou, Seidou Ouédraogo, son conseiller et ses juges assesseurs ont fait leur entrée dans la salle d’audience. «Veuillez vous rasseoir, l’audience est reprise, nous appelons à la barre l’accusé Koussoubé Roger Joachim Damagan dit Le Touareg », a indiqué Seidou Ouédraogo.

Le mis en cause, vêtu d’une chemise à manches longues, la chevelure ainsi que la barbe bien peignées, se présente devant les juges avec une bouteille d’eau. «Nous demandons au chef Koussoubé s’il se sent prêt à faire le déballage qu’il a laissé entendre après ce que le parquet a pris comme mesures de sécurité. Est-ce que ce que le parquet a fait est suffisant ? », a interrogé Seidou Ouédraogo.

Et l’accusé de rétorquer : «Je préfère me réserver toujours ». (voir à ce sujet en encadré les échanges qui en ont résulté).

Le parquet militaire a fait savoir qu’il est entré en contact avec le régisseur de la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA) afin de savoir si l’accusé fait l’objet d’une quelconque menace. L’intéressé lui-même a dit se sentir bien dans sa cellule et n’a pas voulu non plus changer de quartier.  La hiérarchie militaire, selon Alioun Zanré, a été saisie de la question et s’est fait fort de localiser le domicile du sergent-chef en vue de faire le nécessaire. A l’audience, il a été également demandé au Touareg s’il a toujours des noms de membres de sa famille qu’il souhaite voir protéger. Mais rien n’y fit. Dans le but de couper court aux joutes verbales, Seidou Ouédraogo a remercié l’accusé pour sa déposition à la barre, tout en l’invitant à poursuivre les échanges avec ses conseils si toutefois il se sentait prêt à divulguer d’autres informations. «Je tiens à présenter mes condoléances aux familles des disparus, prompt rétablissement aux blessés et pardon au peuple burkinabè pour tout ce qui s’est passé », a conclu le sergent-chef Koussoubé dont l’audition a duré deux jours et demi.

 

Zouré plaide non coupable

 

A la suite du sergent-chef, c’est le soldat de première classe Boureima Zouré qui a été invité à la barre. Il lui est reproché des faits d’attentat à la sûreté de l’Etat, de meurtre, de coups et blessures volontaires ainsi que de dégradation volontaire aggravée de biens. «Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ? » lui a demandé du tribunal.

 Le natif de Bobo-Dioulasso a balayé du revers de la main les quatre chefs d’inculpation. Autrement dit, il ne s’y reconnaît pas. «Le tribunal vous écoute», lui a alors lancé Seidou Ouédraogo.

Le quadragénaire (42 ans), déjà condamné à 10 ans de prison ferme au procès dit de l’attaque de la poudrière de Yimdi, a expliqué qu’il se trouvait au domicile de François Compaoré, à Ziniaré, le 16 septembre 2015. Ce jour, vers 9 h, il dit avoir reçu un coup de fil de sa femme l’informant que leur  bambin est malade. Il est donc venu à Ouagadougou et a continué dans une localité pour chercher des produits de la pharmacopée traditionnelle à même de guérir son rejeton. Sur le chemin du retour, vers 17h, il a reçu un appel téléphonique d’une personne (ndlr : il ne se rappelle pas le nom de celle-ci) lui disant de rejoindre le camp Naaba Koom II. «Il était à peu près 18h30 lorsque je suis arrivé et on nous a dit de rester sur place », a déclaré Boureima Zouré. «Le quartier était donc consigné, pourquoi ? », a cherché à savoir Seidou Ouédraogo. «On ne m’a rien dit », s’est contenté de réagir le soldat. «Qu’est-ce que vous avez constaté ? », a ajouté le président de la chambre. «Tout le monde était sur place, j’ai même demandé la permission de repartir, comme mon enfant ne se sentait pas, on m’a dit que je pourrai retourner à la maison mais pas pour y passer la nuit», a indiqué l’inculpé.

