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Auguste Sankara : Ou le rêve brisé d’un déficient visuel

 

Les sept universités publiques du Burkina Faso ont accueilli près de 43 000 nouveaux bacheliers pour l’année académique 2018-2019. Auguste Sankara a obtenu le baccalauréat série H avec une moyenne de 10,29/20. Le jeune homme, de 22 ans, a cette particularité : il vit avec une déficience visuelle depuis son neuvième anniversaire. Un obstacle qui, loin de l’amener à baisser les bras, l’a au contraire galvanisé à «bosser dur» dans l’optique de réaliser son rêve : celui de devenir un génie dans la conception de logiciel.

 

Hélas, il sera peut-être contraint de revoir ses ambitions à la baisse. «Je ne dis pas qu’il n’existe pas d’études supérieures en informatique au Burkina Faso, mais il n’a pas été prévu qu’une personne vivant avec mon handicap puisse obtenir le Bac H. Toutes les personnes que je connais finissent par faire de la littérature, mais moi, je tiens vraiment à poursuivre. Je m’y suis orienté depuis la classe de seconde, malgré les difficultés que j’ai rencontrées», explique-t-il. Quelle vocation contrariée !

 

 

 

 

6 septembre 2018, 9h 30, à quelques encablures du quartier Ouaga 2000. «Si vous arrivez devant Palace Hôtel, vous continuez sur la route de Sapouy, comme si vous partez pour le quartier Nagrin. A hauteur du mur du cimetière, vous tournez à droite. Prenez la voie rouge (voie non bitumée) tout en regardant à votre droite. Tant que vous ne verrez pas une école primaire et à côté d’elle, une fontaine, ne vous arrêtez pas. Je ne serai pas loin, je suis habillé en maillot et je porte des lunettes noires». En empruntant l’itinéraire qu’il m’avait indiqué, je trouve le jeune homme à quelques mètres de l’établissement sur le côté gauche.

 

Passé le temps des civilités, le nouveau bachelier déplie sa canne blanche, le fidèle guide des aveugles et malvoyants, et le voilà devant, tâtant le sol avec son bâton. Après à peine une minute de marche, il tourne au premier six-mètres et fait face à la première porte à droite. Il prend le soin de réduire sa canne avant de glisser sa main dans la petite ouverture carrée pour ôter le crochet. La servante, ayant compris la manœuvre, accourt aussitôt : «bonne arrivée», dit-elle avant d’accompagner Auguste sur la terrasse qui venait, visiblement, de recevoir un coup de balai et de l’eau à grandrenfort de détergent, en attestent les éclats des carreaux.

 

Un véhicule, un tas d’objets usés, à l’extrême droite un tableau vert sur lequel figurent des formules mathématiques. Il était également loisible d’apercevoir les escaliers qui conduisent au niveau supérieur du bâtiment. Les deux chiens, assis sur ladite terrasse, comme s’ils voulaient nous dire que nous ne sommes pas le bienvenu, se mettent à aboyer. D’une voix de stentor, Auguste fait disparaître les canidés. 

 

«Comment faites-vous pour indiquer, aussi clairement, où se situe votre domicile malgré votre handicap ?» demandai-je en guise d’introduction. «Je suis dans le quartier depuis longtemps et avant que la vision ne disparaisse j’ai beaucoup tourné. Je connais les coins et recoins de la zone ». Auguste Sankara a vu le jour dans la cité du cavalier rouge, le 24 juin 1996, et y a fait son Cours préparatoire première année (CP1) à l’âge de 7 ans. C’est au Cours élémentaire première année (CE1) dans l’établissement Gueswendbala à Ouagadougou qu’il a commencé à avoir des problèmes de vue. Le glaucome et la cataracte, qui ont été diagnostiqués, se sont aggravés au CE2, l’obligeant à stopper les cours pour s’inscrire à l’école de l’UN-ABPAM (Union nationale des associations burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants). Là-bas, il apprend le braille pendant deux ans (ndlr : système d’alphabet en relief leur permettant de lire et d’écrire). Dans la foulée, il reprend la classe du CE2 jusqu’à décrocher son Certificat d’études primaires (CEP). Son collège (6e à la 3e) s’effectuera au lycée privé Benaja. Le Brevet d’études du premier cycle (BEPC) en poche, Auguste Sankara opte pour une branche technologique : l’informatique. Cette nouvelle étape de son parcours scolaire se déroulera à l’Institut de formation Colbert (IFC).

