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Procès putsch manqué : Les témoins acculés, la défense s’offusque

La journée du 28 janvier 2019 a été marquée par le début des auditions des témoins. Le premier à comparaître, Illa Jean Bénédicte, a reconnu avoir travaillé pendant une vingtaine d'années pour le général Djibrill Bassolet et par ricochet pour le Centre de renseignements et de traitement de l’information de la gendarmerie comme il l’avait relevé d’ailleurs du temps où il était lui-même poursuivi dans ce dossier. Mais cet agent du ministère de la Jeunesse s'est refusé à dire quelque chose qui pourrait être retenu comme élément à charge contre le général. Après lui, l'ancien chef de protocole du général, Alidou Sawadogo, a reconnu avoir remis 1 million à Adama Ouédraogo Damiss et 5 millions à Ismaël Diendéré sur instruction de son ancien patron sans pourtant savoir ce à quoi ces sommes étaient destinées. Les avocats de la défense ont jugé illégale l’utilisation des P-V d’audition des témoin produits au moment où ils étaient dans la peau d’un accusé.

 

Illa Jean Bénédicte est né en 1978 et a été un des leaders de l'Association des élèves du secondaire de Ouagadougou (AESO). C'est à ce titre qu'il a été en contact avec le gendarme Djibrill Bassolet avec qui il est resté fidèle en amitié depuis maintenant environ vingt ans. En matière de renseignements, il a travaillé pour le pandore si bien que ce dernier l'a mis en contact avec le Centre de renseignements et de traitement de l’information (CRTI) de la gendarmerie. Inculpé dans le dossier du putsch, il a finalement bénéficié d'un non-lieu. Mais il sera mis sur la liste des témoins et le premier à passer à la barre.

Il a lui-même décliné son identité comme agent du Fonds d'appui à la formation professionnelle et à l'apprentissage (FAFPA). Le président du tribunal, Seydou Ouédraogo, a voulu d'emblée savoir s'il a un lien de parenté ou d’alliance avec un  des accusés ou s'il a été au service ou s'est fait servir par un d’eux. Ce à quoi il a répondu par la négative. Suite à sa réponse, il a été autorisé à prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Très vite les écoutes téléphoniques sont revenues sur la table avec la lecture des  P-V des retranscriptions contenues dans la cote i78,  entre le  désormais témoin et l'accusé Djibrill Bassolet.

" Le général a refusé de répondre aux questions y relatives mais on va reprendre le même exercice avec vous", a dit le parquet qui n'a pas manqué de poser la question inéluctable : " Reconnaissez-vous le contenu de ces conversations entre vous et le Général Bassolet ?"

Non, a répondu le témoin qui a précisé que son niveau de langage n'est pas aussi bas qu’on le voit dans cette retranscription. De plus, il dit que ni lui ni son avocat n'ont eu les éléments invoqués en leur possession avant qu'il ne se présente à la barre.

Mais le parquet revient à la charge en évoquant les P-V d'audition devant le juge d'instruction. Il en ressort, en effet, que l'accusé a confié à Badolo Adolphe du CRTI que Djibrill Bassolet s'intéressait "trop" à ce qui se passe au sein du Régiment de sécurité présidentielle (RSP).

Il a en outre soutenu n’avoir fait que donner son interprétation personnelle lorsqu’il avait déclaré que Me Hermann Yaméogo était le principal instigateur du putsch et que les financiers seraient Léonce Koné et le colonel Yacouba Ouédraogo.

Mais à la barre, cet agent de renseignement a décrié les conditions de sa détention et celles ayant prévalu à cette déposition et est revenu sur ses propos : " J'ai été arrêté en pleine circulation, on m'a placé dans une cellule infestée de rats et tous les gendarmes étaient armés de kalachs et en tant que civil, j'ai été traumatisé", a-t-il dit, avant d'ajouter : " Je ne connais pas le colonel Yac, c'est en prison que je l'ai rencontré, ce que j'ai donc dit n'est pas exact. Quant au président Hermann Yaméogo je le connais bien et on échange sur divers sujets; je sais qu'il était foncièrement opposé à l'exclusion c'est pourquoi j'ai dit, au vu de la déclaration du CND, qu'il pourrait être l'instigateur du coup d'Etat. C’est la même chose pour Léonce Koné au regard de sa fonction de banquier. Ce que j'ai dit n'est pas basé sur un fait quelconque, ce n'est que  mon opinion".

« Les informations que vous donniez au CRTI étaient-elles crédibles ? » lui a demandé le procureur. "C'était à eux d'en juger ", a répondu l'intéressé.

"A cause des informations que vous avez colportées, beaucoup ont été arrêtés et mis en cause dans cette procédure ", lui a fait savoir le ministère public.

