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Procès putsch manqué : Le dernier mot de Me Hermann

Hier 23 octobre 2018, dans la salle des banquets de Ouaga 2000, Me Hermann Augustin Magloire Yaméogo était encore à la barre de la chambre de première instance du Tribunal militaire de Ouagadougou. Au troisième jour de l’instruction du dossier devant le président Seidou Ouédraogo et les autres membres de la juridiction, l’accusé, droit dans sa ligne de défense, a réitéré qu’il n’a fait qu’exprimer son opinion sur la situation qui prévalait au temps fort du putsch manqué du 16 septembre 2015 et les jours suivants.  Par conséquent, il a contesté les faits de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et les coups et blessures volontaires à lui reprochés.

 

Au troisième jour de l’interrogatoire de Me Hermann Augustin Magloire Yaméogo, les avocats de l’accusé ont dit avoir tout  fait pour montrer qu’il n’y a rien de concret dans le dossier à même d’établir la culpabilité de leur client, tandis que du côté du parquet militaire et des avocats des parties civiles, les preuves foisonnent pour justifier le maintien de l’homme politique dans les liens de la prévention.

Dès que le président de la chambre de première instance du Tribunal militaire de Ouagadougou et les autres membres ont pris place, à 9h10 mn, l’accusé a été de nouveau convoqué pour apporter des réponses aux questions et observations que les différentes parties au procès voudraient formuler à son endroit. La première personne à tenir le crachoir est Me Antoinette Ouédraogo, l’un des avocats du président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD), poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, et de coups et blessures volontaires. «Vous dites avoir appris qu’il y a eu un coup de force sur internet et à travers des coups de fil, le 16 septembre 2015 ;  est-ce que vous connaissiez les motivations des auteurs ? », a demandé l’ex-bâtonnière. «Non ! » a répondu Me Hermann Yaméogo. «Est-il possible ou admissible qu’au moment où les faits se déroulaient vous ayez apporté un soutien à quelqu’un que vous ne connaissiez pas ? » a ajouté l’avocate. «Impossible, Maître », lui a précisé le mis en cause. L’accusé a par ailleurs soutenu qu’il n’a ni matériellement ni personnellement participé à la mobilisation des manifestants pro-inclusion. Il n’a pas non plus appelé sur des médias en vue de soutenir l’action en cours et encore moins posté des messages sur internet dans ce sens.

«Avez-vous remarqué la mobilisation des manifestants pro-exclusion ? », a renchéri Me Ouédraogo. «Je n’étais pas là-bas, Maître», s’est contenté de déclarer le politique. «Au vu de vos réponses, je deviens de plus en plus circonspecte quant aux chefs d’inculpation qui vous sont reprochés. Mais, pensez-vous que s’il n’y avait pas eu de déclaration de soutien au CND, vous seriez là ?  a poursuivi Me Antoinette Ouédraogo. «Je pense que c’est le prétexte qui a été avancé », a réagi l’auditionné. « En votre âme et conscience, pouvez-vous nous dire que vous n’avez  rien fait ? », a interrogé Me Ouédraogo. «Effectivement, si nous n’avions pas exprimé notre opinion, nous ne serions pas là », a soutenu l’accusé. Selon l’ex-bâtonnière, sa déduction est toute simple : «C’est parce que vous avez exprimé une opinion que vous êtes devant le tribunal militaire».

 

«L’argent reçu de la Côte d’Ivoire n’est pas un délit »

 

Ancien bâtonnier du Sénégal, Me Yerim Thiam, l’autre avocat constitué auprès du président de l’UNDD, viendra à la suite de sa consœur tenter de tirer son client d’affaire : «Est-ce que l’impact d’une déclaration est un élément constitutif d’un délit quelconque ?»

«Jusque-là, je n’en ai pas connaissance », a fait savoir Me Hermann Yaméogo. « Est-ce qu’on peut être poursuivi pour une opinion ? » a voulu savoir l’ancien bâtonnier du Sénégal. «Oui, une opinion raciste, car dès lors qu’on la manifeste par des actes, c’est répréhensible », a instruit l’inculpé. Dans la foulée, Me Thiam ira jusqu’à invoquer l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen (1789) et  l’article 35 dudit texte (1793) pour parler du droit à se révolter contre l’oppression et d’avoir recours à l’insurrection. «Qu’est-ce que ces articles vous inspire, Maître ?» a-t-il demandé à son client. «Ça confirme ce que je développe, Maître, le pouvoir appartient au peuple qui peut le reprendre lorsqu’on ne s’en sert pas au profit du peuple », a souligné l’accusé.

