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Le général Pingrenoma Zagré à la barre : « Je n’ai jamais apporté mon soutien au coup »

Le défilé à la barre des témoins du putsch manqué s’est poursuivi dans la journée du 22 février avec l’audition de deux anciens chefs d’état-major généraux des armées, en qualité de témoins : le général de brigade Oumarou Sadou et le général Pingrenoma Zagré, patron de l’armée au moment des faits. Contrairement à ce que soutiennent le général Diendéré et d’autres mis en cause, le général Zagré a dit que le coup d’Etat n’a pas obtenu son onction et que jamais il n’a ordonné à qui que ce soit de soutenir l’action des putschistes.

 

 

Lors de son audition, le 20 février 2019, en qualité de témoin, le général de brigade Oumarou Sadou, inspecteur des forces armées nationales au moment des faits, avait dit avoir aperçu, à la date du 16 septembre 2015, des éléments du défunt RSP sur le terrain.

 

L’audience du 22 février a commencé par les questions et observations des avocats des parties civiles. Me Ali Néya a voulu que le déposant éclaircisse ses propos. « J’ai dit que j’ai vu un militaire qui dispersait des manifestants. Ça ne pouvait être qu’un du RSP parce que ce sont eux qui étaient sur le terrain », a alors répondu le témoin. « Est-ce que les jours suivants vous avez vu ou entendu qu’il y avait d’autres forces que le RSP sur le terrain et que celles-ci ont commis des exactions ? », a poursuivi le défenseur des victimes. Le général Sadou a fait savoir que du fait de ses fonctions d’inspecteur, sa présence sur le terrain était limitée et qu’il ne pouvait pas savoir ce qui s’y passait. Mais il dit avoir appris par la suite qu’il y avait  sur le terrain des forces autres que les éléments de l’ancienne garde prétorienne de Blaise Compaoré.

 

Du côté des avocats de la défense, Me Olivier Yelkouni s’est beaucoup plus intéressé à l’épisode de la rencontre de la hiérarchie militaire tenue dans l’après-midi du 16 septembre dans les locaux du ministère de la Défense. A la lumière du témoignage du général Sadou, il ressort qu’à cette réunion les hauts gradés ont marqué leur opposition au coup. En outre, « Golf », entendez Diendéré, aurait quitté la salle pour le camp Naaba Koom avant de revenir. L’avocat de la défense a voulu savoir si le fait d’aller parler aux hommes au camp a été une proposition de la hiérarchie ou si c’était une initiative du général Diendéré. Mais le témoin dit ne pas se souvenir du déroulé exact de cet épisode.

 

Invité à déballer ce qu’il sait du mouvement des unités issues de garnisons extérieures sur Ouagadougou, mouvement qui a précédé le désarmement du RSP, le Général Sadou a dit s’en tenir au constat final qui est qu’il y a eu ce mouvement de troupes. Mais il a précisé tout de même que l’initiative est venue des jeunes militaires desdites garnisons et que leur action a été coordonnée par un centre d’opérations mis en place pour la circonstance par le haut commandement.

 

Répondant toujours aux questions de Me Yelkouni, le général Sadou a dit n’avoir pas été à l’aéroport de Ouagadougou pour l’arrivée de la délégation des chefs d’Etat de la CEDEAO. « Je n’y ai pas été convoqué », a confié le témoin qui précisera en outre n’avoir jamais participé à une réunion où il était question d’arrêter le général Diendéré.

 

Appelés à la barre pour réagir aux déclarations du témoin, le général Diendéré et le colonel-major Boureima Kiéré, tour à tour, ont dit n’avoir pas de commentaire à faire.

 

Le général Pingrenoma Zagré témoigne

 

Après l’audition du général Sadou, un autre illustre témoin a été appelé à la barre : le général de brigade Pingrenoma Zagré, chef d’état-major général des armées (CEMGA) au moment des faits et présentement ambassadeur du Burkina auprès du Ghana depuis mai 2017. C’est dans une tenue civile (Faso danfani), documents en main, que l’ex-patron de l’armée, du haut de ses 63 ans, s’est présenté à la barre.

