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Procès putsch manqué: Cette déclaration du 14 septembre dont Diendéré évite de parler

Après deux jours consacrés à sa déclaration liminaire, le général de brigade Gilbert Diendéré était toujours à la barre, hier ,28 novembre 2018 dans la salle des Banquets de Ouaga 2000, pour répondre aux questions du ministère public ; lequel a tenu à établir le fait que le général, au moment des faits, n’était plus dans la chaîne de commandement de l’ex-RSP mais a «curieusement» occupé le devant de la scène en donnant des ordres. Il est ressorti qu’un document dénommé Comité patriotique national pour la démocratie (CPND), rédigé dès le 14 septembre 2015, a été extrait de l’ordinateur du cerveau présumé du putsch. Cependant, «Golf» n’a pas souhaité s’étaler là-dessus, en décriant les conditions dans lesquelles ledit document avait été extrait.

 

 

8h55 : dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. A quelques minutes de l’entrée du Tribunal. Dans le box des accusés, Ousséini Faisal Nanéma continue de recevoir les congratulations de ses coaccusés, lui qui a bénéficié, la veille, de la liberté provisoire. Les chaleureuses poignées de main vont bon train, des embrassades par-ci, un signe de la main par-là, en guise de bonjour à ses connaissances. Me Yérim Thiam, lui, était en train de deviser avec les non moins célèbres accusés que sont Djibril Bassolé et Me Hermann Yaméogo.

9h07 : Seidou Ouédraogo et les autres membres de la juridiction sont annoncés. «L’audience est reprise, nous appelons à la barre le général Gilbert Diendéré. En rappel vous êtes poursuivi pour 5 faits : attentat à la sûreté de l’Etat ; meurtres, coups et blessures volontaires ; incitation à commettre des actes contraires au devoir et à la discipline militaire ; et trahison.

La parole au procureur militaire pour ses questions et observations », a dit en guise d’introduction, le président de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou qui apercevra une main levée du général comme pour indiquer qu’il a quelque chose à dire. «Le général demande la parole, vous l’avez », a ajouté Seidou Ouédraogo. «Hier vous avez fait une observation en disant que vous n’alliez pas asseoir votre conviction en tenant compte de ce qui a été dit dans la presse mais je tiens à apporter deux rectifications : j’ai entendu au niveau de la presse que j’aurais dit ‘’et ce qui devait arriver, arriva’’. Non, je n’ai pas dit ça, j’ai dit ‘’ce qui est arrivé arriva’’. Ensuite, en écoutant le journal de 7h30 de RFI, le correspondant a dit que j’ai demandé au chef d’état-major général des armées (CEMGA) de me donner des noms pour constituer le gouvernement du CND.  Non, ce sont les membres du CND ». Passé ces rectifications, «Golf» était alors tout ouï au procureur militaire.

«Le premier axe de mon intervention portera sur l’organigramme de l’ex-RSP. Le général a parlé de textes, notamment du décret de 1995 qui crée le régiment et du décret modificatif de 2000. Il y a le chef de corps, son adjoint, et rattaché à l’adjoint une administration et quatre groupements. Mon général, est-ce que la lecture que j’ai faite de l’organigramme est exacte ?», a interrogé le parquet militaire. «Oui», lui a répondu l’accusé. «Est-ce qu’avec le décret de 2000, il y a toujours une place dans la chaîne de commandement en rapport avec le chef d’état-major particulier de la présidence du Faso ?», a ajouté le parquetier. «Non», a réagi le général qui précisera que le chef d’état-major particulier de la présidence du Faso était comme un intermédiaire avec le chef de l’Etat pour lequel le RSP assurait la sécurité. Il joue aussi un rôle de coordination entre les différentes forces de la sécurité qui assuraient des missions soit permanentes soit ponctuelles en rapport avec la sécurité du président. «Avez-vous un texte qui sous-tend ce que vous expliquez? Le texte de 1995 ne dit pas cela, mon général ? », a poursuivi l’accusation. «Il y a des textes mais je ne les ai pas ici», a relevé le cerveau présumé du putsch manqué de septembre 2015. «Mais vous, quelle était votre place au moment des faits ? ». «Je n’avais plus de fonction, j’étais à la maison», a fait savoir l’homme mince. «Donc, je peux en conclure que vous n’étiez plus dans la chaîne de commandement et que vous n’étiez plus habilité à donner des ordres », a conclu le parquet militaire. «Oui vous avez bien compris», a reconnu le mis en cause.