 

 

 

«Qu’est-ce que tu viens faire ici ?»

 

 

 

Pour celui qui caresse le rêve de devenir un génie en programmation de logiciels, c’est à partir de la classe de 2nde que les difficultés ont commencé à surgir du fait de son choix. «Si je ne m’abuse, j’ai été le tout premier dans mon cas à me lancer en informatique. Certains encadreurs me demandaient à tout bout de champ : qu’est-ce que tu viens faire ici pour une personne qui ne voit pas ? Cela me démoralisait », se souvient-il. Beaucoup de ses enseignants lui auraient enjoint, à maintes reprises, de changer d’option pendant qu’il est encore temps. Mais entêté qu’il est, il est resté droit dans son …braille en dépit des croquis et des graphismes qui foisonnent dans son domaine de prédilection. Il est encouragé par quelques enseignants qui disaient n’avoir jamais été confrontés à ce cas de figure, et encore moins avoir été préparés à donner des cours à une personne en situation de handicap visuel. Mais, à l’écouter, la motivation que cette catégorie d’instructeurs lui insufflait était tout simplement leur patience. «Ils me disaient qu’ils vont essayer de s’adapter. Ils faisaient preuve de patience et prenaient tout le temps qu’il faut pour m’expliquer les cours et les exercices. C’est dans ces conditions que j’ai évolué jusqu’en Terminale, en cette année 2018. Et Dieu merci, j’ai décroché le Bac H », explique le nouveau bachelier. Il obtient son premier diplôme d’études universitaires avec une moyenne de 10,29/20. Il est également admis, au même moment, aux épreuves du Brevet d’études professionnelles (BEP) en informatique (10,41/20). C’est donc deux examens couronnés de succès en une année scolaire.

 

Mais dans quelles conditions ! « Ça n’a pas été simple. Je suis d’abord allé à l’Office du baccalauréat et ensuite à l’Office central des examens et concours du secondaire (OCECOS) pour attirer leur attention sur mon cas. C’était la première fois qu’il y avait un candidat comme moi en informatique. Etant donné que la formulation des sujets ne tient pas compte de nous autres, j’ai jugé utile de me signaler afin qu’ils prennent les dispositions pour que je puisse composer. Il fallait nécessairement adapter tous les sujets pour que je puisse les lire et savoir ce qui est attendu de moi. Malgré cela, ça n’a pas été facile. Pour preuve, le Bac a débuté un mardi (ndlr : 3 juillet 2018) et a pris fin le samedi de la même semaine. Mais moi j’ai continué jusqu’au mardi suivant, une semaine de plus jour pour jour du fait des sujets inadaptés. Concernant le BEP aussi, je n’ai pas eu le même temps que les autres. Eux commencent avant qu’on ne cherche à adapter le sujet pour moi. C’est vous dire que les  difficultés n’ont pas manqué», raconte le natif de Koudougou qui ne cache pas sa satisfaction à l’issue de ce parcours du combattant. Mais hélas il s’agissait d’une éphémère allégresse. Une joie de courte durée qui cèdera vite la place à la mélancolie : «Dans notre système éducatif, le programme est fait pour des personnes valides. Les professeurs non plus ne sont pas préparés à donner des cours à des élèves en situation de handicap visuel. Dans le supérieur, c’est pareil et la situation se complique davantage. A cause du handicap, le cours ne peut pas être dispensé de la même manière. Dans d’autres pays (Canada, Etats-Unis, France, Belgique, Angleterre, entre autres), il existe pourtant des encadreurs réservés pour ce type de handicapé. Donc le problème se situe à deux niveaux : le personnel et le système éducatif lui-même, si bien que je connais des gens qui sont contraints d’aller faire de la littérature, dès lors qu’ils veulent poursuivre des études supérieures », explique le jeune homme. «J’ai choisi l’informatique depuis la classe de seconde. J’y suis resté jusqu’en Terminale et je tiens vraiment à y poursuivre», s’est-il empressé d’ajouter.