Dans la soirée du 16 septembre 2015, le soldat Zouré a soutenu qu’il ne s’est pas rendu à la présidence ni au palais. Le 17 septembre, il n’est pas sorti et n’a «rien fait ». Mais le 18 septembre, il a été de la mission qui s’est rendue à Zorgho sur instruction du sergent-chef Ali Sanou. Dans le véhicule V8 gris qui les a conduits en ces lieux, il était aussi avec deux autres militaires (Hamidou Zongo et Samuel Coulibaly). Il y avait, en plus, une autre équipe dirigée par Mohamed Laoko Zerbo.

«Pourquoi vous êtes allé à Zorgho et qu’est-ce que vous y avez fait ? », a intervenu Seidou Ouédraogo. «On ne m’a pas dit. Arrivé, je suis resté dans le véhicule, je ne sais pas ce qui a été fait », s’est défendu l’accusé, en précisant que sur la route de Zorgho, le cortège a  croisé un véhicule de type Mercedes, avec à son bord une femme ; laquelle a conversé avec le sergent-chef Ali Sanou, avant qu’ils ne continuent. D’après les explications du soldat, la mission a regagné Ouagadougou dans la soirée, et lui Zouré, n’a pas été à l’hôtel Laïco, ni chez Simon Compaoré et encore moins à Boulmiougou.

 

«Je n’ai pas frappé le ministre Bagoro »

 

Invité à s’entretenir avec l’accusé, le parquet militaire a demandé au mis en cause si dans la soirée du 16 septembre 2015, il a participé à la concertation qui a eu lieu sous le hall. Zouré a répondu par la négative or selon le parquetier beaucoup d’autres accusés, comme Nion, ont reconnu le soldat à cette rencontre. «Je vous dis que je n’étais pas là-bas ? », a réagi de nouveau le soldat Zouré sur un ton qui se faisait un peu plus menaçant. «Vous dites que vous êtes arrivé au camp vers 18h30, en enquête préliminaire, vous avez dit 16h, vous avez parlé d’autorités qui ont été arrêtées et conduites au palais », a continué Alioun Zanré. «Je n’ai jamais dit ça, ce sont eux qui ont écrit ce qu’ils veulent. C’est ça le problème de la justice militaire, il faut écouter la personne, il ne faut pas aller prendre ce qu’elle n’a pas dit. Je t’informe que moi je suis illettré. Si j’avais fait l’école, je serais adjudant aujourd’hui », a répliqué le père de quatre enfants qui a fini par confesser ses difficultés à s’exprimer et se faire comprendre dans la langue de Molière.

 Bien que le parquet lui ait fait la proposition de lui trouver un interprète, Boureima Zouré a préféré continuer à parler le français qu’il a appris dans l’armée. «Mais pourquoi alors vous avez signé les P-V si ce ne sont pas vos propos qui ont été retranscrits ? », a renchéri le commandant Zanré. «C’est l’armée, si ton supérieur te dit de signer un papier, tu vas signer ».

«Etes-vous celui qui a ôté la cravate du ministre Bagoro et l’a brutalisé ? », a poursuivi le magistrat militaire ? L’accusé après avoir secoué la tête a affirmé ceci : «Je n’ai jamais mis la main sur le ministre Bagoro, je ne le connaissais même pas. Je n’ai pas menacé ni frappé une autorité et Dieu merci, à la télé ce ministre a dit qu’il n’a pas été frappé ». Le soldat Zouré qui a opté pour le «négationnisme» selon le parquet et les avocats des parties civiles, nie avoir fait des patrouilles, tiré des coups de feu en l’air et a fortiori avoir levé des barricades. Il se rappelle l’itinéraire du retour de Zorgho mais pas à l’allée. En tous les cas, le parquet a imputé la mort du jeune Apollinaire Kologo à la patrouille qui est passée devant l’ENAREF, en direction du Ganzourgou. S’il y a une chose que le médaillé militaire avec agrafe Soudan n’a pas réfutée, c’est bien l’existence des trois courants au sein de l’ex-RSP mais il s’est dit «très petit » pour en parler. Il a néanmoins terminé en présentant ses condoléances aux familles des victimes et en demandant pardon au peuple burkinabè. Son conseil, Me Regis Bonkoungou, qui n’a fait que trois interventions (essentiellement des observations), a souhaité que la chambre prenne en considération la déposition de son client en barre d’audience, celui-ci ayant soutenu avoir fait l’objet de tortures lors de l’instruction.