 

Avant de commencer sa déposition, il a tenu à « remercier Dieu qui connaît la fin de toute chose avant son commencement pour avoir permis que je puisse me tenir devant le tribunal pour témoigner ». Il a exprimé sa compassion aux familles des victimes, salué l’intervention du Collège des sages pour une sortie de crise au moment des faits. Enfin, il a eu une pensée pour les hommes engagés au front contre le terrorisme.

 

Venant aux faits, l’homme qui avait sous son commandement l’ensemble des forces armées nationales a indiqué que, le 16 septembre, il présidait une réunion du Conseil d’administration de l’Union sportive des forces armées, (USFA). Un peu avant la fin de la rencontre, il dit avoir vu un appel manqué du général Diendéré. Le témoin dit avoir rappelé alors le général qui lui a fait savoir que le président du Faso et le Premier ministre ont été arrêtés et séquestrés par des éléments du RSP. « Je lui ai demandé sa position, il m’a fait savoir qu’’il était à la maison mais qu’il s’apprêtait à se rendre au camp pour rencontrer les officiers du corps. Dans cet appel, le général Diendéré a aussi demandé à rencontrer la CRAD (Commission de réflexion et d’aide à la décision) ».

 

Pingrenoma a précisé que « ce fut une pression psychologique et morale » pour lui et qu’il a fait une prière pour solliciter un éclairage divin sur sa conduite.

 

Avant de se rendre au ministère de la Défense où devait se tenir la rencontre de la CRAD, le CEMGA d’alors a dit avoir joint au téléphone l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo et Monseigneur Paul Ouédraogo qu’il a conviés à ladite rencontre de la CRAD qui a commencé vers 17 heures.

 

Dans son récit, Pingrenoma a indiqué que le général Diendéré a énoncé les mobiles qui auraient été avancés par les éléments du RSP pour arrêter les autorités de la Transition : l’exclusion de certains candidats aux élections, le statut du personnel des forces armées nationales qui venait d’être adopté (juin 2015) et qui permettait d’élever un lieutenant-colonel au grade de général, la volonté de dissolution du RSP, les promesses non tenues par l’ex-Premier ministre Yacouba Isaac Zida. Pour le général Zagré, Golf aurait indiqué que, pour tous ces griefs, il fallait mettre fin à la Transition et repartir sur de nouvelles bases. Pour ce faire, Diendéré aurait demandé l’accompagnement de la hiérarchie. « Nous lui avons dit que ce n'est pas le rôle de l'armée de mettre fin à un régime politique. Les débats ont été longs. Nous avons proposé au général Diendéré la libération des otages et de faire machine arrière». Séance tenante, un communiqué a été proposé mais « Golf » aurait proposé d’aller consulter ses troupes au camp. Il prendra  ainsi congé de la hiérarchie pour environ 45 minutes. A son retour, Diendéré a fait savoir que ses hommes n’ont pas voulu transiger.

 

L’ex-CEMGA dit avoir proposé alors d’aller himself au camp à la rencontre des soldats, accompagné du président Jean Baptiste Ouédraogo, de Mgr Paul Ouédraogo et du secrétaire général du ministère de la Défense, Alassane Moné. Cette rencontre au camp s’est déroulée dans une salle avec une trentaine de militaires. Mais elle a été infructueuse, selon le général Zagré qui a expliqué que l’ambiance était délétère : « La salle était faiblement éclairée, certains éléments cagoulés, d’autres tenaient des propos discourtois et menaçants ». Selon la lecture des choses par le général Zagré, leurs interlocuteurs au camp s’étaient résolus à ne pas faire marche arrière. De retour au ministère, les tractations se sont poursuivies jusqu’au petit matin du 17 septembre, vers 3 heures.