 

«En les suivant, vous mettez dans votre poche, un papier contenant des griefs contre la transition»

 

Dans la foulée, le ministère public a voulu savoir en quels termes les adjudants Moussa Nébié dit Rambo et Jean Florent Nion ont abordé le général après l’arrestation des autorités de la Transition. L’accusé, lui, ne se rappelle plus des termes exacts mais sait grosso modo qu’ils ont déclaré que les autorités avaient été arrêtées et qu’ils venaient le chercher. Il était donc chez lui, en attendant de mieux comprendre la situation à l’arrivée des sous-officiers. Quand ces derniers se sont pointés, ils ont expliqué la situation avant de l’inviter à venir au camp afin de trouver une solution à la crise. «En les suivant pour la recherche de solutions, curieusement, vous mettez dans votre poche un papier, un brouillon qui contenait des griefs contre les autorités de la Transition. Quelle explication vous donnez à cela mon général ? », a demandé l’accusation. «Monsieur le procureur, il n’y a pas d’explication particulière, j’avais des documents dans mon sac, ce n’est pas expressément ce papier que j’ai mis dans ma poche », s’est défendu le natif de Yako. Pour le ministère public, cela constitue déjà un élément laissant apparaître que l’action avait bel et bien été préparée et préméditée contrairement à la ligne de défense du général qui a soutenu d’emblée n’avoir «ni commandité, ni planifié, ni organisé, ni exécuté ce que d’aucuns appellent coup d’Etat du 16 septembre 2015 ».

Une observation qui a été suivie d’une autre question : «finalement, vous, mon général, n’ayant aucune fonction dans la chaîne de commandement, des hommes viennent vous voir, vous demandent de venir au camp pour résoudre une crise, vous appelez le CEMGA, le chef d’état-major particulier de la présidence du Faso, le major Boureima Kiéré, vous instruisez le commandant Abdoul Aziz Korogo de sonner l’alerte, en quelle qualité vous avez fait tout cela ? ». «Je vous ai fait comprendre que depuis décembre 2014, lorsqu’il y a une crise, on me faisait appel. Le 30 décembre, on m’a fait appel. Le 3 février 2015, le président Kafando m’a appelé. Ce même jour, Zida m’a appelé. Le 4 février, le Moogho Naaba m’a appelé. Le 28 juin, l’ambassadeur des Etats-Unis m’a également appelé. Tout le monde savait que je n’avais plus de fonction dans la chaîne de commandement, mais ils se disaient que c’est une personne qui peut contribuer à trouver des solutions face aux crises», a expliqué le sexagénaire. Selon l’accusé, l’instruction faite au commandant Abdoul Aziz Korogo n’était, en réalité, qu’un «conseil d’un grand frère à un petit frère, d’un ancien à un jeune ». Il a défié le parquet de citer un exemple d’ordre qu’il aurait donné lors des événements. 

Mais selon le ministère public, si les personnalités citées plus haut ont contacté le général à un moment ou à un autre, c’est parce qu’elles ont plutôt estimé qu’il était la personne qui détenait la clé des solutions. Un argument que ne partage pas l’accusé qui dit ne détenir aucune clé mais a toujours fait des propositions «avant que les choses n’arrivent».

 

«Ils ont eu le temps de se concerter pour tout mettre sur moi »

 

En brandissant, par ailleurs, des propos de la hiérarchie militaire contenus dans les P.-V, l’accusation a indiqué que l’ex-CEMGA, le général Pingrénoma Zagré, a signifié à propos de la réunion que : «la parole a été donnée au général Diendéré qui a confirmé l’arrestation des autorités avant de justifier le coup d’Etat : il a parlé de la situation politique, avec l’exclusion de certains partis politiques d’autant plus qu’il y avait eu une décision de la CEDEAO (ndlr : décision de la Cour de justice de la CEDEAO sur la ‘’loi Chériff’’), la non prise en compte par la hiérarchie de la modification d’un article du statut général des personnels des forces armées nationales, de la dissolution du RSP, que c’est pourquoi le RSP a pris ses responsabilités en mettant fin à la Transition et a demandé à la hiérarchie de l’accompagner ».

