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Caporal Saïdou Lankoandé : Un « athlète » à la barre

L’audience du procès du putsch manqué d’octobre 2015 se poursuit à Ouaga 2000. Le lundi 20 août 2018, deux accusés étaient à la barre : le soldat de 1re classe Lawapan Placide Sow, dont l’interrogatoire a débuté le 18 août, et le moniteur de sport de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle, le caporal Saïdou Lankoandé, qui a plaidé non coupable. 

 

Appelé à la barre deux jours plus tôt, le soldat de 1re classe Lawapan Placide Sow avait nié les faits qui lui sont reprochés : atteinte à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires et dégradation volontaire aggravée de biens. Suspendu vendredi dernier, l’interrogatoire de l’accusé a repris par des observations de son conseil, Me Orokia Ouattara. Dans sa déposition, le natif de Toma avait indiqué avoir reçu, le 16 septembre, un coup de fil du sergent-chef Roger Koussoubé l’informant d’une situation inhabituelle au camp.

S’y étant rendu, il a pris part à un rassemblement à l’issue duquel il a appris que le quartier était consigné. Toujours selon les déclarations du mis en cause, dans la nuit de la même date, il est allé causer avec son frère, Léonce Sow, dans un poste de garde. Mais le parquet avait rétorqué que l’accusé était plutôt allé renforcer un poste, évoquant celui d’Alaska, où étaient retenues les autorités de la Transition. La présence du soldat au poste de commandement de son frère ne peut pas être retenue comme un élément de complicité d’atteinte à la sûreté de l’Etat, selon son avocat.

Sur ces observations du commis à la défense du soldat Sow, le président du tribunal, Seydou Ouédraogo, a ordonné la fin de l’audition. Sans trêve, le caporal Saïdou Lankoandé a été appelé à la barre.

Le président du tribunal a débuté la vérification de son identité en ces termes : « Caporal Saïdou Lankoandé, vous êtes né le 1er janvier 1990 à Bogandé, célibataire, père d’un enfant... » Le président sera interrompu par l’accusé qui tenait à rectifier sa situation matrimoniale : « Père d’un enfant au moment des faits, mais maintenant j’ai deux enfants ». Ambiance dans la salle.

Alors moniteur de sport de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle au moment des faits, il pèse contre lui trois chefs d’accusation : attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires. L’accusé de 28 ans a plaidé non coupable avant de donner sa part de vérité. Selon le récit du natif de Bogandé, dans l’après-midi du 16 septembre, il était dans son camp de commandement, où il y avait tous les jours à 15 heures un rassemblement. En sa qualité de moniteur de sport, il devait préparer un match de volley-ball après ce rassemblement. Mais lors du regroupement, il apprend que le quartier est consigné. Il passe donc la nuit au camp Naaba Koom II.

Dans la matinée du 17, il a pris part à un autre rassemblement, à 7h, où la même consigne de disponibilité a été renouvelée. Après avoir regagné son bureau, il a été rejoint par le sergent Martial Zoubélé, qui était sur une grosse cylindrée et lui a demandé de l’accompagner en ville. « J’ai demandé à mon chef de service, le sergent Henri Coulidiaty, si je pouvais partir avec Martial. Il a répondu par l’affirmative », a relaté le caporal, précisant que son supérieur lui a ordonné de prendre son arme de dotation, une kalachnikov. Selon le récit de l’accusé, avec le sergent Martial, ils se sont rendus à la place de la Nation, où ils  ont trouvé des véhicules stationnés. Pour le sportif du RSP, la sortie avec le sergent Zoubélé était en fait une mission de reconnaissance à la place de la Nation. Il lui a été demandé s’il pouvait préciser le nombre de véhicules garés et leurs marques, ce à quoi il a répondu par la négative.

Sur le chemin du retour, non loin du lycée Marien N’Gouabi, ils ont dû faire face, à ses dires, à des manifestants qui leur jetaient des pierres. C’est alors que le caporal, se servant d’une cordelette, a molesté un des révoltés qui fonçait sur eux, après l’avoir saisi et plaqué au sol. Après ces échauffourées, les deux militaires ont regagné le camp.

Le tribunal a demandé au comparant s’il avait fait des tirs de sommation. Celui-ci a répondu par la négative en précisant que le chef Martial Zoubélé Ouédraogo peut en témoigner puisqu’il était derrière lui a moto. Le caporal Lankouandé Saïdou nie les faits qui lui sont reprochés mais admet avoir fait usage de sa cordelette pour « fouetter » un manifestant. Il dira qu’après cet incident, une fois de retour il est allé directement dans son bureau de sport.

Quel a été leur itinéraire a voulu savoir le président Seydou Ouédraogo ? A cette question, Saïdou Lankoandé a dit de se référer au sergent Martial, qui conduisait la moto.

Après un rassemblement le soir du 17 septembre, le caporal Lankoandé a été désigné pour prendre part à une mission à la frontière avec le Togo. Une mission pour laquelle la tenue militaire « terre du Burkina » était consignée en lieu et place de la tenue Léopard du RSP. N’en disposant pas, le caporal a fait recours à un camarade d’armes qui lui a prêté cet uniforme. Il effectuera cette mission avec le lieutenant Boureima Zagré. « En quoi consistait-elle ? » a demandé le président du tribunal. L’accusé, se référant aux explications du chef de mission, a déclaré qu’il s’agissait d’aller chercher quelque chose à la frontière du Togo, s’abstenant de donner le moindre détail sur cette mission de Cinkansé.

