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Procès putsch manqué : Le récit du sergent-chef Ali Sanou

 

Le sergent-chef Ali Sanou était à la barre, hier 17 juillet 2018, dans la salle des Banquets de Ouaga 2000 où se tient le procès des accusés du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015. L’accusé, qui a déjà été condamné à 17 ans de prison en avril 2017 dans le dossier de l’attaque de la poudrière de Yimdi, a plaidé non coupable de l’essentiel des charges qui pèsent sur lui.

 

 

 

 

Dans sa déposition à la barre, le sergent-chef Ali Sanou a fait savoir qu’il était de repos le 16 septembre 2015. Dans l’après-midi, alors qu’il était avec des amis, il a reçu un appel téléphonique du sergent-chef Roger Koussoubé qui l’invitait à venir au palais (16h15). Arrivé sur place, le chef Koussoubé, d’après les explications de celui qui a été la pièce maîtresse de l’attaque de la poudrière de Yimdi, était en communication mais l’a instruit de se présenter à l’adjudant-chef major Eloi Badiel. «Quand j’ai vu le major, il m’a dit de patienter que le général arrive».

 

Le 17 septembre, il a vu le capitaine Abdoulaye Dao, qui lui a enjoint d’aller à la télévision nationale du Burkina car le général devait faire une déclaration et n’avait aucune idée de la teneur de cette déclaration. Le lendemain 18, à peine arrivé au Conseil de l’entente, c’est l’adjudant-chef Jean Florent Nion qui lui a dit, au téléphone, que des barricades ont été érigées sur la route de Bobo. En s’y rendant, à hauteur du monument de la Bataille du rail, le chef Sanou a réalisé que les barricades étaient déjà enlevées et il s’est dirigé dans la foulée vers le pont de Boulmiougou.

 

 «Quel a été votre constat une fois sur le pont ? », a demandé le président de la chambre de première instance du Tribunal militaire de Ouagadougou. «J’ai vu des motos brûlées mais je ne sais pas qui a fait ça », a précisé le quadragénaire qui fêtera son 42e anniversaire aujourd’hui car il est né le 18 juillet 1976 à Bobo-Dioulasso.

 

«Vous n’avez pas posé la question à Nion ? », a ajouté Seidou Ouédraogo. «Si, il a dit que ce sont des motos de ceux qui ont mis les barricades », a répondu le chef Sanou. «Etes-vous allé au domicile de Simon Compaoré ? », a encore voulu savoir le président Seidou Ouédraogo. «Affirmatif », s’est contenté de dire l’ex-membre du Groupement des unités spéciales (GUS) de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP), avant de nuancer : «On était de passage avec le chef Mohamed Lahoko Zerbo. La cour avait été déjà vandalisée, je suis entré et au niveau du garage j’ai vu un téléviseur cassé, il y a des jeunes qui voulaient entrer, j’ai dit non».

 

«Avez-vous été au niveau du maquis la Ouagalaise et qu’est-ce que vous y avez constaté ? », a interrogé le président de la chambre. «Affirmatif. J’ai constaté qu’il y a des gens qui se partageaient de l’argent. J’ai continué à 150 m du maquis, il y avait un kiosque et les gens ont fui entrer dans une cour. Je suis entré également, j’ai vu une femme et son enfant, la femme a commencé à pleurer. Je lui ai demandé pourquoi elle pleurait et je suis ressorti. Au maquis, j’ai trouvé des gens à plat ventre. Des éléments leur posaient des questions, notamment sur qui leur avait donné l’argent.  Là-bas, sincèrement, j’ai fait un geste.  Il y a un monsieur qui parlait en mooré que je ne comprends pas. Je lui ai donné un coup de cordelette, s’il m’écoute en ce moment, je lui demande pardon, je n’ai pas voulu être violent ni le brutaliser, je demande pardon», s’est-il confondu en excuses.

 

 

 

«On a été au studio Abazon mais ce n’était pas notre destination»

 

 

 

En poursuivant avec les questions d’éclaircissement, Seidou Ouédraogo a également cherché à savoir si le chef Sanou s’est rendu au studio Abazon, du rappeur Smockey. «On est allé enlever des barricades au niveau de la pédiatrie, c’est là que nous avons appris qu’il y a des éléments armés qui étaient dans la zone. On s’est retrouvé vers le SIAO, ensuite au studio mais on ne partait pas là-bas», a expliqué le radié des effectifs de l’armée burkinabè. En ces lieux, une roquette a été utilisée contre les installations mais le sergent-chef Sanou ne sait pas qui l’a tirée.

