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Rencontre de Sages et de soldats du RSP: « Ils nous ont dit qu’on risquait de ne pas sortir vivant du camp » (Colonel-major Alassane Moné)

Débuté dans l’après-midi du mardi 26 février 2019, l’audition de l’ancien secrétaire général du ministère de la Défense le colonel-major Alassane Moné s’est poursuivie hier 27 février dans la salle des Banquets de Ouaga 2000.

 

 

Le lieutenant K. Jacques Limon, c’est cet officier du ministère de la Défense qui est accusé d’avoir été, lors des événements de septembre 2015, un agent double au service du RSP. A ce titre, selon certains éléments contenus dans le dossier, il a fourni des informations à ses complices sur les positions des troupes faisant mouvement vers Ouagadougou pour mettre fin au putsch.

Compromis par le rapport d’expertise téléphonique, il n’a été inculpé que tardivement dans le dossier. Lors de son passage à la barre, l’un des arguments de l’accusé a consisté à dire qu’il a été mouillé dans ce dossier uniquement parce qu’il a refusé d’avaliser la facture produite par l’expert Younoussa Sanfo. Au moment des faits, il était le chef-secrétaire du SG du ministère de la Défense, Alassane Moné.

Le parquet militaire a voulu savoir de ce dernier si la fonction qu’occupait le lieutenant aurait pu lui permettre d’avoir accès à des informations sur la position de la hiérarchie pendant le coup d’Etat. « Je ne traitais pas de ces questions avec lui. Son travail était purement administratif », a signifié l’actuel ambassadeur du Burkina Faso en Egypte. « Il a dit qu’il a eu accès à un dossier d’expertise, mais qu’il n’a pas voulu le signer, ce qui lui a valu des problèmes avec l’expert », a relancé le ministère public.

Et le témoin de revenir de long en large sur ce qu’il sait de ce rapport qui ne finit pas de faire des vagues : « Je dois dire qu’il y avait une procédure de traitement des dossiers quand j’ai pris fonction. Les dossiers à soumettre au ministre de la Défense passaient à mon niveau dans des parapheurs. J’ai vu le dossier d’expertise. Au regard du montant élevé de la facture et de sa nature, j’ai invité le chef-secrétaire à ressortir le dossier et à le transmettre à la direction des marchés publics pour analyse pour voir s’il est recevable ou à la direction qui l’a transmis (Ndlr : la justice militaire) pour plus de détails parce que moi je ne pouvais pas le transmettre au président (Ndlr : qui avait en charge également le portefeuille de la Défense). Il est revenu après me dire qu’il a pris langue avec la Justice militaire et qu’elle a dit qu’au regard du caractère confidentiel et urgent du dossier et du fait que les experts de ce genre ne courraient pas les rues, il fallait introduire le dossier auprès du ministre de la Défense. C’est dans ce contexte que j’ai soumis le dossier. S’il y a eu des tractations, je ne suis pas au courant ».

Après ces explications, le parquetier en conclut que le lieutenant  Limon n’avait aucun pouvoir de décision. « Sa responsabilité était de trouver des arguments pour défendre le dossier auprès du ministre. Dans les échanges pour les arguments, il peut y avoir eu des tractations », a relativisé celui qui a été le SG de la Défense pendant 5 ans et 6 mois. Alassane Moné a ensuite expliqué que son chef-secrétaire lui a dit ne s’être pas entendu avec ses contacts : Il m’a dit que « l’expert est venu dans mon bureau pour savoir où se trouvait le dossier, qu’il lui a dit qu’il a vu le Président du Faso et que ce dernier lui a donné son feu vert ».

Appelé à la barre, le lieutenant K. Jacques Limon ajoutera que le directeur de la justice militaire et le juge d’instruction sont passés dans son bureau pour défendre ce marché. Il maintient que dans le dossier  de l’expert il y avait anguille sous roche. Il s’insurge particulièrement contre le fait que c’était à l’Etat de payer le matériel pour permettre à l’expert de faire son travail. « Soit il est expert, soit il ne l’est pas », a-t-il martelé. L’accusé s’est dit « harcelé », « insulté » et « diffamé » dans cette affaire, accusant notamment le parquet à l’endroit duquel il a eu des mots durs, qu’il retirera par la suite.

Réagissant à ce débat sur le rapport d’expertise téléphonique qui a ressurgi, Me Séraphin Somé de la partie civile a assuré que le rapport était « propre ». Pour lui, le lieutenant K. Jacques Limon est un « gros requins » qui allait passer entre les mailles du filet s’il n’y avait pas eu cette expertise. Le comble, il avait été décoré en décembre 2015 en même temps que les jeunes chefs de corps des unités venues des provinces pour avoir participé au dénouement heureux de la crise. « Vous avez eu beaucoup de décorations, mais la dernière vous n’allez pas la garder encore longtemps parce qu’elle est imméritée », a déclaré l’avocat.

