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Procès putsch manqué : « J’ai dit à Diendéré que je n’allais pas assurer le maintien de l’ordre » Colonel-major Tuandaba Coulibaly

Deux colonels-majors, Mamadou Traoré et Tuandaba Coulibaly, étaient à la barre du tribunal militaire de Ouagadougou, le 1er mars 2019, en qualité de témoins, pour « dire la vérité et rien que la vérité » sur ce qu’ils savent des évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants. A l’époque des faits, le premier était le directeur de l’Analyse stratégique du ministère de la Défense tandis que le second était le chef d’état-major de la gendarmerie nationale. Ce dernier a soutenu qu’à la réunion du 17 septembre 2015, il a clairement signifié au général Gilbert Diendéré qu’il n’allait pas assurer le maintien de l’ordre.

 

 

A la barre, le colonel-major Mamadou Traoré, ex-directeur de l’Analyse stratégique du ministère de la Défense et des Anciens Combattants, a dévoilé son agenda du 16 septembre 2015 et jours suivants. Le premier jour du putsch, alors qu’il était à son bureau, il dit avoir été joint téléphoniquement par le secrétaire général du ministère de la Défense, le colonel-major Alassane Moné. Son interlocuteur l’informe de prendre part à une réunion. « J’ai demandé l’objet de la réunion et le SG m’a dit que les autorités de la Transition avaient été arrêtées ».

 

A la réunion, le général Diendéré, après avoir relaté les faits, a demandé à la hiérarchie militaire d’assumer. « Un refus lui a été opposé. J’ai pris la parole pour dire que l’acte était inadmissible et que la CEDEAO et la communauté internationale n’allaient pas accepter cela», a narré l’officier supérieur de 61 ans. Selon ses dires, il a été demandé à Golf d’aller dire aux éléments du RSP de déposer les armes et de procéder à la libération des autorités de la Transition. A son retour du camp Naaba Koom II, le général a fait comprendre que les éléments n’étaient pas d’accord avec cette option. La rencontre a pris fin autour de 3h du matin, a relaté Mamadou Traoré.

 

Le 17 septembre 2015, l’ex-directeur de l’Analyse stratégique du ministère de la Défense a déclaré que le SG l’a mis au courant d’une autre réunion qui avait été convoquée par le chef d’état-major général des armées à la demande de Gilbert Diendéré. Selon Mamadou Traoré, c’est Pingrenoma Zagré qui a présidé la rencontre avant de céder la parole au général Diendéré et celui-ci a décliné les motifs qui avaient poussé  les éléments à l’action. Lors de cette réunion, le père spirituel du RSP, selon le témoin, s’est dit préoccupé par la sécurisation du pays car des saccages de biens et des exactions avaient cours.

 

Le colonel-major Traoré, actuel attaché de défense auprès de l’ambassade du Burkina Faso à Alger, a déclaré que Gilbert Diendéré a annoncé la libération de certaines autorités et l’arrivée de médiateurs de la CEDEAO. Après sa déposition, le témoin s’est prêté aux observations et questions du parquet militaire.

 

« Je ne pouvais pas arrêter le général Diendéré »

 

« Vous avez dit que le général Diendéré, après avoir donné les griefs qui ont poussé les hommes à agir, a dit d’assumer l’acte. S’adressait-il à toute l’armée ou a des personnes physiques bien précises ? » a demandé le procureur. Le témoin a répondu que le général s’adressait à l’armée et non à un individu donné.

 

Autre interrogation du parquet militaire : «Le général a dit que si vous n’étiez pas d’accord avec lui, vous auriez dû procéder à son arrestation ». Le témoin pense que personnellement, ses fonctions ne lui permettaient pas de le faire. « A l’époque des faits, j’étais le directeur de l’Analyse stratégique du ministère de la Défense. Je ne sais pas si à l’époque je pouvais arrêter le général Diendéré », a répondu le colonel-major.

 

Répondant à une autre question, Mamadou Traoré a confirmé que Pingrenoma Zagré a présidé les réunions des 16 et 17 septembre 2015. Il a précisé que le 17 septembre, c’est le CEMGA qui a fait aux absents le point de ce qui s’était dit la veille. Cependant, Mamadou Traoré s’est gardé de donner une suite à la question selon laquelle le CEMGA a cédé son fauteuil à la principale figure du coup d’Etat lorsque ce dernier est entré dans la salle. « J’étais au fond de la salle, donc je ne peux pas répondre à cela», s’est justifié le témoin.