En réplique, le général a affirmé que «nous savons comment ça s’est passé avec la hiérarchie militaire, ils ont longtemps refusé de déférer à la convocation du juge d’instruction, c’est la clameur publique qui les a contraints ». A écouter le général, six mois se sont écoulés, entre les événements et l’audition des chefs militaires. Pour lui, il s’agit d’une déclaration «bizarre, ils ont eu le temps de se concerter, personne ne voulait subir mon sort en me rejoignant à la MACA (Maison d’arrêt et de correction des armées), leurs déclarations n’engagent qu’eux. Ne me parlez plus de ces auditions, de ces P.-V».

A travers cette réaction un peu musclée, il a exprimé sa volonté de ne pas s’attarder sur les propos de «cette même hiérarchie qui m’a donné un hélico pour la mission de récupération du matériel de maintien d’ordre, cette même hiérarchie qui est restée à mes côtés du 16 au 21 septembre». Selon «Golf», il y a des accusés qui se retrouvent dans le box sans avoir fait «un centième de ce que cette même hiérarchie a fait ». «Si beaucoup sont dans le box des accusés par le fait d’être allé à la place de la Nation pour réparer une moto, pourquoi, eux, ils ne sont pas là ? », s’est interrogé l’accusé qui précisera que sa volonté, cependant, n’est pas d’incriminer X ou Y mais la manifestation de la vérité et non «une certaine vérité ». «Les parents des victimes, les blessés, ne sont pas là pour qu’on condamne quelqu’un mais pour la manifestation de la vérité », a ajouté le mis en cause. Mais sa conviction est que les «choses n’ont pas été faites comme il se devait », en parlant notamment de l’instruction du dossier où il a eu l’impression «qu’on a caché d’autres choses» (voir encadré).

Poursuivant sa série de questions, l’accusation a cherché à savoir si le général connaît un document intitulé ‘’Comité patriotique national pour la démocratie CPND’’. «Je ne reconnais le pas et je ne souhaite pas en parler », a indiqué l’accusé. Une posture qui n’a pas manqué  d’amener le procureur à renchérir : «Pourtant, il a été extrait de votre ordinateur un document créé le 14 et modifié le 17 septembre 2015, avez-vous une observation ?». «Non», a déclaré l’accusé. Ce qui a permis au parquetier de faire une observation avant de se lancer dans une lecture : «Monsieur le président, avec ce document, vous vous rendrez compte que ce n’est rien d’autre que la déclaration CND. Il n’y a eu que quelques modifications en rapport avec le nom du comité. Je vais le lire et que ceux qui ont la déclaration CND la mette de côté pour une analyse comparée».

Le parquet militaire, après avoir «joué» au colonel Bamba (en lisant ledit communiqué) a demandé à l’accusé s’il a une réaction. «Je ne reconnais pas, je n’ai pas de réaction, je vous ai déjà expliqué les conditions dans lesquels le document a été sorti de ma machine », a rétorqué l’accusé.

Auparavant, le cerveau présumé du putsch avait expliqué que lorsque son ordinateur portable a été saisi, l’expert n’arrivait pas à l’ouvrir du fait d’un code qui l’en empêchait. Dès que le code a été saisi par lui-même, la machine a été retirée et quelque temps après, on lui montre un document qui est censé être sorti de son appareil. C’est la raison pour laquelle, il ne l’a pas reconnu, estimant que ce document n’a pas été créé dans son appareil et que quelqu’un l’aurait placé en ce lieu.

«Mon général, vous avez expliqué beaucoup de choses sur la Transition, les autorités, les chefs militaires, est-ce que malgré tout cela la solution c’était un coup d’Etat ? », lui a demandé le procureur militaire. «La solution, ce n’est pas moi qui l’ai trouvée, c’est une recommandation des médiateurs, c’est une solution mais je ne peux pas dire que c’était la meilleure », a fait savoir l’accusé qui s‘est aussitôt vu notifier une autre question : «si vous trouvez que ce n’était pas la meilleure solution, pourquoi avoir accepté alors ? ».