 

« Abandonné » par le général

 

Avant que le lieutenant soit appelé à la barre pour réagir aux déclarations de son ancien « patron », la partie poursuivante avait  demandé au colonel-major de revenir sur les menaces dont l’équipe de médiateurs a fait l’objet lors de sa rencontre avec les éléments du RSP au camp Naaba Koom. « La situation était extrêmement électrique. Il a fallu que nous soyons escortés du ministère de la Défense à Naaba Koom. Le ton avec lequel nous avons été accueillis défiait toute insolence et tout manque de respect. De toute ma carrière militaire, c’est la première fois que je vois des militaires se comporter ainsi avec leurs supérieurs. Ils nous ont demandé ce qu’on venait faire ici. Ils nous ont dit qu’ils sont informés que nous avons des connexions avec les forces spéciales françaises et que si elles attaquaient, les otages mourraient avec eux. Ils nous ont dit qu’on risquait de ne  pas sortir vivant du camp Naaba Koom ».

L’archevêque de Bobo-Dioulasso, Mgr Paul Ouédraogo, a particulièrement subi le courroux des soldats qui le traitaient de « traître », de « menteur » et  d’ « irresponsable »  parce que le prélat leur aurait promis (Ndlr : quand il présidait la commission de réconciliation nationale et des réformes) que leur corps (le RSP) ne serait pas dissous.

« Quelle était l’attitude du général Diendéré quand vous subissiez ces menaces ? », a voulu savoir l’accusation. « Le général nous a introduit dans la salle et nous a donné la parole. Un à un chacun a intervenu. Nous avons pensé que le général allait nous soutenir, nous appuyer, en intervenant pour les dissuader. Mais il est resté silencieux de bout en bout. Il nous a mis juste en contact avec les hommes », a répondu le témoin.

Au parquet qui demandait les éléments qui ont pris la parole, il a indiqué ne pas tous les connaître. Tout juste se rappelle-t-il que les officiers comme le capitaine Abdoulaye Dao et le capitaine Oussène Zoumbri se sont insurgés « contre les provocations du Premier ministre Isaac Zida » et que les sous-officiers ont été les plus menaçants. Ayant indiqué avoir eu l’occasion de rencontrer certains, il a pu mettre un nom sur certains visages. Ainsi, il a cité quelques noms : l’adjudant-chef Moussa Nébié, dit « Rambo », l’adjudant  Jean Florent Nion et le sergent-chef Roger Koussoubé, dit le « Touareg ».

Ces militaires pointés du doigt ont été invités à la barre pour réagir à cette déposition. Premier à s’exprimer, Roger Koussoubé s’est offusqué en ces termes : « Je suis étonné que le colonel-major ait cité mon nom. Je n’étais pas dans la salle, les autres sont témoins. Je ne sais pas si le colonel-major me connaît réellement. Je suis dépassé, je ne comprends pas ».

Même posture de dénégation pour Jean Florent Nion. « Ce qui m’a rassuré, c’est le fait que le colonel-major ait dit qu’il ne me connaissait pas. Effectivement, il ne me connaît pas. Le CEMGA par contre me connaît. Si j’avais tenu de tels propos, le CEMGA allait le dire lors de son passage. Ceux qui ont tenu ces propos ne sont pas dans le box des accusés », a-t-il dit. Quand le parquet lui demande de citer des noms, l’accusé assure ne plus s’en souvenir vu le temps passé. S’il reconnaît, lui, avoir pris la parole ce jour-là, l’adjudant-chef Moussa Nébié assure qu’il ne s’agissait pas de propos menaçants.

Le capitaine Zoumbri regrette quant à lui « d’avoir pris la parole au mauvais moment et au mauvais endroit ». Il explique être arrivé après le début de la réunion et ignorait ce qui se passait, notamment qu’il y avait eu un blocage au niveau du MDNAC entre le général Diendéré et le CRAD.

Le capitaine Dao, qui dit considérer le témoin comme « un père », puisqu’il commandait le PMK à l’époque de la promotion 92 dont il est issu, a dit avoir pris la parole uniquement pour demander au collège de sages d’aider à la résolution rapide de la crise.

L’audition du colonel-major Moné s’est achevée dans l’après-midi. Le procès reprend le vendredi 1er mars avec un autre témoin.

 

San Evariste Barro

Hugues Richard Sama

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