 

Quand il lui a été demandé de décrire l’atmosphère qui régnait le 16 septembre au ministère de la Défense, l’actuel attaché de défense auprès de l’ambassade du Burkina à Alger a rapporté qu’il n’a pas senti une ambiance particulière. Il n’a pas remarqué de dispositif particulier non plus, car, il n’est pas sorti du bâtiment.

 

Il est demandé à Diendéré, appelé à la barre, de décliner les actes posés par Mamadou Traoré qui font de lui un complice du putsch. Mais Golf s’est refusé à donner une suite à cette question, avançant qu’il s’est déjà prononcé là-dessus quand les autres témoins sont passés à l’interrogatoire. « On ne généralise pas. On rattache un acte à un individu », lui a fait savoir le ministère public.

 

« Les gens ont refusé d’accompagner le général »

 

Me Hervé Kam est le premier avocat de la partie civile à interroger le colonel-major. « En tant que militaire expérimenté, quand le général vous a dit que la Transition était sur le mauvais chemin en raison de la dissolution du RSP et bien d’autres griefs, est-ce que vous saviez que c’était un coup d’Etat ? » Réponse du colonel-major : « Ça dépend de ce que vous appelez coup d’Etat. »

 

L’auteur de la question reformule sa pensée : « Est-ce que vous saviez qu’il voulait mettre fin à la Transition ? » Pour l’ancien directeur de l’Analyse stratégique du ministère de la Défense, cela s’apparentait à un début de coup d’Etat.

 

« Est-ce qu’à un moment donné, au cours de la réunion, vous avez fait comprendre au général que vous pourriez l’accompagner ou bien vous avez été ferme du début jusqu’à la fin ? » Le témoin a raconté n’avoir pas remarqué qu’à un moment donné les gens ont pensé à accompagner le général : «Les gens ont refusé de l’accompagner ».

 

Me Awa Sawadogo de la partie civile a voulu également savoir s’il était logique qu’une réunion convoquée par une personne soit présidée par une autre. Autrement dit, est-il logique que Zagré préside la rencontre, sachant que c’est Diendéré qui l’a convoquée. Réponse du colonel-major : «Les deux rencontres ont été convoquées par le CEMGA à la demande du général Diendéré. La précision vaut son pesant d’or. »

 

La série de questions s’est poursuivie avec celles des avocats de la défense. Me Latif Dabo a demandé au témoin si, compte tenu de sa fonction au moment des faits (Ndlr : directeur de l’Analyse stratégique du ministère de la Défense), il a eu vent de ce que des mercenaires devaient pénétrer sur le territoire burkinabè pour soutenir le RSP. Mamadou Traoré déclare qu’il n’en était pas informé. Lorsqu’un autre conseil de la défense, Olivier Yelkouni, a interrogé le colonel-major pour savoir s’il s’était rendu à l’aéroport international de Ouagadougou pour accueillir les médiateurs de la CEDEAO, le témoin a répondu qu’il n’avait pas été « invité ».

 

« L’attitude de la hiérarchie militaire me paraît bizarre »

 

Me Aouba Zaliatou, avocat de la défense, est « perplexe » quand la hiérarchie militaire dit qu’elle a opposé un refus catégorique à la forfaiture. Elle s’en explique : « Quand on me dit que c’est un refus catégorique, le temps mis pour la discussion, 17h à 3 h du matin, me laisse perplexe et me paraît bizarre ».

 

En guise de réponse à cette remarque, le colonel-major a invoqué l’adage populaire selon lequel c’est quand il n’y a plus de braises dans un foyer que les chiens peuvent se coucher dedans. Il ajoute qu’une réunion de crise comme ce coup d’Etat ne se règle pas en 10 minutes.  Mais le colonel-major de 61 ans est aussi convaincu que l’avocate n’étant pas militaire, elle  ne peut pas comprendre l’armée.