 

Les outils informatiques d’une personne déficiente visuelle, dit-il,  doivent être adaptés. Pour qu’un «ordinateur ordinaire» soit utilisé par un aveugle ou un malvoyant, il faut que cet outil soit doté d’une synthèse vocale ou synthèse de la parole. La synthèse vocale est la génération automatique, par des dispositifs matériels et/ou des algorithmes, de parole artificielle. Elle consiste en la lecture par une voix synthétique d’un texte numérique. Auguste Sankara, au stade actuel, possède une machine munie d’une synthèse vocale qui serait dépassée. «Je me débrouille avec mon ordinateur ; même si aujourd’hui, avec la technologie qui évolue de jour en jour, il existe des ordinateurs qui font ressortir des écrits braille. Pour une conception par exemple, il y a des logiciels de langage que ma machine ne peut pas utiliser», soupire-t-il.

 

 

 

Une correspondance restée sans suite

 

 

 

Pour mettre toutes les chances de son côté, le nouveau bachelier se rend à la Direction nationale de l’information, de l’orientation scolaire et professionnelleet des bourses (DIOSPB) afin de plaider sa cause. «Je suis allé là-bas dans le but de décrocher un rendez-vous avec la directrice générale. Je n’ai pas eu gain de cause. Je voulais soumettre mon problème pour voir si j’ai la possibilité d’obtenir une bourse d’étude à l’international. On m’a fait savoir que ça serait compliqué. Néanmoins, j’ai postulé pour la bourse nationale. J’ai également adressé une correspondance à la présidence du Faso, et une demande d’audience auprès du directeur de cabinet de cette institution pour mieux m’expliquer. Je suis toujours dans l’attente», déclare Auguste qui ne sait plus à quel saint se vouer. En désespoir de cause, il laisse échapper encore un soupir comme pour dire qu’il voit déjà son rêve lui filer entre les doigts si rien n’est fait. « Cœur qui soupire n’a pas ce qu’il désire », dit l’adage.  

 

Mais face à cette situation, s’il y a une et une seule personne sur qui Auguste pourra toujours compter, c’est bel et bien son père, Marcel. L’agent du Trésor n’a-t-il pas déjà fourni d’énormes sacrifices pour l’épanouissement de son premier garçon ? «En réalité, Auguste a eu ses problèmes de vision dès qu’il a commencé à marcher. Je ne saurais vous dire le nombre de centres de santé, aussi bien du public que du privé, que nous avons fréquentés en vue de trouver un remède à son mal. On me disait pour me rassurer que sa maladie allait disparaître quand il aurait 15 ans. Il a suivi beaucoup de traitements. Nous avons fait une première intervention de la cataracte, puis une deuxième, mais sa vision a fortement diminué jusqu’à ce qu’il perde la vue », raconte le fonctionnaire actuellement à la disposition du ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme comme régisseur d’avance. Si ce chef de famille a apprécié une attitude lors de ces moments de tristesse, c’est bien le courage et la détermination d’Auguste à ne pas abandonner l’école. «Malgré sa situation, il ne s’est pas considéré comme un aveugle. Il a toujours voulu poursuivre ses études. Le petit est très courageux et décidé. Sinon nous-mêmes, en tant que parents, on aurait baissé les bras», confesse-t-il.

 

Depuis lors, l’aîné de la fratrie de quatre garçons bénéficie d’une attention particulière, et de façon spécifique pour ce qui est de ses déplacements à l’école. Si ce n’est pas le petitfrère, c’est le père ou la mère qui l’accompagne à son établissement ou le ramène à la maison. L’autre sacrifice a été en rapport avec les frais de scolarité du jeunehomme : «au-delà des frais de scolarité dans son établissement, je verse un montant chaque année à l’école de l’ABPAM qui continue de le suivre pour ses devoirs et exercices (voir encadré). Ces montants importent peu. L’essentiel est qu’il a toujours fait des efforts pour progresser d’année en année », précise Marcel Sankara.