 

« Je préparais mon mariage quand on m’a dit de revenir au camp »

 

Le même conseil, Regis Bonkoungou, devait également assurer la défense du sergent-chef Ali Sanou, le premier des accusés de la troisième liste qui venait d’être communiqué. «Monsieur le président, je vous demande de remettre à lundi l’audition du sergent-chef Ali Sanou afin que je puisse bien me préparer étant donné que l’on vient de terminer l’interrogatoire du soldat Zouré ». Seidou Ouédraogo qui n’a pas trouvé d’inconvénient à la requête de l’avocat a donc voulu programmer le second, Seydou Salama.  Mais l’avocat de cet accusé, Mahamadi Sawadogo, ne s’attendait pas non plus à entrer en scène. C’est finalement le sergent-chef Adama Diallo et son conseil Me Timothée Zongo qui se sont jetés à l’eau.

Le sergent-chef Adama Diallo est également poursuivi pour : attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre sur 13 personnes, coups et blessures volontaires sur 42 autres et dégradation volontaire aggravée de biens. Il a reconnu le premier chef d’inculpation pour avoir été à la présidence au moment des faits avec l’équipe qui a procédé à l’arrestation des autorités de la transition même s’il se défend d’être entré dans la salle où se tenait le Conseil des ministres. «Je préparais mon mariage pour le 17 septembre 2015. Le 16, je suis allé chercher des chaises, je suis passé au camp et plus tard, l’adjudant Nion m’a dit de revenir. Arrivé au camp, j’ai vu des militaires, en armes, des jeunes et on nous a dit d’embarquer dans un véhicule qui était déjà en marche. En moins de deux minutes, j’ai porté un gilet sur une tenue civile sans savoir ce qu’on partait faire », a raconté le sergent-chef Diallo. «Mais quand Nébié Moussa dit Rambo est descendu avec le président de la transition, suivi des autres autorités, à quoi avez-vous fait allusion ? Quand avez-vous su que c’était un coup d’Etat ?», a interrogé le substitut du procureur militaire, Mamadou Traoré.

«Pour moi, c’était pour rechercher des solutions aux problèmes que vivait le RSP avec le Premier ministre Yacouba Isaac Zida. J’ai appris que c’était un coup d’Etat quand le colonel Bamba a fait la déclaration dans la matinée du 17 septembre », a répliqué le chef Diallo. Or, au moment de sa déposition en enquête préliminaire il disait que le fait d’arrêter Michel Kafando prouve qu’il s’agissait bel et bien d’un coup d’Etat mais que la question qui était sur les lèvres en ce moment était de savoir qui se trouvait derrière l’action. Il ne s’est pas dédit, se contentant de parler d’un problème de compréhension vu la nuance qui en a été faite par le parquet.

«Vous étiez responsable de la sécurité de l’ex-président guinéen, Moussa Dadis Camara, pourquoi vous vous êtes mêlé à cette arrestation malgré cette mission ? Est-ce qu’arrêter quelqu’un était dans vos attributions ?  », a demandé Mamadou Traoré. « Mes missions au RSP priment sur les autres, c’est le major Badiel qui m’a fait appeler. Il le fait d’habitude quand il y a une mission présidentielle et qu’il manque d’hommes, il peut me dire d’envoyer deux éléments ou de venir moi-même leur prêter main-forte. Ce jour j’ai participé à l’action, je l’ai fait sous le coup de la peur. Je suis arrivé trouvé des gens armés, surtout des jeunes, j’ai eu peur et j’ai embarqué dans un véhicule. Si j’avais refusé de le faire, ce n’est pas sûr que j’allais être devant votre barre, Monsieur le président».

Pour le procureur militaire et les conseils des parties civiles, les accusés doivent cesser de faire croire que dans l’armée le refus d’un ordre équivaut ipso facto à signer son arrêt de mort. L’exemple parfait dans ce contexte est que le sergent-chef Koussoubé a refusé d’aller à l’assaut en parlant de son «teint clair, reconnaissable » mais rien ne lui est arrivé.