Réponse du témoin : " Mais si on m'avait bien écouté, on n'aurait pas inculpé quelqu'un, donnez-moi alors les noms des personnes qui sont là à cause de ma déposition ?". Mais cette question restera sans réponse car le procureur a rétorqué que c'est lui qui pose les questions et que c’est au témoin de répondre.

 

Hermann et Léonce réagissent

 

Après le parquet, le président du tribunal a appelé tour à tour Hermann Yaméogo et Léonce Koné à la barre. "Vous venez d'entendre la déposition  de Bénédicte  Illa, qu'en dites-vous?". Me Hermann n'a pas trouvé à redire car selon lui le témoin a dit la vérité en ce sens que lui était contre l'exclusion qui était injuste et qui conduirait à un suffrage tronqué. Quant à l'opinion selon laquelle le fils de Maurice serait le principal instigateur du putsch, Hermann a laissé le soin au tribunal d'apprécier une analyse personnelle qui n'est pas bâtie sur la moindre preuve.

" Dire que je suis le financier parce que je suis un banquier n'est pas sérieux. Ce n’est pas sérieux de perdre tout ce temps pour ça", a dit laconiquement l'ancien patron de la Banque agricole et commerciale du Burkina (BACB) avant d'être autorisé à regagner sa place.

Mais qu'en pensent les avocats de la défense ?

Me Mireille Barry s'est étonnée qu'un témoin soit confronté à des P-V d'instruction faits au moment où il était prévenu et réutilisé alors même qu'il est mis hors de cause. " C'est indécent de faire témoigner un accusé comme témoin contre ses anciens coaccusés", a martelé Me Bonkoungou.

"Un témoin est un individu qui a assisté à un événement déterminé, qui peut certifier quelque chose d'important sur l'existence ou l'accomplissement de faits intéressant une enquête, donc qui a vu ou entendu de manière significative pour reconstituer tout ou partie des faits expliquant l'évènement choisi", a quant à lui fait remarquer Me Mamadou Soumbié avant de se féliciter que ce témoin n'ait rien pu  attester contre ses clients. " C'est pain béni ", a-t-il conclu.

 

Témoin ou accusé ?

 

La partie civile, par la voix de Me Guy Hervé Kam, pense qu'il n'y a pas de contre-indication à entendre un prévenu qui a bénéficié d'un non-lieu. L'homme en noir s'en est offusqué en ces termes : " J'ai vu quelqu'un qui pense qu'on est là pour s'amuser, l'article 120 du Code de justice militaire dit que lorsque les déclarations d'un témoin paraissent fausses, on peut procéder à son arrestation".

Me Kam a, à son tour, soumis le témoin à un interrogatoire : " Quand avez-vous vu Bassolet pour la dernière fois";  " c'est quoi les renseignements en question?"; " vous arrive-t-il de donner sciemment des informations qui ne sont pas exactes au CRTI?" ... N'ayant visiblement pas été satisfait des réponses, le témoin bottant quelquefois en touche, Me Kam a alors livré sa religion : " Vous avez la preuve par A plus B que le témoin a menti devant votre barre", a-t-il lancé au président.

Son confrère, Me Prosper Farama, toujours de la partie civile, a relevé que le témoin ne nie pas ses déclarations contenues dans les P-V mais dit qu'il ne s’en souvient pas totalement. Pour lui,  le témoin confond son rôle à celui d'un accusé qui a le droit de ne pas répondre aux questions pour se protéger. "Ne revendiquez pas les droits d'un accusé qui n'a pas en sa possession les éléments du dossier, répondez simplement aux questions pour la manifestation de la vérité ", lui a suggéré Me Farama.

Me Séraphin Somé, comme son collègue Kam, pense que le témoin a, de manière éclatante, montré qu'il n'est dans son rôle et que de ce fait l'article 120 devrait s'appliquer, ce qui entraînerait son arrestation.

Au sujet de l'illégalité d'utiliser des P-V d'instruction pour confondre un témoin, le parquet en a demandé la base légale à la défense et de citer même l'article 119 qui dit que la déposition faite devant le juge d'instruction peut être soulevée pendant le procès. " Ne menez pas les gens en bateau ce n'est pas l'exact l'article 119 que vous citez, car il dit bien que c'est la déposition d'un témoin et non d'un accusé, or ce que vous évoquez ici, c'est une déposition faite par un prévenu qui est maintenant hors de cause, il faut que ça soit clair et net", a asséné Me  Seydou Roger Yamba.

 

Parquet koglweogo ?