 

L’interrogatoire de certains membres de la hiérarchie militaire en tant que témoins s’est poursuivie avec le colonel-major Tuandaba Coulibaly, chef d’état-major de la gendarmerie nationale au moment des faits. Selon son récit, il était au bureau ce jour-là quand il a reçu un coup de fil de l’ancien directeur général de la Police nationale, Lazare Tarpaga, lui demandant s’il était informé de ce qui se passait à Kosyam.

 

Sa réponse a été négative et son interlocuteur l’a mis au courant de la situation.

 

Il a alors appelé le chef d’état-major général des armées pour savoir s’il avait appris la nouvelle, et Pingrenoma Zagré a répondu par l’affirmative.

 

Plus tard, il est informé téléphoniquement par un officier le mettant au courant d’une rencontre au ministère de la Défense. Il s’y est rendu, mais en retard.  Golf a expliqué ce qui s’était passé. Mais «les participants lui ont dit d’aller dire aux éléments de mettre fin au coup d’Etat. C’est le général Diendéré et le colonel-major Boureima Kiéré qui se sont rendus au camp Naaba Koom II et sont revenus dire que les hommes avaient refusé. Des instants après, une délégation a été constituée pour aller rencontrer les putschistes au  camp».

 

Golf, selon le témoin, a dit d’attendre, le temps qu’il aille préparer le terrain. Par la suite, la délégation est partie et est revenue faire le point comme quoi elle faisait l’objet de menaces et que le RSP avait aussi refusé de mettre fin au putsch. Le général, a raconté le colonel-major Coulibaly, a tenté de justifier le pronunciamiento, mais « on lui a dit que ça ne pouvait pas prospérer».

 

Dans son déroulé des faits, l’ex-patron de la gendarmerie nationale a raconté que pendant la réunion, il est entre-temps sorti et a vu une mitrailleuse montée sur un véhicule au pied de l’escalier.

 

A la réunion du 17 septembre, « le général Diendéré a fait comprendre qu’il y a eu des rencontres avec certaines personnalités et qu’il avait bénéficié de l’accompagnement de certains partis politiques». Selon Tuandaba Coulibaly, le père spirituel du RSP lui a dit d’assurer le maintien de l’ordre. « Je lui ai dit que je n’allais pas le faire. Il m’en a demandé la raison et je lui ai dit que je n’avais pas de matériel. C’est suite à cette réponse que Diendéré a dit qu’il va user de ses relations pour en avoir ». La suite, on la connaît : des missions ont été effectuées aux frontières avec la Côte d’Ivoire et le Togo pour récupérer le matériel.

 

« C’est le 16 septembre que le RSP est parti récupérer le matériel à Cinkansé »

 

A l’issue du récit du colonel-major Coulibaly, le parquet militaire a voulu être éclairé sur la date exacte à laquelle les éléments du RSP sont allés récupérer le matériel dont il était question. Le témoin a été formel : «C’est dans la nuit du 16 septembre 2015.» Quand le tribunal lui fait savoir que certaines pièces du dossier parlent de la date du 17 septembre 2015, le témoin rétorque : «Je suis désolé. Selon la brigade de gendarmerie de Cinkansé, les éléments sont arrivés vers 2 heures du matin et sont repartis à 8 heures. C’est écrit dans leurs cahiers de permanence (...). C’est devant le juge d’instruction que j’ai appelé la gendarmerie de Cinkansé, qui a confirmé que c’était dans la nuit du 16 au 17 septembre. »

 

« Faux », a rétorqué Diendéré, qui a brandi l’argument selon lequel toutes les personnes qui sont passées à la barre ont indiqué que la mission s’était déroulée dans la nuit du 17 au 18 septembre. Mieux, il avance que le 17 à 4 heures du matin, le sous-lieutenant Boureima Zagré (NDLR : il a participé à la mission) était au camp Naaba Koom II et c’est lui qui, initialement, avait été désigné pour la lecture du communiqué du CND. Le sous-lieutenant, convoqué à la barre par l’avocat de la défense Latif Dabo, a affirmé que l’ordre de mission a été signé par la gendarmerie de Cinkansé le 17 septembre.

 

La mission héliportée à la frontière ivoirienne pour ramener du matériel de maintien de l’ordre était au cœur des questions du ministère public. Il est notamment demandé au chef d’état-major de la gendarmerie nationale de l’époque de livrer ce qu’il savait de cette mission. Il a indiqué que c’est le colonel-major Boureima Kiéré qui l’a appelé au téléphone pour l’en informer et a demandé une sécurisation du giravion.

