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Procès putsch manqué : Les victimes à la barre demain

Au procès du putsch manqué de septembre 2015, l’audience du vendredi 5 avril 2019 a porté essentiellement sur la diffusion, suivie des observations et des questions, d’une vidéo versée au dossier par Me Stéphane Ouédraogo de la défense. Cette vidéo montre l’expert Younoussa Sanfo montrant, au cours d’une émission de la télévision nationale, comment manipuler les données d’un individu. La présentation des pièces à conviction a pris fin par la diffusion de cet élément. Le procès prend un nouveau virage demain mardi avec le défilé des victimes à la barre.

 

 

L’audience a repris par les questions et observations des différentes parties sur la vidéo dénommée «Film putsch».

 

Le parquet, dans ses observations, a rappelé au général Gilbert Diendéré cette phrase qu’il avait prononcée sur les ondes de Radio France internationale (RFI) : «Mon plus grand tort est d’avoir fait le coup d’Etat. Une telle action n’est plus tolérable dans une démocratie». Une sorte de mea culpa qui a eu l’air de réjouir le parquet militaire parce qu’il se disait que sa tâche sera moindre. Mais le ministère public serait obligé de reconsidérer sa position parce que le général, à la barre, niera les faits à lui reprochés.

 

 

« Ce mea culpa contraste avec ce que le général nous a servi à cette barre ». Pour le parquet, à aucun moment dans ce qu’il appelle mea culpa, Diendéré ne signifie que l’action a été menée par des sous-officiers et que ces derniers lui ont demandé d’en assumer la paternité. « Cette phrase du général doit servir de boussole quand vous allez entrer en délibération, Monsieur le président ».

 

La dernière séquence de l’élément vidéo montre un homme couché, baignant dans son sang. Il est entouré de manifestants impuissants. En attendant l’arrivée des secours, ils chantent l’hymne national haut et fort comme pour lui donner la force. «La dernière scène que nous avons vue est cruelle. On ne peut pas justifier une action en ôtant des vies. C’est difficile d’imaginer que des gens versent le sang pour le pouvoir. Pour nous, le pouvoir est à conquérir dans les urnes. Comment on peut opposer à des civils, ayant les mains nues, une kalachnikov ?», a déploré le parquet.

 

Accusé d’avoir tiré sur le studio de l’artiste musicien Serge Bambara, Alias Smokey, à la roquette, le soldat Seydou Soulama, appelé à la barre, a nié les faits. «Je n’ai pas tiré à la lance-roquettes quelque part au moment des faits», s’est défendu le soldat. Son supérieur le sergent-chef Lahoko Mohamed Zerbo ne dit pas le contraire. Selon lui, rien ne montre dans la vidéo que lui et ses hommes ont détruit le studio du rappeur. Ce fut une occasion pour le chef Zerbo de signifier au tribunal qu’il a bel et bien été à Zorgho, mais pour une mission d’escorte. «Je ne savais pas que c’était une radio qu’il fallait détruire. J’ai fait ma mission d’escorte et je suis revenu », a-t-il indiqué. Contrairement aux dires de l’accusation, le sergent-chef a soutenu que son véhicule a essuyé des tirs de civils. Preuve, selon lui, qu’ils n’étaient pas mains nues.

 

Pour le sergent-chef Ali Sanou, la vidéo présente des hommes qui ne sont pas dans le box des accusés. Alors qu’eux, par malheur, s’y retrouvent et doivent se défendre. Mais il aimerait que le parquet arrête de les décrire comme des monstres. «Nous n’avons pas été formés pour faire du mal à la population. On nous présente aujourd’hui comme des gens mauvais, mais ce n’est pas le cas. Je vous demande, Monsieur le président, de dire le droit et rien que le droit ».

 

Les avocats de la partie civile et de la défense n’ayant pas eu d’observations à faire, la suite de l’audience sera marquée par la lecture d’une pièce introduite dans le dossier par Me Stéphane Ouédraogo de la défense. Cette pièce est une vidéo. Dans ledit élément, l’expert Sanfo est l’invité de Big Ben, l’animateur de l’émission de la télévision nationale « Ça se passe à la télé ».  Dans cette vidéo, l’expert procède à des démonstrations, il envoie deux messages fictifs à l’animateur. Le premier est de son épouse, elle lui demande de ramener deux pintades et des gigots de mouton quand il prendra le chemin de la maison. Le second est de son réalisateur qui lui fait savoir qu’il n’a pas encore reçu sa paie du mois.