 

«Contez-nous l’étape de Zorgho à présent », a souligné Seidou Ouédraogo. «On était au niveau de l’espace Jean-Pierre Guingané lorsque le chef Zerbo a reçu un appel téléphonique du chef Koussoubé. Il nous a dit : ‘’Est-ce que vous savez que la radio qui émet se trouve à Boudry ?’’ Il nous a informés, mais souvent les chefs ne donnent pas les instructions clairement. En partant là-bas, Nébié Moussa m’a demandé aussi d’escorter un ami à lui qui voulait quitter Ouaga. En allant je ne savais pas qu’on partait dans les locaux d’une radio. C’est au retour que j’ai su que le matériel de la radio a été détruit ».

 

«Qu’avez-vous posé comme acte là-bas ? », a demandé Seidou Ouédraogo. «Personne n’a fait un geste. En cours de route, il y a une dame qui était à la sortie d’un village. Elle nous a fait signe de nous arrêter. Je suis allé parler avec elle et nous l’avons suivie jusqu’à Zorgho. Arrivés, nous avons stationné devant une cour, le portail était déjà ouvert. La femme y est entrée, je suis entré aussi. J’ai fait le tour du bâtiment pour voir et je suis ressorti. Elle est ressortie, on a pris la route pour Ouaga et arrivé, elle a sorti sa main du véhicule nous saluer et on s’est séparé. Nous sommes allés au Conseil de l’entente. Il était 18h30 », a développé celui qui purge déjà 17 ans de prison ferme dans le cadre de l’attaque de la poudrière de Yimdi.

 

Au soir du 18 juillet, sur instruction du major Badiel, Ali Sanou s’est rendu dans une boulangerie à Koulouba pour chercher du pain qu’il a amené au stade au profit de pèlerins. Le 19 septembre, il a été à l’hôtel Laïco. «Le major nous a appelés, Mohamed Lahoko Zerbo, Roger Koussoubé, Jean Florent Nion et moi en disant qu’il y a des manifestants qui veulent empêcher la rencontre avec Macky Sall. Un des gardes du corps du président du MPP a été frappé. Des gens en voulaient visiblement à Roch Marc Christian Kaboré. Nion est arrivé pour le protéger, je me suis mis devant lui et j’ai en quelque sorte frayé le chemin et nous l’avons conduit dans l’hôtel. Je ne suis pas entré, je suis reparti à la présidence». Selon ses propos, il a été désigné par le fameux major Badiel pour participer à la rencontre avec le président sénégalais et c’est au cours de cette entrevue avec les membres du RSP qu’il a su qu’il y avait un problème, autrement dit un coup d’Etat. Il pensait beaucoup plus à un comité qui avait été mis en place pour discuter et trouver des solutions consensuelles aux préoccupations du RSP avec le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida.

 

 

 

«La déposition du chef Sanou est en phase avec les P.-V, mais… »

 

 

 

Après avoir écouté attentivement la narration des faits du sergent-chef Ali Sanou, le procureur militaire, Alioun Zanré, s’est réjoui de ce que la déposition faite à la barre d’audience était, pour la majeure partie, conforme aux déclarations tenues en enquête préliminaire. «Il a accepté de parler, nous le remercions, il n’est pas comme d’autres qui se sont inscrits dans une défense de rupture, mais avec le temps, il y a des détails qu’il a omis. Ces faits pourront nous aider à comprendre davantage ce qui s’est passé. Je m’en vais lui rappeler des déclarations qu’il pourra préciser mais ce qui est constant, ce qu’il a dit ne décolle pas des déclarations en enquête préliminaire », a fait remarquer le parquetier.

 

«En enquête préliminaire, vous avez dit que quand vous avez vu Koussoubé, il vous a dit qu’ils venaient de mettre fin à la transition. Il a ajouté que les autorités avaient été arrêtées. Vous avez dit ‘’Dieu merci, tout le monde savait ce que faisait la transition.’’ Vous lui avez posé la question : ‘’je fais quoi ?’’ Et il vous a dit d’aller voir le major Badiel. Reconnaissez-vous ces déclarations ?», a introduit le procureur Zanré. «Il ne m’a pas dit qu’ils ont arrêté les autorités et mis fin à la transition, je n’ai pas dit ‘’Dieu merci’’, je ne reconnais pas ça », a rétorqué le chef Sanou. «Allons donc avec cette autre déclaration, pour ce qui est du studio Abazon, vous avez dit que Mohamed Laoko Zerbo est descendu avec une roquette incendiaire, c’est votre déposition devant le juge d’instruction, avez-vous un commentaire là-dessus ? », a ajouté le magistrat militaire. «Ça n’a pas été écrit comme ce que j’ai dit », a réagi l’accusé.