 

« Notre but n’était pas d’affronter le RSP »

 

Le 17 septembre, selon la reconstitution des faits par le témoin, Dienderé a sollicité une seconde rencontre avec la CRAD. « J'ai encore présidé cette rencontre », a précisé le général Zagré. « Diendéré a fait part de la libération de certains otages et nous a dit qu'il a eu des contacts avec d’anciens chefs d’Etat étrangers prêts à venir intervenir pour une sortie de crise. Dans la ville, on constatait déjà des exactions. Nous avons demandé que les éléments du RSP restent dans les casernes. J'ai alors instruit la police et la gendarmerie de continuer à assurer leur mission de protection des populations. Dans la soirée, j'ai reçu l'appel du président Yayi Boni qui m'informait de l'arrivée d'une délégation de la CEDEAO pour des négociations », a poursuivi le général Zagré en faisant noter qu’il était plus préoccupé par la libération des otages.

 

Quant à la journée du 18 septembre, le général Zagré dit s’être rendu à l'aéroport pour l’accueil de la délégation. Il se souvient aussi avoir pris part aux négociations à l’hôtel Laïco où les médiateurs ont rencontré à tour de rôle la hiérarchie, les représentants des partis politiques, le général Diendéré et sa délégation. « Là aussi, nous avons réaffirmé notre position. Nous leur avons dit que ce n'est pas la vocation de l'armée de mettre fin à un régime politique. » La journée du 19 n’aurait pas été particulière, marquée par la poursuite des pourparlers et ainsi jusqu’au 20 septembre.

 

Dans la soirée du 21, il dit avoir appris que des militaires de certaines garnisons du pays descendaient sur Ouagadougou pour faire plier le RSP. L’objectif du commandement était alors de travailler à éviter l'offensive, selon le général Zagré, qui a ajouté avoir instruit les chefs d’état-major des armées de terre et de l’air d'aller à la rencontre des jeunes. Les messages à apporter aux troupes en mouvement étaient surtout des messages d’encouragement et d’assurance que le commandement ne s'opposait pas à leur action, qu'elles avaient son soutien mais qu'elles devaient rester sous le commandement de la hiérarchie qui avait mis en place un poste de commandement opérationnel. Ainsi, les différents chefs de corps auraient été mis en contact avec le chef de corps du RSP pour une négociation, dans le but d’éviter des affrontements.

 

A propos de l’assaut lancé contre le camp Naaba Koom, à la date du 29, le général  Zagré a indiqué que cela a été facilité par le concours d’éléments du RSP dont le commandant Korogo et le capitaine Zoumbri qui ont joué un rôle important dans le processus de désarmement en s’impliquant dans une campagne de démobilisation entreprise par le commandement. A la barre, il a salué au passage leur « sens du patriotisme ».

 

Suite à la déposition du témoin Zagré, le ministère public, les avocats de la défense et des parties civiles n’ont pas tari de questions et d’observations. Les interventions ont porté notamment sur les missions de transport de matériel de maintien venu des frontières ivoiriennes et togolaises, missions qui, selon Diendéré et sa défense, n’étaient pas à l’insu de la hiérarchie. A la barre, le général Zagré a assuré que c’est après coup qu’il a été informé de ces missions.

 

Et quid du soutien que le haut commandement  aurait manifesté au  CND lors des réunions de la CRAD ? « Nous n’avons jamais apporté un quelconque soutien au coup de force. Aucun membre de la CRAD n’a apporté un quelconque soutien au général ». Et lorsque le parquet reprend les déclarations de Diendéré qui dit que le CEMGA avait la latitude d’arrêter « Golf », le témoin Zagré à la barre s’exclame : « ha ! Ça, c’est beau ! « Dans la stratégie que nous avons adoptée pour sortir de la crise, notre action ne visait pas le corps du RSP ou la personne physique de Diendéré. Il fallait plutôt agir avec sagesse sur les mentalités et surtout la perception des choses par le général Diendéré et ses éléments ».