Et le mis en cause de réagir : « les médiateurs ont fait cette recommandation à la hiérarchie militaire qui ne l’a pas refusée mais lorsqu’il s’est agi de prendre la tête, elle a dit qu’elle ne peut pas le faire. Cette solution, ce n’est pas moi qui l’ai trouvée, ce n’est pas une initiative personnelle », a-t-il conclu.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

W. Harold Alex Kaboré

 

Encadré

Qu’est-ce que le juge d’instruction a fait des fameuses listes ?

 

Dans la quête de la manifestation de la vérité, le général Gilbert Diendéré a estimé que le parquet avec tous les moyens qu’il a eus aurait dû procéder à une autopsie des corps et à des études balistiques afin que le tribunal ait des éléments sur «qui a fait quoi ? », par rapport aux meurtres. «Par rapport aux meurtres, vous n’avez aucune preuve, avec tous les moyens que vous avez eus, il n’y a pas eu d’autopsie ni d’études balistiques pour déterminer la cause des décès. Qu’est-ce qu’on a voulu cacher ?

On a donné 24h aux éléments de quitter le camp, ils n’ont pas eu le temps d’enlever leur matériel puis on a bombardé le camp. Des gens avaient leurs cartouches, si quelqu’un en avait 10 par exemple puis ça devient 8, on cherche à savoir ce qu’il a fait avec les 2 autres », a suggéré «Golf». Par contre, il a ajouté qu’il détenait une liste, voire deux, avec des noms de personnes et leurs numéros de téléphone. Ces gens qui se réclamaient d’un comité de résistance se sont réunis les 18, 19 et 20 septembre pour dire qu’il faut «faire beaucoup de victimes, surtout des enfants et mettre ça sur le dos des éléments du RSP».

A en croire le général, des noms de partis politiques y figuraient, mais il n’a pas voulu donner de précisions. Ces documents ayant été saisis, ces listes y compris, ont fait 2 ans avec le juge d’instruction «mais ça ne l’intéressait pas ». «Golf» a pourtant assuré que quand il a retrouvé ces listes, il les a montrées au juge d’instruction qui en a fait une copie mais que rien n’a été fait.

 

A.D.

 

Encadré

« S’il y a des conséquences j’assumerai »

 

A la question de savoir s’il était prêt à assumer les conséquences du putsch, voici la réaction du général de Brigade : «j’assume mes responsabilités mais je ne peux pas dire que j’ai fait ceci ou cela. S’il y a des conséquences j’assumerai. Je ne peux pas dire que j’ai donné l’ordre de faire des choses alors que je ne l’ai pas fait. Nous avons anticipé vu que la Transition courait à la dérive et que les élections n’allaient pas être organisées à bonne date. Au sujet de la libération des otages, mon choix était de faire en sorte que tous les chefs militaires puissent prendre la mesure de la chose en organisant une réunion pour que les solutions idoines soient trouvées. Bien avant, j’ai fait de nombreuses propositions aux sages, aux gradés, au président Michel Kafando, mais personne ne m’a écouté ».

 

W.H.A.K

 

Encadré

«J’ai voulu éviter le partage des SMS incendiaires»

 

On se rappelle qu’une résistance avait été organisée durant le coup de force du RSP,  et cette dernière communiquait sur une radio que les putschistes avaient du mal à localiser. Le parquet a invité le Général Gilbert Diendéré à se prononcer sur les démarches qu’il avait entreprises afin de stopper l’émission de ladite radio.  L’accusé a alors affirmé qu’il était entré en contact avec le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) afin de contrôler les SMS et Internet. «Il m’a dit que cela allait provoquer de grands dysfonctionnements de services connexes. Je lui ai alors dit de laisser tomber. Je lui avais demandé ce service en ma qualité de président du CND. Je voulais éviter le partage des SMS incendiaires et les remous », a-t-il expliqué avant  de préciser que la mission d’identification de la radio pirate émettant sur la 108 FM avait été confiée au colonel Mahamadi Déka. 

 

W.H.A.K

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