 

Entre-temps il a eu l’opportunité de faire un séjour de deux mois au Maroc. Dans le Royaume chérifien, il a fait des pieds et des mains pour savoir s’il y a toujours une possibilité afin qu’Auguste recouvre la vue. «Mais son mal était déjà avancé. On m’a expliqué qu’il y avait de fortes probabilités pour que l’opération ne réussisse pas, au stade où il était, et qu’en cas d’échec, il faudrait carrément lui enlever les yeux. Vous aurez remarqué que ses yeux sont toujours là. S’il ne vous dit pas qu’il ne voit pas, vous ne pouvez pas le savoir à vue d’œil », affirme M. Sankara, le visage grave. Et d’ajouter qu’au nom du droit à l’éducation : «ce serait dommage si le petit n’avait pas la possibilité de poursuivre des études supérieures. L’Etat doit avoir un regard particulier sur ce genre de situations. Quand on voit certains enfants au bord des voies ou devant les feux tricolores, c’est peut-être parce qu’ils n’ont pas eu un soutien, un accompagnement. Leurs parents ont fini certainement par abandonner face à toutes les difficultés. Je vous assure qu’un malvoyant ou un aveugle parmi des voyants, c’est très difficile. Mais je vais continuer à le soutenir tant que je pourrai ».

 

Aboubacar Yago enseigne le français, les techniques d’expression et la rédaction administrative. Pendant ses dix années d’expérience, il a été confronté par deux fois à une personne vivant avec un handicap visuel. Il est de ceux qui admirent Auguste Sankara pour sa résilience. «En classe, il s’adapte, il fait preuve de compréhension face à certaines situations et je l’admire beaucoup. Je suis les actualités à travers les médias, et il arrive que je trouve un texte qui me touche par sa qualité narrative. Je peux donc décider de l’envoyer en classe pour une discussion, et étant donné que ce sont des choses de dernière minute, je fais faire des copies pour les autres, mais lui, il est obligé de s’asseoir et d’écouter», indique l’enseignant avant de relever la «vivacité intellectuelle» de son élève. En effet, comme pour prendre sa revanche, il arrive qu’Auguste, en plein cours, interpelle son prof pour avoir son opinion sur tel ou tel sujet d’actualité. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles il s’en sort très bien dans les sujets de réflexion (dissertation). «Ses camarades de classe eux-mêmes reconnaissent qu’il est très cultivé et c’est son atout», témoigne Aboubacar Yago qui dit ne pas faire de favoritisme en glissant un ou deux points à Sankara. «Notre système a cru que tous les enfants n’ont pas ou n’auront pas de problème. Or, il y a de plus en plus des personnes avec des déficiences visuelles, motrices, auditives, etc. Il est temps qu’on tienne compte de ces catégories de personnes dans l’élaboration de nos curricula et surtout qu’on forme des enseignants à même de dispenser efficacement des cours dans ce sens», déclare l’enseignant pour qui le jeune homme a déjà fait un exploit en décrochant le Bac et le BEP au cours de la même année scolaire. «Pour moi, 10,29/20 au Bac H équivaut à une ‘’mention bien’’ au regard de sa particularité, j’estime qu’il a beaucoup de mérite et l’Etat devrait accompagner ces personnes qui, comme lui, se battent et ne tombent pas dans la facilité en allant aux coins des rues pour inspirer de la pitié », suggère Aboubacar Yago.  

 

 

 

L’horizon s’assombrit à la DIOSPB

 

 

 

Dans la matinée du 22 octobre 2018, submergée par les travaux de la commission d’attribution des bourses au titre de l’année académique 2018-2019, le Dr Rasmata Bakyono/Nabaloum s’extirpe, tout de même, du groupe qui l’assaille pour nous recevoir. Dame Bakyono est, en effet, la directrice des bourses et aides financières de ladite direction. D’entrée elle nous informe que la DIOSPB ne dispose pas de bourses à l’international pour la première année. « Les seules qui existent sont offertes par des pays amis : ce sont le Maroc (100 bourses dont 80 pour les nouveaux bacheliers), la Tunisie (10 bourses), Cuba (2 bourses), enfin la société minière Essakane donne 2 bourses au profit du meilleur au niveau national et dans sa région. Ce sont les seules possibilités de bourses (licence I), à l’international », explique la psychologue. Cette année, dit-elle, les nouveaux bacheliers des séries E et F ont également la possibilité de postuler pour les kits boursiers offerts par l’Inde, car ce sont des séries qui ont des difficultés pour avoir des débouchés au Burkina Faso. Elle précise que les candidates et candidats qui prétendent aux bourses marocaines sont issus des séries C, D, E. Et dit n’avoir jamais entendu parler de bourses pour les bacheliers de la série H ; ce qui explique sans doute pourquoi il a été dit à Auguste Sankara qu’obtenir une bourse à l’international serait compliqué voire impossible. «Pour ce qui est des bourses d’Essakane par exemple, c’est exclusivement pour faire des études dans le domaine minier. En Tunisie, ce sont le génie civil ou le génie mécanique. Au fait, ce sont les pays donateurs qui fixent les conditions », renchérit Dame Bakyono.