 

Le parquet lui signifie que Diendéré soutient que le fait d’aller sécuriser l’hélicoptère est un signe d’accompagnement. « C’est son appréciation à lui. Pour nous, il fallait qu’on soit présents pour voir  ce qui se passait », a nuancé le témoin. Toutefois, Tuandaba Coulibaly ne savait rien du matériel transporté, car ses éléments ne lui ont pas fait le compte-rendu.

 

« Le matériel de maintien de l’ordre remis par Diendéré n’a pas été utilisé »

 

Le témoin, s’appuyant sur les comptes-rendus de ses hommes sur le terrain, a affirmé que les exactions sur les populations ont été commises par le RSP et non par « d’autres forces » comme le prétend Golf.  Il précise que c’est compte tenu des exactions constatées sur le terrain qu’il a instruit une patrouille. A la question de savoir si ses hommes partaient sur le terrain armés de kalachnikovs ou d’armes létales, le témoin argue qu’il n’était pas sur place pour pouvoir vérifier ces aspects.

 

Tuandaba Coulibaly a aussi soutenu que la gendarmerie n’a pas utilisé le matériel de maintien de l’ordre qui a été remis dans le cadre du coup d’Etat. Il a précisé que c’est parce qu’il ne voulait pas assurer cette mission de maintien de l’ordre qu’il avait dit au général, dès le 17 septembre 2015, qu’il n’avait pas de grenades. « Dans la réalité, dit-il, nous avions le matériel dans nos magasins.»

 

Le ministère public a voulu connaître les raisons qui l’avaient amené à accepter le matériel quand bien même, dans son for intérieur, il saurait qu’il  ne l’utiliserait pas. « Le 17 septembre 2015, quand je lui ai dit que je n’allais pas le faire, il a insisté. J’ai compris qu’il ne fallait pas polémiquer. L’essentiel n’est pas de recevoir le matériel, mais de l’utiliser. En acceptant le matériel, il s’agissait aussi de faire rentrer les éléments du RSP dans les casernes », a répondu Tuandaba Coulibaly.

 

Le cerveau présumé du putsch a été appelé pour réagir à ce qui venait d’être dit par le colonel-major Coulibaly. « Il est effectivement arrivé à la réunion du 16 septembre un peu après le début. C’est lui qui a informé de la présence en ville des éléments du RSP. C’est aussi lui qui a dit de les faire rentrer et que la gendarmerie allait s’occuper du maintien de l’ordre. C’est quand j’ai demandé au CEMGA de maintenir l’ordre que le problème de matériel s’est posé. C’est à son supérieur que j’ai demandé, pas à lui », a déclaré Golf, qui a ajouté que « le colonel-major Tuandaba Coulibaly ne m’a jamais dit qu’il n’allait pas assurer le maintien de l’ordre. Sur ce point, je me suis adressé au chef d’état-major général des armées. Je ne vois pas comment il (Tuandaba Coulibaly) va répondre. C’est quand le CEMGA a dit ‘’bien reçu’’ qu’il a posé le problème de matériel ».

L’audience reprend ce lundi 4 mars 2019 à 9 heures avec un autre témoin.

 

San Evariste Barro

Hadepté Da

 

Encadré

Quand des RSP tirent sur le frère d’un des leurs

 

Le colonel-major Tuandaba Coulibaly a raconté une anecdote sur le cas tragique d’un jeune homme qui a été touché par les balles d’éléments du RSP. Un jour, a relaté l’ancien chef d’état-major général de la gendarmerie nationale, nos hommes sont allés sur le terrain. Ils ont vu deux éléments du RSP qui ont tiré sur un jeune homme. Un gendarme s’est approché pour secourir la victime. Un des binômes du RSP a dit « d’abattre » le pandore. Mais heureusement pour le gendarme, ils n’ont pas appuyé sur la gâchette et sont repartis. Les secours ont été appelés et le monsieur a été pris en charge. Selon le témoin, il s’est trouvé après que la victime avait un frère au RSP.

Dernière modification lelundi, 04 mars 2019 22:16

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