Quand le tribunal lui demande de préciser le nombre de véhicules de la mission et leur marque, l’accusé répond que seul son chef de mission, en la personne du lieutenant, peut répondre à cette question. Pour lui, il n’a pas vu le chauffeur ni à l’aller ni au retour et il était de retour le 18 septembre dans l’après-midi.

« C’est à ce moment que le lieutenant m’a dit que je suis libre pour aller me débarbouiller (prendre une douche) et chacun a rejoint son Groupement car le quartier était toujours consigné. »

Il dit avoir quitté le camp Naaba Koom II le 28 septembre pour rejoindre le Camp Guillaume Ouédraogo le 29 soir. Dialogue entre l’accusé et le parquet.

« A quel moment vous avez appris que les autorités avaient été  arrêtées ? » « A la télé. » « Avant le 16, est-ce que tous les jours le quartier était consigné ? » « Non. » « Pourquoi précisément ce jour-là ? » « Avez-vous cherché à savoir ? » « Non. » « Avez-vous assisté au rassemblement du 17 matin ? » « Oui. »

Le parquet lui a alors rappelé que du dossier il ressort qu’il a été décidé de constituer des équipes pour une mission de patrouille pour le maintien de l’ordre et pour éviter tout regroupement dans la ville. Le parquet a à peine fini de poser sa question que l’accusé réplique.

Le Tribunal le rappelle à l’ordre lui intimant de se tenir dans la posture de l’accusé car c’est le tribunal qui pose les questions.

Le parquet poursuit ses déclarations en disant que les éléments qui étaient à moto devaient frayer le passage à des véhicules et de préciser que dans l’interrogatoire du fond le sieur Martial avait dit qu’ils devaient ouvrir la voie.Le caporal demandera entre-temps de le juger uniquement pour l’acte qu’il a commis en ville, c’est-à-dire le fait d’avoir frappé un manifestant.

Son avocat viendra à sa rescousse en déclarant que son client s’est retrouvé au camp pour les besoins de sa mission, une obligation à laquelle il s’est plié et il s’est trouvé de ce fait au moment indiqué au mauvais endroit. De l’avis de l’avocat, consigner un quartier est un ordre militaire. Il a poursuivi que le contenu de la mission de son client était d’accompagner et mieux encore, il a pris le soin d’en informer son supérieur hiérarchique. Il a pris un exemple en disant que lorsqu’un avocat aîné vient dire quelque chose, en vertu du droit d’aînesse, lui il doit obéir. Pour lui, le parquet devrait signifier à son client ce qu’on lui reproche, apporter les pièces à conviction afin qu’on en discute, car c’est ça le procès pour lui.

« Nous ne sommes pas de mauvaise foi, mon client reconnaît avoir fouetté un manifestant et le reste le sergent Ouédraogo viendra le confirmer ou pas ».

A la fin de son interrogatoire, le caporal Saïdou Lankoandé a demandé pardon à la personne qu’il a frappée et dit regretter son acte. Il a dit avoir médité sur ses actes à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA). Il souhaite prompt rétablissement aux malades et blessés et que les âmes des défunts reposent en paix. Il a promis de ne plus recommencer.

L’audience reprend ce matin à 9 heures.

 

San Evariste Barro

Félicité Zongo

Bernard Kaboré (Stagiaire)

 

 

 

Encadré

Une pause qui a permis au caporal de mettre de l’eau dans son vin

 

Durant son interrogatoire, le caporal Lankoandé niait tous les faits qui lui sont reprochés. Compte tenu de l’agressivité que l’on sentait dans son ton, le président du tribunal a suspendu le procès pour une dizaine de minutes pour que l’accusé puisse se calmer.

A la reprise, même les avocats de la partie civile, notamment Me Séraphin Somé, ont salué l’idée de cette suspension, qui a permis de rasséréner le climat d’audition de l’accusé. Selon lui,  cette suspension a été bénéfique pour l’accusé, même s’il a noté une certaine résistance à bien répondre. Pour l’avocat, c’est une stratégie de défense que le caporal a adoptée. A l’issue de ses questions, Me Somé a avancé qu’une chose constante se dégage de l’interrogatoire du caporal : le caporal Lankoandé s’est rendu à la place de la Nation, non pour le sport mais pour réprimer des manifestants par l’usage de la force. Aujourd’hui, tout est confirmé « plaquer un manifestant au sol qui le lapidait et le fouetter, il s’est rendu à la frontière du Togo non pas pour le sport mais pour s’approvisionner en matériel pour atteinte à la sûreté de l’Etat. » Pour l’avocat, il n’y a pas de dessin à faire ni de photos à prendre, car tout est clair. Il a ajouté qu’il n’y a rien à chercher pour le caporal Lankoandé car la messe est dite.

Mais le conseil du caporal n’entend pas les choses de cette oreille. Il a signalé au passage que quand l’heure de la plaidoirie sonnera, ils vont bien l’entendre. Avant de ramer à contre-courant de Me Somé pour blanchir son client Lankoandé. Il a laissé entendre que si la messe est dite que tout le monde sorte de la salle. Pour lui, tout accusé a le droit le plus fondamental de mettre en cause ses déclarations en enquête préliminaire même devant le juge d’instruction il faut se rattraper au terminus et le terminus, c’est maintenant, a-t-il conclu.

 

F. Z.

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