 

Pour ce qui est du quota national cette année (2300 bourses dont 1160 pour les nouveaux bacheliers et 300 pour le quota spécial dédié aux filles), Auguste n’est pas éligible du fait de sa moyenne (10,29). « Pourtant, sa moyenne, même si elle n’est pas mirifique, équivaut à une ‘’mention bien’’ pour certains, vu son handicap. N’y a-t-il pas de dérogation spéciale en faveur de ces personnes ? ». «Nous, nous ne pouvons pas entrer dans ces débats, chaque moyenne correspond à une mention donnée et nous ne faisons qu’appliquer les textes. Néanmoins, s’il a pu déposer un dossier comme vous l’avez dit tantôt, c’est certainement dans la catégorie de ce qu’on appelle la bourse pour les personnes en situation particulièrement difficile. Dans ces conditions, nous ne regardons pas immédiatement la moyenne de l’intéressé. Il faut être nouveau bachelier au titre de l’année scolaire 2017-2018, joindre au dossier un certificat d’indigence ou une carte d’invalidité pour les personnes en situation de handicap. Il n’y a que 5 bourses dans cette catégorie, et la difficulté est que nous ne disposons pas d’éléments concrets pour dire qui est plus indigent que l’autre, donc la commission se voit très souvent obligée de procéder par classement en appréciant les critères ‘’âge et moyenne’’ et à ce moment, ce sont les dossiers les plus compétitifs qui seront retenus», précise notre interlocutrice. Elle saisit la perche, à elle tendue, pour faire une mise au point sur une critique qui est faite régulièrement à la direction : beaucoup estiment que ce sont les enfants des personnes les plus nanties qui bénéficient de la bourse d’études. «Toutes les attributions de bourses sont affichées. Si quelqu’un a une moyenne supérieure à celle d’une autre qui a été retenue, il peut venir faire une réclamation. C’est effectivement une rumeur qui a la peau dure mais la confusion vient du fait que dans le temps, il y avait les bourses spéciales qui étaient données à la discrétion du ministre de l’Enseignement supérieur. L’ASCE-LC les a fait supprimer étant donné qu’elles ne passaient pas par la commission. Cette commission est forte de plus de 21 personnes provenant de différents ministères et institutions du pays, il ne peut pas y avoir de favoritisme. Certes, nous pouvons nous tromper, étant des hommes, mais les réclamations sont permises », justifie-t-elle.

 

Qu’à cela ne tienne, Auguste Sankara croise toujours les doigts dans l’espoir qu’un petit miracle se produira. 

 

 

 

Aboubacar Dermé

 

 

 

Post-scriptum : Aux dernières nouvelles, le nouveau bachelier a pu s’inscrire en première année d’informatique à l’Ecole supérieure de micro-finance (ESMI) mais entend toujours plaider sa cause auprès de représentations diplomatiques. 

 

 

 

Encadré :

 

Handicap et niveau d’instruction

 

 

 

Selon les données du Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2006, le nombre des personnes vivant avec un handicap (toutes catégories confondues) au Burkina Faso était de 168 094 pour une population de 14 017 262 habitants, soit 1,2%. 4 années plutôt soit en 2002, un rapport de l’Observatoire national de la pauvreté (ONAPAD) disait que 91,8% des personnes vivant avec un handicap n’ont aucun niveau d’instruction, 4,7% ont le niveau primaire, 1,9% sont du niveau secondaire et seulement 0,24% ont un niveau supérieur. Qu’en est-il de nos jours avec une population estimée à 20 millions d’habitants ? Il n’est pas sûr que la situation se soit sensiblement améliorée.  