 

Le parquet a rappelé qu’à l’aéroport, Diendéré aurait demandé au général Zagré de proposer des noms pour composer le CND. « Effectivement », a reconnu le témoin. « Mais pour moi, c’était le début du délire. Je lui ai fait savoir que ce n’était pas la vocation de l’armée. D’ailleurs je n’ai pas fait suite à cette demande », a poursuivi l’officier supérieur.

 

Le général Diendéré, les capitaines Zoumbri et Dao, l’adjudant-chef Nébié Moussa, l’adjudant Jean Florent Nion et le colonel-major Kiéré ont été invités à la barre pour réagir à la déposition de l’ex-CEMGA. Alors que les autres n’ont pas trouvé grand-chose à redire, le général Diendéré, lui, a balayé du revers de la main la quasi-totalité du témoignage de Zagré. Revenant sur sa rencontre avec l’ancien CEMGA à l’aéroport et sur celles de la CRAD en passant par la mission héliportée, le général Diendéré n’a pas changé sa position selon laquelle il a eu l’onction de la hiérarchie. L’audience reprend ce matin à 9 heures, avec toujours à la barre le général Pingrenoma.

 

San Evariste Barro

Bernard Kaboré

(Stagiaire)

 

 

Encadré

Qui a présidé la réunion du 17septembre ?

 

Un avocat de la défense affirmait quelques jours plus tôt que chacun aurait sa vérité dans ce procès, citant le parquet, les avocats des parties civiles, ceux de la défense et même la presse. Et de fait, à l’audience de ce 22 février 2019, l’ex-CEMGA, Pingrenoma Zagré, déposant à la barre en tant que témoin, a déclaré avoir présidé la réunion de la CRAD le 17 septembre 2015. Pourtant, au cours de ses multiples passages à la barre, le général Gilbert Diendéré a revendiqué lui aussi la présidence de cette fameuse rencontre du 17 septembre, précisant que c’était sur insistance du général Zagré qui lui aurait même cédé son fauteuil.

 

Invité à réagir aux déclarations de l’ancien patron des Armées, « Golf » l’a d’ailleurs redit : « Je confirme que j’ai présidé cette réunion du 17. Lorsque je suis entré dans la salle, il m’a introduit, comme le fait mon ami l’appariteur ici (ambiance décontractée dans la salle). Il a dit ‘’le président du CND’’, et tous les membres de la CRAD se sont mis debout. Je suis allé pour occuper ma place de la veille. Il m’a dit alors d’occuper plutôt sa place et m’a cédé son fauteuil. Quand la réunion s’est terminée, j’ai levé la séance. »

Mais selon le général Zagré, qui est revenu à la charge, l’épisode ne s’est pas déroulé tel que le décrit « Golf » : « Je ne suis pas un maître de cérémonie ! J’ai juste bougé mon siège et je lui ai fait la place pour qu’il puisse être face au président Jean-Baptiste et Mgr Paul Ouédraogo, étant donné que c’est lui qui avait convoqué la réunion ».

 

B.K.

Encadré

Liberté provisoire de l’adjudant Nion ?

 

L’audience de ce 22 février 2019 a été marquée par la énième demande de liberté provisoire de l’adjudant Jean Florent Nion. Une requête sous-tendue par les répercussions négatives de l’absence prolongée de l’accusé sur la vie de sa famille, mais également par les difficultés de cohabitation avec des coaccusés à la MACA.

 

Dans ses réquisitions, le parquet, arguments à l’appui, s’est prononcé pour le rejet de la requête : il n’est pas évident que libéré, l’accusée soit en sécurité ; la demande n’est pas opportune. Par contre, le ministère public a suggéré l’affectation de l’accusé dans un autre quartier à la MACA, s’il se trouve dans une difficulté de cohabitation avec des coaccusés.

La décision est attendue au cours de l’audience de ce 25 février.

 

B.K

Dernière modification lelundi, 25 février 2019 21:28

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