De l’expertise des SMS, il est ressorti que le sergent-chef Diallo fait partie de ceux qui ont reçu chacun 1, 941 million de francs CFA. Il n’a pas souhaité faire de commentaire là-dessus. Il a récusé les accusations de meurtre et de coups et blessures volontaires, soutenant n’avoir tué ni blessé personne au cours des événements. Son avocat, Me Timothée Zongo, a relevé une «erreur matérielle » concernant l’infraction de dégradation volontaire aggravée de biens. L’infraction, selon lui, fait partie des charges énumérées à l’encontre de son client alors que dans l’arrêt de renvoi, Diallo a été disculpé de ce chef d’accusation. Le sergent-chef a également terminé par la formule, apparemment propre à tous les accusés qui se sont déjà succédé à la barre. L’audience, suspendue à 16h05, reprendra ce lundi avec l’interrogatoire des autres accusés de la troisième liste.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

 

Liste de la 3e vague des accusés qui défileront à la barre

Sergent-chef Sanou Ali

Soulama Seydou, militaire

Sergent-chef Diallo Adama

Caporal Drabo Hamidou

Adjudant Birba Michel

 

 

«C’est du bluff, Le Touareg n’a plus rien à dire »

 

Le début de l’audience a été marqué par des débats en rapport avec le déballage qu’avait laissé entendre le sergent-chef Koussoubé si toutefois il avait certaines garanties, notamment sur sa sécurité et celle de sa famille. Me Prosper Farama, conseil des parties civiles, a estimé que le parquet aurait dû s’y prendre autrement en s’entretenant directement avec l’accusé au lieu de passer par le régisseur de la MACA.

Cependant, son confrère Ali Neya (parties civiles également) a signifié que le parquet a fait le nécessaire afin que l’accusé puisse s’exprimer librement. Il y voit plutôt une stratégie de l’accusé visant à intimider tout autre accusé ayant des révélations susceptibles de le mettre en cause.

Pour Me Séraphin Somé (parties civiles), c’est du «bluff, le chef Koussoubé n’a plus rien à dire ».

Le conseil du mis en cause, Me Alexandre Sandwidi, en dernier ressort, a soutenu que si le sentiment d’insécurité demeure, il est loisible à son client de retenir les informations qu’il possède ; l’essentiel étant qu’il a déjà dit le nécessaire en vue d’assurer sa défense.

 

A.D.

 

 

Zouré, le soldat ‘’wacké’’

 

Lors de son audition, le soldat de première classe Boureima Zouré, qui dit être contre l’injustice, aurait reçu de Dieu des pouvoirs lui permettant de sauver son prochain. «Même si la personne est dans un trou de rat, je peux l’en faire sortir », a-t-il déclaré. Il a cité en exemple des individus qu’il a arrêtés et remis à qui de droit. Ces derniers, des pro-Zida, étaient chargés d’éliminer le colonel-major Boureima Kéré, le colonel Céleste Coulibaly et le général Gilbert Diendéré. «Zida me connaît très bien pour ça, car je suis quelqu’un qui n’aime pas la saleté ».

Selon ses dires, il aurait également sauvé beaucoup de vies au cours de ses missions onusiennes.

Au procès dit de l’attaque de la poudrière de Yimdi, où il a écopé de 10 ans de prison ferme, il avait déclaré que pendant son arrestation vers Léo, tout un chargeur de fusil (Kalach) et un P.A. ont été vidés sur lui sans qu’il rende l’âme.  «Je ne mens pas, il y a toujours le tee-shirt blanc taché de sang, je peux vous l’apporter », a-t-il insisté.

«Mais avec tous ces pouvoirs surnaturels, pourquoi vous avez fui en Côte d’Ivoire ? », lui  a demandé le parquet. «Si j’ai fui ce n’est pas pour ma sécurité, je ne voulais pas m’opposer à des gens de mon pays. Si c’était ailleurs, beaucoup allaient savoir qui est le soldat Zouré ». Ambiance !

 

A.D.

Dernière modification lelundi, 16 juillet 2018 21:32

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