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L’essoufflement du théâtre contemporain: Le temps des désamours

Vient-il un moment ou un âge où sonne pour tout amoureux du théâtre l’adieu ? Arrive-t-il, après des années d’euphorie, un jour où la magie n’opère plus ou est-il des périodes où l’art de la mise en scène s’essouffle et où la proposition artistique est introuvable ? Ne faut-il pas sonner la fin du théâtre contemporain ?

 

 

Roland Barthes, dont on sait l’amour immodéré pour le théâtre, a écrit un texte d’adieu au théâtre dans lequel il confessait : « J’ai toujours beaucoup aimé le théâtre et pourtant je n’y vais presque plus. C’est là un revirement qui m’intrigue moi-même. Que s’est-il passé ? Quand cela s’est-il passé ? Est-ce moi qui ai changé ? ou le théâtre ? Est-ce que je ne l’aime plus, ou est-ce que je l’aime trop ? » Cet itinéraire de Barthes n’est pas une trajectoire unique. Beaucoup d’amoureux du théâtre découvrent un beau jour que la magie s’est volatilisée, qu’aucune émotion ne naît du commerce avec le spectacle théâtre. C’est cette séparation que cet article se propose de questionner.

Revenons à Roland Barthes. Cet auteur, grand questionneur du signe et du sens, s’est épris du texte de théâtre et particulièrement des textes classiques et de la mise en scène de Bertolt Brecht. Ah ! Brecht, l’homme qui eut l’intuition qu’il fallait changer le théâtre et dont les propositions de mise en scène révolutionnaires ont changé la face du théâtre. Sa vision enfanta du théâtre épique qui renouvela profondément le théâtre qui se sclérosait dans une posture bourgeoise, selon le terme dont Barthes affublait cet autre théâtre. Défenseur du théâtre épique et du Théâtre populaire de Vitez, Barthes va petit à petit se détourner des planches et s’intéresser à la théâtralité dans la société. Quitter la scène obscure d’une salle de théâtre pour la scène ouverte du monde, c’est à se demander si le sémiologue a vraiment perdu quelque chose au change…

Venons-en au spectateur de théâtre de Burkina 2019. Celui qui a été séduit par le théâtre contemporain dans les années 1990 jusqu’aux 2010, vingt ans d’une passion jamais démentie et patatras, un matin ou pour être plus exact, un soir, parce que les délices comme les désillusions au théâtre sont toujours nocturnes, donc un soir, ce spectateur découvre que l’illusion théâtrale   lui glisse dessus comme l’eau sur une plume d’oie ou une flamme sur une peau lépreuse. Aucun ressenti. De glace, il est devant les hurlements, les gesticulations, devant les guirlandes des mots qui éclosent sur scène. Et interloqué au début par cette métamorphose qu’il compare à un assèchement du sens esthétique, il comprend à la longue qu’il n’en est rien.  C’est la faute à la mise en scène. Elle ne surprend pas.

Le coupable, c’est le metteur en scène

C’est la mise en scène contemporaine qui s’est essoufflée et qui s’est condamnée à recycler le même, à fabriquer le même d’un texte à un autre. Ce qui était une invention devient vite un procédé de fabrique de l’uniforme.  Entrer dans un texte classique, le profaner en le tailladant, le découpant en petits bouts de textes raccommodés avec une grosse ficelle comme le visage couturé de Frankenstein, cela surprend le spectateur au début et il crie à la transgression, à l’audace. Mais la prochaine excursion avec des ciseaux dans le texte de Hugo, de Rostand ou de Shakespeare n’est plus une invention, le spectateur n’est plus surpris et il devient plus attentif et se fait médecin légiste et là, il découvre la maladresse du coup de ciseau, la laideur de l’entaille, la largeur de la balafre sur le texte et il en ressort, horrifié.

Du décor, des accessoires, de la lumière, des coutumes, on retrouve les mêmes d’un spectacle à l’autre. Ces recours au même dans différentes créations minorent les coûts mais cette lésine est très éloignée du théâtre pauvre de Grotowski, c’est un théâtre indigent, pauvre artistiquement. D’un spectacle à un autre, ce n’est plus le théâtre et son double d’Artaud mais un théâtre en mille et une version du même !

Du jeu d’acteur, il en est de même. Le passage de la troupe à la compagnie et la professionnalisation conjugués à l’obligation de rentabilité ont fait que le comédien n’a plus le temps ou le besoin de créer son personnage à chaque pièce, il a une provision d’archétypes dans lesquels il puise et à défaut, il lui est loisible de visionner des incarnations du personnage par d’autres acteurs pour créer rapidement le sien. Il est loin, le temps où Vitez disait du comédien : « Le comédien, sa nature et sa vocation sont d’être vide et creux, accessible, disponible, vacant, habitable ». Le comédien d’aujourd’hui est plein comme un œuf, il porte dans sa besace des personnages imbriqués comme des poupées russes, il n’accueille plus de nouveaux personnages, il ressert les mêmes au file des spectacles.

En somme, ce qui surnage dans ce naufrage, ce sont les textes contemporains, quelques pépites qui auraient réussi à échapper à l’uniformisation en œuvre dans les ateliers d’écriture. On apprend à écrire de la dramaturgie contemporaine…comme on apprendrait à passer à la vapeur la semoule de blé.

« Le Diable, c’est l’ennui », avertissait le metteur en scène Peter Brook. La monotonie, c’est l’autre nom de l’ennui. C’est le désert des Tartares pour les spectateurs. Et le spectacle de théâtre contemporain est entré dans la monotonie, l’uniforme, le même. Cela fait 30 ans que ce théâtre-là reste inchangé en Afrique et au Burkina! Le spectateur ouagalais  ne peut subir un théâtre inchangé sur 30 ans sans être lassé.  Et la faute revient aux metteurs en scène. Et au dire des historiens du théâtre, ce métier de metteur en scène n’existait pas au 17e siècle et pourtant le théâtre ne s’en portait pas si mal. Toutefois, Antoine, Eisenstein et tous les précurseurs ont apporté un supplément d’âme à l’art théâtral.  Aujourd’hui, l’existence des metteurs en scène peut être questionnée en termes d’apport ou d’appauvrissement de l’art théâtral. Il est vrai que de temps à autre, un souffle nouveau balaie la scène, mais c’est une brise qui s’estompe vite pour laisser la place aux spectacles sans intérêt pour les spectateurs qui ont dans le compteur 30 ans de cela et dans l’estomac, des centaines de spectacles identiques.

Les metteurs en scène d’aujourd’hui ont le devoir de réenchanter le théâtre pour ramener la surprise, l’émotion et le…spectateur rassasié du contemporain au théâtre. Et comme disait Baudelaire, qu’ils aillent en Enfer, s’il le faut, pour ramener du Nouveau. En attendant Godot, oups, en attendant plutôt l’éclosion de ces metteurs en scène post-contemporains, les spectateurs qui ont trente ans de contemporain se mettent officiellement en congé du spectacle de théâtre. Il est souhaitable que cela soit un au revoir, mais il pourrait bien devenir un adieu… au théâtre.

Saïdou Barry

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