 

 

 

« Il est difficile de construire un mensonge cohérent »

 

 

 

Pour le substitut du procureur militaire, Mamadou Traoré, «Ali Sanou qui a été félicité au départ pour sa volonté de parler, occulte la vérité sur des détails importants, essentiels que lui-même avait dit. Il occulte la vérité sur des passages qui pourraient mettre à mal ses collègues ». Selon le parquet, la plupart de ces détails à même d’apporter des éclairages et de contribuer à la manifestation de la vérité sont réfutés par l’accusé. «Chef Sanou, le juge d’instruction n’a pas été inventif jusqu’à ce point. Il est difficile de construire un mensonge cohérent », a  soutenu Mamadou Traoré.

 

«Vous avez désarmé les agents de sécurité du président Kafando et du Premier ministre Zida, de quel droit vous les désarmez ? », a poursuivi le substitut. «Non, c’est la sécurité des autres ministres qui étaient au parking, même au temps de Blaise Compaoré, on le faisait, mais il n’y a pas eu de problème », a rétorqué l’inculpé qui a signifié plus tard avoir fait ce désarmement sans heurt au moyen d’une stratégie dont lui seul aurait apparemment le secret.

 

«Est-ce que vous saviez que vos actes sont constitutifs d’infractions ? », a insisté Mamadou Traoré. Et l’inculpé de répondre qu’il ne savait pas. Pour lui, il a exécuté des ordres militaires et n’a jamais pensé qu’un jour un ordre pouvait être déclaré légal ou illégal. Tout en regrettant les morts et les blessés qui ont été enregistrés, il a avoué n’avoir jamais été contraint à participer au coup mais l’a fait par «esprit militaire». Il a déclaré avoir aperçu d’autres militaires qui étaient avec eux sur le terrain lors des patrouilles mais qui ne se retrouvent pas dans le box des accusés. «Il y avait 8 à 10 véhicules de type V6 et V8 sur le terrain, contrairement au nombre de 5. Je demande au major Badiel, il n’a qu’à faire pardon et venir nous dire la vérité, c’est lui qui nous a fait sortir. On ne sait pas qui protège les autres. Le chef Zerbo a essuyé des tirs, moi aussi. Nous l’avons relevé devant le juge d’instruction », a regretté l’accusé. La seule fois qu’il a utilisé son arme P.A. SAPPEL (arme dont la détonation provoque un bruit assourdissant dans l’optique de disperser des manifestants), c’était vers l’hôtel Libya. Selon l’avocat de Sanou, il n’y a pas plus cohérent que ce que son client a déroulé devant le juge, son conseiller et les juges assesseurs,  tout en défiant le procureur militaire d’apporter des preuves concrètes pour étayer ses arguments, «lui qui est beaucoup attaché aux P.-V ».

 

L’interrogatoire du sergent-chef Ali Sanou a pris fin dans l’après-midi et le tribunal a appelé à la barre le soldat de 2e classe Seydou Soulama. Il purge déjà une peine de 10 ans de prison dans le dossier de l’attaque de la poudrière de Yimdi. Le soldat a décidé de plaider non coupable. Son interrogatoire se poursuivra ce matin.

 

 

 

San Evariste Barro

 

Aboubacar Dermé

 

 

 

Encadré

 

«C’est quoi, le ‘’merci papa’’ ? »

 

 

 

«Au soir du 28 septembre, lors d’un rassemblement, vous dites que sachant qu’il y a des soldats loyalistes qui viennent de l’intérieur du pays, les jeunes ont dit au général d’amener de l’argent pour qu’ils se battent, est-ce exact, chef Ali Sanou ?», a demandé Alioun Zanré. «L’argent dont il est question, c’est ‘’merci papa’’, on était à l’approche du mois d’octobre, les gens attendaient ça pour inscrire leurs enfants à l’école… », a expliqué le sergent-chef Sanou, avant de se prêter aux questions du président de la chambre : «Merci papa, c’est quoi ? »  «Quand le président Blaise Compaoré était là, c’est une somme d’argent qu’il nous donnait et les gens disaient merci papa, c’est ainsi que cette appellation est restée». « C’est combien de francs ? », a demandé Seidou Ouédraogo. «Je ne sais plus exactement, mais je sais que j’ai déjà reçu 30 000 francs CFA dans ce sens.  Même sous la transition, on nous en donnait, c’était devenu un droit ».

 

 

A.D.

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