 

 

 

Sources : RGPH-2006

 

 

 

Encadré :

 

Comment Auguste écrit et lit ses sms 

 

 

 

Une autre particularité du jeune Auguste Sankara, qui ne passe pas non plus …inaperçue, c’est la possibilité qu’il a d’échanger des sms. Mais comment ça marche ? Son téléphone Android est muni en fait d’une application de synthèse vocale dénommée TalkBack. L’appli, qui a plusieurs fonctionnalités, est développée par Google. Elle permet d’une part d’agrandir les écritures, de mettre des couleurs, entre autres, pour un malvoyant et d’utiliser une voix artificielle d’autre part pour les non-voyants. Auguste utilise la voix artificielle qui lit tout ce qui est sur l’écran dès que vous y posez le doigt. «Pour entrer dans un paramètre, il suffit de double-cliquer. Et si je valide ‘’rédiger message’’, le clavier apparaît et au fur et à mesure la voix me renseigne sur les lettres que je touche et je peux faire relire le message avant de l’envoyer. Si je reçois un sms aussi, j’entre dans ma boîte de réception et la voix me dit le nom de la personne ou le numéro qui m’a envoyé le texto. Je double-clique et elle me le lit », explique-t-il.

 

A.D.

 

 

 

Encadré :

 

A l’école de l’UN-ABPAM

 

 

 

«Bako aime faire l’école buissonnière. Le jour de classe, il suit ses camarades mais lorsqu’il s’éloigne de la maison, il va vers la brousse. Là, il court de buisson en buisson, à la recherche de fruits sauvages. Un jour Bako voit une ruche sur un karité, il s’approche et grimpe sur l’arbre. Il pense à tout ce miel qu’il peut manger comme il veut. Des abeilles s’envolent, effrayées, Bako lâche la branche qu’il tient, il tombe en poussant un grand cri…» Bayane Sinka, d’un ton assuré, était en train de lire ce texte lorsque je faisais la ronde de quelques classes de l’école des jeunes aveugles et malvoyants. Ses quatre autres camarades et lui se tiennent debout après avoir remarqué la présence du ‘’corps étranger’’, annoncé par l’institutrice. Aussitôt assis, l’élève du CE1 reprend sa lecture où il s’était arrêté. Son livre ne laisse voir que des pages blanches, mais pas vierges puisqu’elles contiennent des pointillés qu’il arrive à décoder rien qu’en posant ses doigts là-dessus.

 

Dans la classe du CM2, l’exercice, après la pause de 10h, consiste à convertir 2,5 kilomètres en mètres. Cette classe est tenue par Madi Lingani qui doit présenter quatre candidats à la session 2019 du Certificat d’études primaires (3 handicapés visuels et une personne ‘’valide’’). La consigne donnée, les élèves s’activent en dressant le tableau des unités de mesure de longueur avec des tablettes en braille. A l’aide de cubes qui contiennent, eux aussi, des points, ils les placent dans un carré noir de sorte à former les chiffres souhaités. «Le braille se passe autour de six points. Ces mêmes points servent aussi bien à écrire les chiffres que les lettres mais cela dépend de comment vous les disposez. Chaque fois que vous déplacez un point, vous lui donnez un autre sens, que ce soit en chiffres ou en lettres», explique l’enseignant pour qui ce système d’écriture n’a plus aucun secret. Il jette un coup d’œil rapide sur ‘’l’ardoise’’ de Fadila Naré et la sentence tombe : «pourquoi le 2 est toujours séparé des autres chiffres ? Il faut reprendre». Affecté par l’Etat en appui à cette école privée, comme les autres enseignants, Madi Lingani lâche qu’il n’y pas d’accompagnement, de motivation si bien qu’ils sont souvent gagnés par le découragement au regard des nombreuses difficultés. Pour lui, le travail qu’ils abattent dans ce centre, qu’il a intégré en 2012, est le triple de ce qu’ils faisaient dans les autres écoles. 

 

A.D.        