L’ancien bâtonnier développera également son argumentaire sur les articles 109 et 110 du Code pénal, qui, selon ses propos, ne sont pas opposables à son client. «Pour qu’on vous déclare coupable sur la base del’article  109, il faut que vous ayez apporté une aide ou une assistance quelconque pour consolider le coup de force. Avez-vous donné une salle, des chaises ou un autre moyen ?  Ça n’existe pas en ce qui vous concerne. Une déclaration faite, de l’argent reçu de la Côte d’Ivoire ne sont pas un délit », a fait observer Me Thiam. Et son client d’apporter de l’eau à son moulin : « Maître, ça aurait pu être un acte de complicité si la somme avait été négociée avec les auteurs du coup en vue d’aider, de consolider, mais là, ça ne tient pas ».

Abordant l’article 110 dudit Code, il a mis l’accent sur la partie, ‘’le complot suivi d’un acte commis ou commencé pour en préparer l’exécution…’’. Pour lui alors, la déclaration et l’argent reçu ne constituent pas des éléments ayant servi à la préparation du coup qui avait d’ailleurs été déjà opéré. Selon ses propos, « il n’y a rien dans le dossier de mon client si ce n’est des affirmations à l’emporte-pièce. Ce sont des affirmations avec des ‘’je crois que’’, ‘’je pense que’’ ; les accusations sont fondées sur quoi finalement ? », a-t-il demandé pour conclure.

 

 «Je ne vois pas comment on peut être responsable d’un acte qu’on n’a pas  commis »

 

«Me Yaméogo Hermann Augustin Magloire, vous êtes également poursuivi pour coups et blessures volontaires sur 42 personnes, est-ce que vous reconnaissez ces faits ? »,  lui a demandé le juge Seidou Ouédraogo pour entamer l’instruction du deuxième chef d’inculpation. «Je les conteste, Monsieur le Président », a répliqué l’accusé. «Monsieur le procureur militaire, vous avez la parole pour vos questions », a indiqué celui qui a la police de l’audience. «Me, est-ce que vous étiez solidaire des manifestants pro-inclusion ? », a introduit le parquet militaire. «Oui, mais je n’étais pas pour qu’ils aillent attaquer qui que ce soit », a répondu Me Yaméogo. «Dans cette mobilisation à Laïco, il y a eu des coups et blessures sur des personnes, est-ce que vous n’êtes pas aussi responsable de ces coups et blessures volontaires ? », a ajouté l’accusation. «Je ne vois pas comment on peut être responsable d’un acte qu’on n’a pas commis », a rétorqué l’inculpé.

Le ministère public s’est ensuite échiné à établir la culpabilité de Me Hermann Yaméogo pour l’infraction de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat avant de faire appel à l’article 67 du Code pénal. «En brandissant la liberté d’opinion, il y a une méprise de votre part. La liberté nous permet d’avoir une opinion, une analyse de la situation, et d’exprimer cette opinion, mais elle a des limites. Quand quelqu’un appelle l’armée à la sédition, ça ne peut pas passer », a soutenu le parquet militaire. Pour la partie poursuivante, ce sont les actes posés par Me Hermann Yaméogo qui ont achevé de les convaincre de son implication dans cette affaire. Elle en veut pour preuve «l’écrit manifestant le soutien au CND le 20 septembre, des sms qui sont sans équivoque : ‘’Dis-lui de ma part que si le RSP assure le côté militaire, nous pouvons gagner le côté politique’’ », Le parquetier n’avait pas fini d’égrener sa liste que Me Yaméogo est sorti de ses gonds : « Concernant les sms, dites-le en japonais, en chinois, je ne m’occupe pas de cela, ça me laisse de marbre, ces répétitions peuvent bien marcher lors des tortures, on répète la même chose 10, 20 fois et plus. Mais pour des questions de principe, je n’entre pas dans les écoutes illégales ».

