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Esclavage : La justification, Bible en mains

Dans la Bible, pour justifier l’esclavage, on s’est souvent appuyé sur le livre de la Genèse, au chapitre 9. Il y est question de la malédiction de Cham par Noé, son père, alors que ses frères, Sem et Japhet, eux, sont bénis.

 

L’imaginaire collectif, occidental, a fait croire que Sem était l’ancêtre de tous les Sémites. Japhet celui des peuples de la mer (on dira les Occidentaux aujourd’hui) et Cham serait la racine des peuples africains !  Considérée comme « le vade-mecum des propriétaires d’esclaves », cette malédiction va être utilisée par les esclavagistes malveillants et les négriers en mal de justification biblique de la sujétion inhumaine des Africains.

 

Bien qu’il n’existe aucun rapport entre les Cananéens et les Négro-Africains d’Egypte, d’Ethiopie, de Nubie ou de Libye, on trouve aussi cet argument sur les lèvres et dans les écrits des plus généreux fondateurs d’ordres missionnaires, qui véhiculent ce mythe en évoquant sans cesse le sort des enfants infortunés de Cham auxquels ils devaient apporter le salut en Afrique noire (Cf. Alphonse Quenum, Les Eglises chrétiennes et la traite atlantique du XVe au XIXe siècle, 1993).

 

Dès les premiers moments de l’histoire de l’esclavage, les papes auraient pu freiner immédiatement le commerce des fils de l’Afrique. Mais, ni le pape Nicolas V, ni le pape Callixte III ne se sont opposés à l’expansionnisme portugais. Trop content de voir les armées chrétiennes se mobiliser contre l’islam, le pape Nicolas V donne au roi Alphonse V du Portugal, dans sa bulle Dum diversas du 18 juin 1452, « pleine et libre permission d’envahir, de rechercher, de capturer et d’assujettir tous les Sarrasins, païens, infidèles et autres ennemis du Christ… Et de les condamner à un perpétuel esclavage ».

 

Par une nouvelle bulle du 8 janvier 1453, Romanus Pontifex, il encourage la christianisation des populations africaines, assimilées aux musulmans et privées de tout droit, en approuvant le monopole portugais du commerce en Afrique noire. Callixte III, son successeur, confirmera ces privilèges par la bulle Inter Coetera de mars 1456. Le pape Innocent VIII, lui, n’hésitera pas à offrir à ses cardinaux et à la noblesse romaine des esclaves noirs quand le roi d’Espagne en met une centaine à sa disposition.

 

Il est vrai : bien plus tard, partant du fait que le salut chrétien est offert à l’universalité du genre humain, à toute la créature et à toutes les nations, certains papes ne tarderont pas à réagir contre les préjugés racistes. A titre d’exemple, le 2 juin 1537, à travers sa bulle Sublimis Deus, le pape Paul III dénonçait ceux qui soutenaient que les «habitants des Indes occidentales et des continents austraux… devaient être traités comme des animaux sans raison et utilisés exclusivement à notre profit et à notre service». Cela n’empêche pas de reconnaître que les ambiguïtés, mieux, les contradictions de la mission évangélisatrice, sont énormes.

 

Plus tard encore, dans le Nouveau Monde, alors que l’institution de l’esclavage est tolérée par beaucoup comme un mal économiquement nécessaire, elle va être considérée comme une bénédiction divine. Thomas R. Dew (1802-1846), professeur et avocat influent de l’Etat de Virginie, sera un des promoteurs de l’argument biblique en faveur de l’esclavage.

 

 

Dans son livre, « Examen du débat de 1831 et 1832 au corps législatif de Virginie », il affirme : « L’esclavage a été institué et sanctionné par l’autorité divine jusque parmi les élus du ciel, les enfants favorisés d’Israël. Abraham, fondateur de ce remarquable peuple et serviteur choisi du Seigneur, possédait des centaines d’esclaves. Le temple de Salomon, ce magnifique sanctuaire, a été élevé par des mains d’esclaves ».  Dans le même sens, le Révérend Fred Ross écrit dans son livre au titre évocateur, « L’esclavage décrété par Dieu » : « C’est Dieu qui a décidé que l’esclavage doit continuer pour le bien de l’esclave, pour celui du maître, pour celui de la famille américaine tout entière, jusqu’à ce qu’une destinée nouvelle et meilleure soit dévoilée ».

 

Alors que très souvent la loi du silence a régné sur ce qu’a été le rôle de l’idéologie religieuse dans la traite négrière et l’esclavage, les éléments que nous venons de faire valoir sont importants à prendre en compte. Cela dit, si ceux qui se présentaient comme les pionniers de la liberté et du Royaume de Dieu sur terre ont été les diaboliques organisateurs de l’esclavage, c’est qu’ils étaient habités aussi et surtout par une idéologie raciale et par des besoins économiques.

 

Ces deux choses-là, préjudice racial et besoins économiques, se sont rencontrés pour écraser le peuple noir. Dans son magnifique livre, intitulé « Quand la Parole de Dieu visite l’Afrique », le bibliste congolais Paulin Poucouta  signale qu’on raconte en Afrique que les missionnaires sont venus et ont dit : « Prions ». Quand les Africains après la prière ont ouvert les yeux, il y avait un livre sur les genoux, la Bible.

 

Mais leur pays avait été pris. Tout cela étant, irait-on jusqu’à souscrire au propos de Ype Schaaf dans son livre « L’histoire et le rôle de la Bible en Afrique », propos selon lequel  ce que les Européens n’avaient pas compris, c’était que la Bible contenait une bombe à retardement grâce à laquelle l’Africain pourrait faire sauter le colonialisme ? En tout cas, on verra bien que le combat du peuple noir se mènera, lui aussi, la Bible à la main au nom de la Parole de Dieu.

P. Jean-Paul Sagadou

Assomptionniste

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