 

Dans la même vidéo, l’expert donne la situation géographique de deux individus désignés dans l’assistance pour aller faire un tour en ville. Ceux-ci sont libres d’aller où ils veulent. Pour peu qu’ils aient leurs téléphones sur eux, l’expert saura les tracer. A travers cet élément, l’avocat veut montrer au tribunal que les éléments à caractère scientifique ne sont pas aussi fiables que certains pourraient le penser. Il a donc demandé au tribunal de ne pas suivre le parquet dans sa logique.

 

Dès que la parole lui a été donnée, le parquet a voulu savoir la date de diffusion de l’émission. Une question à laquelle Me Ouédraogo a eu du mal à répondre avec exactitude. « L’émission est passée à la télé il y a approximativement 5 ans », a-t-il répondu.

 

Pour le paquet, le moment n’est pas propice pour répondre aux inquiétudes de l’avocat de la défense. « Il fallait poser vos questions au moment où l’expert était là. Me Ouédraogo est incapable de nous dire là où il y a manipulation. Nous voulons qu’il nous dise clairement que tel élément a été manipulé. Qu’il nous montre la conséquence de sa vidéo avant que nous puissions poursuivre. Quand on sait qu’on ne peut pas s’attaquer au fond, on essaie de discréditer la procédure », a lancé le ministère public. Et d’ajouter que la vidéo n’enseigne pas grand-chose, car tout le monde sait que quand on utilise les téléphones et les ordinateurs, il faut le faire avec prudence. « C’est comme si on vous dit qu’un pistolet automatique peut tuer. C’est une évidence. Nous sommes tous conscients que nos téléphones peuvent être piratés. Vous aurez remarqué que lors des écoutes, certaines personnes signifiaient à leur interlocuteur que tout ne peut pas se dire au téléphone».

 

A écouter la démarche de Me Ouédraogo, le ministère public est convaincu qu’il manque d’arguments, car il veut faire croire au tribunal que parce que M. Sanfo est un expert dans son domaine, il est capable de manipuler les pièces à conviction. « Nous attendons qu’il nous montre les parties manipulées », a insisté le parquet.

 

 

Me Prosper Farama de la partie civile a voulu savoir si l’avocat d’Adama Damiss Ouédraogo a la preuve de l’authenticité de sa vidéo. Si tel est le cas, qu’il la verse dans le dossier. «Je n’ai pas la preuve que la vidéo n’a pas été manipulée», a répondu l’avocat de la défense. Etant incapable d’apporter cette preuve au même titre que le parquet n’étant pas en mesure d’apporter les preuves de l’authenticité de ses éléments, Me Ouédraogo a proposé que tous les éléments techniques soient écartés du   dossier. « Ainsi, nous resterons dans le cadre juridique ».

 

Mais pour Me Farama, il n’en est pas question. Ce n’est pas comme cela qu’il voit les choses. « Ce n’est pas écartons tout, mais plutôt gardons tout ». Selon l’avocat de la partie civile, ce n’est pas parce que M. Sanfo a les aptitudes pour manipuler les éléments qu’il l’a fait. «Non. Ce n’est pas comme cela qu’on pose les questions de droit ».

 

Me Awa Sawadogo a dit ne pas comprendre la démarche de la défense. Pour l’avocate, la défense aurait dû demander une contre-expertise ou une expertise complémentaire si elle doute de la fiabilité des éléments. Comme tous ces prédécesseurs, Me Awa Sawadogo se demande comment son confrère de la défense sait que les éléments ont été manipulés. « Nous voulons qu’il nous apporte des éléments de preuves », a-t-elle exigé. Néanmoins, elle s’est réjouie de savoir que les talents de l’expert ont été reconnus au cours de cette audience, lui dont le rapport avait été remis en cause.