 

 

 

Encadré :

 

«La solution à nos difficultés, c’est l’Etat »

 

(Suzanne Tapsoba/Compaoré, directrice de l’école des jeunes aveugles)

 

 

 

Suzanne Tapsoba/Compaoré est la directrice de l’école des jeunes aveugles de l’UN-ABPAM. C’est dans cette école qu’Auguste Sankara a appris le braille. L’établissement a ouvert ses portes depuis 1987 et ne comptait à ses débuts que trois élèves et un enseignant. Mais de nos jours, sa réalité est tout autre : pour l’année scolaire 2018-2019, elle enregistre une centaine d’apprenants, tous cycles confondus (préscolaire, primaire, post primaire, secondaire et supérieur). Zoom sur un centre qui met le cœur à l’ouvrage mais ploie sous mille et une difficultés. Selon sa directrice que nous avons rencontrée le 25 octobre 2018, c’est l’Etat burkinabè qui est la solution à leurs multiples préoccupations.

 

Comment est organisé l’établissement que vous dirigez ?  

 

Au sein de l’école, nous avons des classes préscolaires et primaires. C’est depuis novembre 2015 que le centre a ouvert la première classe section maternelle. Ce sont des classes inclusives, c’est-à-dire qu’il y a des voyants et des non-voyants. A partir du post primaire, nos élèves intègrent les classes dans le milieu ordinaire où se trouvent leurs camarades voyants. Dès la classe du CE2, s’ils n’ont pas beaucoup de difficultés, nous leur permettons d’intégrer les écoles primaires ordinaires. Nous avons aussi une salle informatique adaptée à la formation des adultes qui ont perdu la vue. Les élèves, à partir de la classe de 3e, peuvent aussi fréquenter cette salle. Il y a, en outre, un cybercafé adapté.

 

Est-ce que les enseignants qui dispensent les cours ont reçu une formation particulière ?

 

Cela constitue l’une de nos difficultés. Dans notre pays, il n’y a pas d’école de formation d’enseignants spécialisés. J’ai donné des cours dans cet établissement avant d’en être la directrice. Je n’ai pas reçu de formation particulière en plus de la formation de base de tout enseignant d’école primaire. J’ai appris sur le tas, c’est le centre qui a assuré notre formation avec l’aide des autres enseignants. Je reconnais tout de même que, de nos jours, il y a des prémices en la matière.

 

Au regard du handicap, on comprend aisément que les fournitures scolaires d’un voyant et d’un non-voyant ne sont pas les mêmes.

 

Le matériel qu’ils utilisent vient d’ailleurs et ça coûte très cher. Mais au sein de l’école, nos élèves en bénéficient. Nous parlons de kit complet pour chaque apprenant. C’est composé d’une tablette pour le braille, d’un poinçon (ce qu’ils utilisent pour écrire), d’un cubarithme (instrument destiné à l’apprentissage de l’arithmétique, de l'algèbre et de la géométrie), d’une boîte de cubes, d’une canne et des feuilles braille. Ce kit complet est évalué à 87 000 francs CFA. Pour le suivi des élèves qui sont hors du centre, il y a une machine qui est utilisée pour la transcription des devoirs et exercices, les imprimantes braille et les logiciels. C’est du matériel que les partenaires de l’UN-ABPAM nous aident à acquérir, mais nous devons en payer le transport. A la douane, nous sommes exonérés, mais il y a d’autres frais à payer. Pour ces dépenses, nous demandons une contribution de 15 000 FCFA/an à chaque parent d’élève inscrit au primaire ; 20 000 FCFA pour le secondaire et 30 000 FCFA pour quelqu’un qui est au supérieur.       

 

Comment se fait concrètement le suivi des élèves et étudiants qui évoluent dans les autres établissements ?

