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Intelligence africaine de la foi: Que signifie l’Evangile pour les «damnés de la terre » ?

Comment les Noirs ont-ils pu demeurer dans la servitude et affirmer en même temps que le Dieu de Jésus est à l’œuvre dans le monde pour les libérer ? Dit autrement, que signifie l’Evangile pour les opprimés de la terre et leur lutte de libération ?  Ces questions, les plus sérieuses qui soient, sont difficiles. On le sait, le questionnement ne résout pas toutes les questions ni toutes les interrogations ! Mais se laisser questionner par l’existence permet de se donner des pistes pour comprendre les événements de la vie. Les textes disponibles sur la foi chrétienne des esclaves démontrent qu’ils croyaient que Dieu allait les délivrer de l’esclavage comme il avait délivré d’Egypte Moïse et les Israélites. On trouve l’expression de cette croyance dans les cantiques des esclaves (les Negro Spirituals) comme celui-ci : « Ne pleure pas, Marie, ne te lamente pas, l’armée de Pharaon s’est noyée, ne pleure pas, Marie ». Cette foi n’est pas celle qui leur a été transmise par les prédicateurs blancs. Au contraire, c’est une foi qu’ils ont trouvée eux-mêmes en cultivant leur relation avec Jésus, Celui dont ils disaient qu’il pouvait « sortir vos pieds du fumier et de la boue, et les déposer fermes sur le roc du salut ». Ce Jésus, ils l’appelaient quelquefois « la roue au milieu de la roue », « la rose de Sharon » et « le Seigneur de la vie ». Il était leur « secours toujours présent au temps de la détresse ». Selon le théologien noir James Cone, « après s’être entendus dire pendant six jours de la semaine par les chefs de la société blanche qu’ils ne valaient rien, les Noirs allaient à l’église le dimanche, premier jour de la semaine, pour y entendre une autre appréciation de leur valeur humaine ». Les six jours passés aux côtés des Blancs les remplissaient toujours d’anxiété et de doute. Mais lorsque les Noirs allaient à l’église et faisaient l’expérience de la présence de l’Esprit de Jésus au milieu d’eux, ils se rendaient compte qu’Il donnait à leur vie un sens que les Blancs ne pouvaient leur enlever. C’est sans doute pour cela qu’ils n’hésitaient pas à chanter : « ça retape de parler avec Jésus ». Cela ne voulait pas dire, commente James Cone, que « ce qui est blanc est bon », mais que Dieu affirmait la valeur de leur existence, la valeur de leur présence au monde. En tout cas, c’est ainsi qu’ils trouvaient la force pour affronter « l’homme » le lundi matin, et sa présence déshumanisante toute la semaine, en sachant fort bien que les Blancs ne pourraient jamais détruire leur valeur humaine. Pour parler en langage un peu théologique, on peut dire que le problème des Noirs n’était pas de savoir si Jésus était un avec le Père, ou s’il était humain ou divin. Pour eux, le plus important était de savoir si Jésus marchait avec eux et s’ils pouvaient l’appeler au « téléphone de la prière ». Que dire ? La longue tradition d’indignité qui a marqué le destin de millions d’Africains dans l’histoire est un défi pour les chrétiens d’aujourd’hui. Il faut que le christianisme ait les mains propres pour ne plus être cette religion dont la compromission avec les forces qui oppriment est en contradiction avec ce qu’elle proclame. En tout cas, les esclaves noirs nous auront appris une belle leçon : la nécessité d’une réappropriation critique et responsable du sens des Ecritures et l’exigence d’une rupture radicale avec tout ce qui empêche de mettre en évidence la force libératrice du message chrétien.

 

P. Jean-Paul Sagadou

Assomptionniste

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