 

Le deuxième témoin à passer à la barre a été Alidou Sawadogo. Selon l'ancien chef de protocole de Djibrill Bassolet, il était en train de se restaurer quand il a appris qu'il y a des problèmes à la présidence et s'étant renseigné auprès du général, ce dernier a dit ne pas en savoir grand-chose et que par la suite, Bassolet s'est retiré à Koudougou. C'est de là qu'il lui a fait remettre le 17 septembre un million à Adama Ouédraogo Damiss qui s'apprêtait à voyager. Après il lui a fait remettre 5 millions à Ismaël Diendéré qui avait un besoin d'argent. " Je ne le connaissais pas, c'est quand on s'est rencontré que j'ai su que c'était lui ", a indiqué le témoin. Malgré les questions, il a refusé de lier ces dons aux événements de mi-septembre 2015.

Le président du tribunal a voulu savoir la réaction de Damiss après cette déposition. Ce dernier s'est offusqué qu'on veuille faire du million une affaire d'Etat alors que personne n'a pu apporter la moindre preuve que c’est lié aux événements. Visiblement touché par cette affaire, Damiss a dénoncé une attitude digne des koglweogo de la part du parquet qui, depuis 4 ans, tient mordicus à établir " un lien qui n'existe" pas.

Le mot koglweogo désignant les justiciers de la brousse, le président du tribunal a demandé à l'accusé de le  retirer. Ce qu'il fit avant de regagner sa place.

Aujourd'hui le procès se poursuit avec l’audition d’Alidou Sawadogo.

 

San Evariste Barro

Abdou Karim Sawadogo

Benjamine J Kaboré

 

Encadré

Le « con » de Me Farama

 

A chaque audition son « show », celle d’hier a été marquée par la colère des avocats de la partie civile. Il y a eu une altercation entre Me Guy Hervé Kam et le témoin Alidou Sawadogo. L’avocat est monté sur ses grands chevaux lorsque Alidou Sawadogo lui a fait comprendre qu’il ne répondra pas à sa question concernant la quantité d’argent qu’il avait en  sa possession quand le général Bassolet lui a dit d’aller remettre 1 000 000 de francs CFA à Damiss. « C’est trop personnel, je pense que vous devriez poser la question au général », a-t-il lancé à l’avocat.

De quoi amener le conseil à interpeller le président Seydou Ouédraogo en ces termes : « Monsieur le président, il faut que vous tranchiez, des gens ne peuvent pas prêter serment et après faire de la rétention d’information ».

Et le président a effectivement tranché en indiquant au témoin qu’il est tenu de répondre. « Je n’en ai plus souvenance », a murmuré en guise de réponse le témoin. Mais cela n’est pas du goût de Me Kam puisqu’il a fait remarquer au président que le témoin « se fout de la juridiction ».

« Lorsque je lui ai posé la question dans un premier temps, il a refusé de répondre puis après il dit qu’il ne s’en souvient pas», s’est offusqué l’homme en robe noire.

Alidou Sawadogo a rebondi vivement en invitant l’avocat à contrôler son langage : « On ne se connaît pas avant ici, donc vous n’avez pas à dire que je mens ».

Autre avocat, même montée d’adrénaline. Lorsqu’il s’est agi pour Me Prosper Farama de questionner le témoin, il est revenu sur la question qui fâche : « combien aviez-vous en votre possession lorsque vous devriez remettre 1 000 000 FCFA à Damiss et combien il en reste ? ». Et le ton de celui qui était le protocole du général Djibril Bassolet remonte. « J’ai déjà répondu à cela » a-t-il dit fermement. Me Farama ironise en demandant, s’inclinant et suppliant mais le témoin campe sur sa position de « j’ai déjà répondu ». Le maître des  lieux, finit par trancher en ordonnant : « répondez ». Alidou Sawadogo ne s’est plus fait supplier. « J’avais un peu plus d’un million », a-t-il affirmé.

L’avocat a rebondi sur cette réponse en s’intéressant sur ce que le témoin a fait du reste de l’argent. Une question qui ne sera pas du tout du goût du témoin. « Je l’ai dépensé et ça, c’est entre le général et moi », a-t-il donné comme information avant d’indiquer d’un ton assez élevé qu’il n’a pas à donner tous ces détails.

Mais pour l’avocat, le témoin ne fait que faire semblant d’être énervé. Me Farama s’est alors adressé à Alidou Sawadogo : « Vous nous prenez pour des cons ». Mais le président n’a pas laissé passer « cette injure ».

« Me Farama veuillez retirer vos propos », a dit le président du tribunal d’un ton calme et posé à l’avocat de la partie civile qui a soutenu que ce n’est pas le témoin qu’il traite de « con » mais lui-même, Me Farama.

Mais par respect pour le président, l’avocat a retiré cette expression avant d’ajouter : « Vraiment ce procès est extraordinaire, les témoins ont le droit de hausser la voix mais nous …. » Il n’aura pas le temps de terminer sa phrase que le président Seydou Ouédraogo lui a déjà retiré la parole.

 

J.B.K.

 

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