«Me est-ce que ce n’est pas parce que ces messages vous compromettent ? », a souligné le parquetier. «Je ne répondrai pas à cette question », s’est contenté de dire l’accusé. «Est-ce que vous connaissez le 70 … ?», a renchéri le procureur militaire. «Je vous ai dit que je ne répondrai pas à cette question », a contre-attaqué l’accusé. Seidou Ouédraogo, lui, a décidé de couper court : « Monsieur le procureur, l’accusé ne souhaite pas répondre à cette question, passez à autre chose ». « Je vous en remercie, Monsieur le Président », a signifié Me Yaméogo.

Mais pour l’accusation, le rôle des politiques a été clair :  au-delà des messages et déclarations, l’accusé se serait battu au cours des négociations avec les chefs d’Etat de la CEDEAO pour que la junte militaire continue avec une nouvelle transition avant de brandir un nouveau sms : «Sentant que le général a voulu faire sa reddition, il a envoyé un message disant ceci : oui, ça ne va pas m’étonner, il est faible. Cela en réponse à un message où l’interlocuteur disait : je crois qu’il va céder, les Roch ont exigé sa reddition ». Pour le ministère public et les avocats des parties civiles, beaucoup de faits permettent d’établir la complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat reproché à l’accusé et que si d’aventure, il en était déclaré coupable, il peut également lui être appliqué l’article 67 du Code pénal. (voir encadré).

Invité à dire son dernier mot, Me Hermann Yaméogo a d’abord eu une pensée pour ses enfants, qu’il n’a pas vus depuis 7 ans du fait des turpitudes liées à sa vie politique ; il a ensuite parlé de ses trois petits-enfants qu’il ne connaît pas. «Il y a aussi un parent venu de Koudougou qui m’a supplié de demander pardon au tribunal. Je lui ai dit qu’on demande pardon quand on a fauté. Par contre, je vais demander pardon pour des accusés que j’ai côtoyés. Des accusés dont la jeunesse et la compétence pouvaient être mises au service de la Nation. Il me plaît de parler de ces situations que de mon propre cas », a indiqué Me Yaméogo. Dans son développement, il a rappelé ce qu’il a dit au président Blaise Compaoré à l’issue du coup d’Etat de 1987 : il faut faire revenir les exilés, réhabiliter le capitaine Thomas Sankara, entre autres. Selon ses propos, le Burkina Faso va mal. «Ça ne va pas aujourd’hui, il faut qu’on passe à autre chose, je demande pardon à Roch et je serai prêt à m’agenouiller, il faut que le pays aille à la réconciliation. Je vous remercie, Monsieur le Président», a conclu Me Hermann Yaméogo avant de regagner sa place.

A l’issue de son audition, c’est Salif Sawadogo qui lui a succédé à la barre. Son interrogatoire se poursuit aujourd’hui 24 octobre 2018, à partir de 9h.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

 

Encadré

Les articles visés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen

 

Article 2 :

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Article 35 :

Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

 

Encadré :

L’article 67 du Code pénal

 

Les auteurs, coauteurs et les complices d’un crime ou d’un délit ou d’une tentative de crime ou de délit sont également responsables de toute autre infraction dont la commission ou la tentative sont une conséquence prévisible de l’infraction.

 

Encadré

Me Séraphin Somé indigné par des propos de Me Thiam

 

Après que Me Yerim Thiam a formulé des griefs contre le tribunal militaire, Me Séraphin Somé de la partie civile s’est  dit  fortement indigné par les propos de l’ancien bâtonnier sénégalais. «Ça fait 25 ans que je suis dans la profession, c’est la première fois que je vois un avocat venu d’un pays frère jeter tant de discrédit sur notre système judiciaire ; un avocat soutenir avec force que notre justice militaire ne maîtrise pas la procédure pénale parce que ce sont des militaires ; un ancien bâtonnier qui dit que notre juge d’instruction a fait une interprétation farfelue du Code de procédure pénale. C’est la première fois que j’ai entendu dire ‘’si c’était un juge d’instruction normal’’. On ne pourrait pas jeter tant de boue sur la justice sénégalaise. Il ne faut pas couvrir cette audience de tant d’injures alors que cette justice est bienveillante à l’égard des accusés. Que cela soit entendu une bonne fois pour toutes, on ne veut plus entendre tant de saletés sur notre justice », s’est indigné Me Somé.

 

A.D.

Dernière modification lemercredi, 24 octobre 2018 20:51

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