 

Me Stéphane Ouédraogo ayant été incapable de donner la date exacte de diffusion de la vidéo qu’il a versée au dossier, son confrère de la défense Latif Dabo a apporté la précision. Il a signifié au tribunal que la vidéo a été diffusée le 2 février 2014 sur les ondes de la RTB. Les démonstrations faites par l’expert dans la vidéo montrent, selon Me Dabo, que les éléments sonores peuvent être manipulés. « M. Sanfo a fait des démonstrations sans toucher aux téléphones des gens. Nous ne disons pas que c’est lui qui a manipulé les éléments. Pour nous, il est possible que les éléments aient subi des modifications avant de se retrouver entre ses mains ».

 

A travers cette vidéo, les avocats de la défense veulent montrer au parquet qu’il faut prendre les choses avec beaucoup de réserve. De l’avis de Me Idrissa Badini, eux, avocats de la défense, ont une tâche difficile. Pour une fois, selon lui, que la partie défenderesse a une pièce à fournir, le parquet se braque. « Le ministère public fait semblant d’accepter qu’on verse la pièce au dossier alors qu’il l’accepte à contrecœur ». Pour l’avocat, cette vidéo montre à souhait qu’il est possible de modifier certains fichiers. C’est pourquoi il a demandé au président de comprendre le doute qui anime bon nombre d’accusés. Me Badini a affirmé que suite à la réaction du parquet, il ne s’est pas empêché de paraphraser le parquetier : « De quoi à peur l’accusation », s’est-il demandé ? Il a donc demandé au parquet et aux avocats de la partie civile de leur permettre de douter de la pertinence de certains éléments du dossier. Un doute qu’il justifie par les démonstrations de l’expert dans la vidéo.

 

Selon Me Mamadou Sombié de la défense, même si la vidéo présentée datait de 20 ans, elle est toujours d’actualité, car l’expert Sanfo fait savoir qu’avoir le numéro de téléphone portable d’un individu permet de manipuler ses données. Pour répondre à Me Awa Sawadogo qui a dit à la défense qu’elle aurait dû demander une contre-expertise, Me Sombié, lui a signifié que leurs clients n’ont pas les moyens pour cela. « Pour un rapport qui a coûté 300 millions de francs CFA, combien va coûter une contre-expertise ? Nos clients n’ont pas l’argent pour cela. Quand on sait que pour une contre-expertise c’est le demandeur qui règle la facture ».

 

Tout comme son prédécesseur, il a affirmé que ce qu’il a entendu sème le doute dans son esprit. Il a donc demandé au tribunal d’emprunter le chemin du doute. «Votre juridiction peut douter du travail de l’expert. Et ce doute pourrait profiter aux accusés. Je peux vous faire confiance, car vous êtes dans le lot des trois catégories de personnes difficiles à convaincre. Il s’agit : des enfants de moins de 7 ans, des femmes et des juges». Me Sombié, qui ne rate pas une occasion de plaider pour ses clients, a signifié au tribunal que le téléphone de son client, le lieutenant K. Jacques Limon, n’était pas protégé, donc susceptible d’être manipulé.  «A l’époque, les messages que lui et le capitaine Zoumbri ont échangés ont pu être modifiés ».

 

Cette intervention a mis fin au débat sur la présentation des pièces à conviction, amenant le président du tribunal à demander aux avocats de la partie civile de donner l’ordre de passage des victimes à la barre. La partie civile, par la voix de Me Farama, a demandé un temps pour se préparer. Le parquet n’y voyant pas d’inconvénients, le président du tribunal a accédé à sa requête.

 

Juste après, ce sera au tour de Me Awa Sawadogo de solliciter la parole au nom de tous les avocats pour demander qu’il n’y ait pas audience le lundi afin de permettre aux conseils d’assister aux obsèques du père de Me Dieudonné Bonkoungou, avocat de Djibrill Bassolé.

 

L’audience reprend donc le mardi 9 avril 2019 à 9h dans la salle des Banquets de Ouaga 2000.

 

San Evariste Barro

Akodia Ezékiel Ada

 

Dernière modification lelundi, 08 avril 2019 22:35

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