 

Ce sont essentiellement les devoirs et les exercices qu’on leur donne. Nous avons des agents de suivi qui se déplacent dans les écoles des intéressés. Pour un devoir par exemple, l’agent doit s’y rendre au moins quatre fois, c’est tout une gymnastique. Il va chercher la copie en écriture ordinaire, il revient la traduire en braille avant d’y retourner afin que l’élève puisse composer. A l’issue de la composition, il repart chercher la copie braille pour la retranscrire en écriture ordinaire pour permettre à l’enseignant de la corriger. Il y a combien de devoirs dans l’année, sans compter les exercices ? De plus, la traduction des devoirs consomme beaucoup de papier braille. Une page de format A4 équivaut à 4 papier braille, donc une page A4 en recto-verso vous fait 8 pages. La page coûte 16 FCFA, ce sont tous ces facteurs qui ont milité pour l’instauration des contributions que j’ai tantôt évoquées, car nous avons constaté que beaucoup de parents abandonnent leurs enfants.   

 

A vous écoutez, on a l’impression que vous rencontrez des difficultés à tous les niveaux.

 

Oui, les difficultés ce n’est pas ce qui manque, et c’est surtout l’adaptation de l’enseignement. Ce que cette catégorie de personnes apprend doit concorder avec ce que les autres apprennent. La preuve, ils passent les mêmes examens, traitent les mêmes sujets. Mais leur enseignement prend du temps et c’est individualisé. Pour une leçon d’observation par exemple, si le maître doit présenter un objet, il faut que l’aveugle ou le malvoyant le saisisse, le palpe pour mieux comprendre. Et si vous avez 4 personnes avec ce handicap dans une salle, il faut prendre le temps qu’il faut pour chacun d’eux. 

 

De plus, il y a le matériel adapté qui coûte très cher. J’en ai déjà parlé mais il faut ajouter qu’il n’y a pas de manuels scolaires. Les documents que l’Etat nous donne ne sont pas adaptés. Ce sont des livres ordinaires, or tous les élèves n’y ont pas accès. Ce sont des documents à traduire nécessairement en écriture braille.   

 

Mais la grande difficulté se trouve au niveau des examens. Les conditions ne sont pas réunies. Ils sont obligés de composer toute la journée sans repos. Ils continuent de bosser pendant que les autres (ndlr : les valides) se reposent. Les personnes en situation de handicap visuel composent avec le tiers du temps en plus : si l’épreuve dure 3h, eux, ils font 4h et à cela il faut ajouter le temps de traduire l’épreuve en question (ça peut prendre 1h ou plus en fonction du sujet). C’est le jour de l’examen qu’on fait ces traductions avant de les leur soumettre. Pourtant, c’est quelque chose qu’on doit faire à l’avance, mais on attend qu’on ouvre l’enveloppe avant de donner le sujet aux transcripteurs. Donc, pendant que les autres composent, la personne est là, assise, dans l’angoisse ; quand ils sortent de la salle, elle, elle est toujours assise. Si ces personnes obtiennent aussi un diplôme, qu’est-ce qu’on en fait ? Les quelques rares étudiantes et étudiants sont, entre autres, en facultés de Droit, d’Anglais, de Sociologie, parce que dans les domaines scientifiques, c’est très difficile, rien n’est fait pour leur permettre d’avancer. Je reconnais néanmoins qu’on permet aux diplômés de faire des concours mais c’est peu, ce sont des gens qui attendent beaucoup de l’Etat.            

 

Comment remédier à ces entraves selon vous ?

 

L’UN-ABPAM est essoufflée. Elle s’est d’abord battue pour que ce centre voie le jour et l’a tenu durant 30 ans. La solution à mon avis est que les autorités chargées de l’éducation doivent prendre les choses en main. La solution, c’est l’Etat. C’est vrai que le personnel enseignant bénéficie d’une prise en charge (salaire) mais nous n’avons pratiquement pas de subvention pour le fonctionnement de la structure. Si nous en recevons une année, il faut attendre trois ou quatre ans encore. Un montant d’un million ou d’1,2 million de francs CFA qui ne suffit même pas à régler les factures d’électricité d’une année. Nous avons des appareils qui consomment beaucoup d’énergie surtout quand on veut fabriquer des livres. Par mois, nous n’avons pas moins de 300 000 francs CFA comme facture de l’électricité. Des livres en braille existent et peuvent être commandés avec le matériel didactique distribué par l’Etat, on peut mettre l’accent sur la formation d’enseignants spécialisés, et pourquoi ne pas traduire les épreuves des candidats non-voyants à l’avance ?

 

 

 

Propos recueillis par

 

A.D.

 

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