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Prise en charge des brûlés : Ce fardeau incandescent sur les épaules de « Charles de Gaulle »

Il suffit d’un instant d’inattention des géniteurs, ou d’un geste anodin empreint d’insouciance pour les voir renverser la sauce fumante, de l’eau bouillante, et certains enfants deviennent pendant plusieurs jours, voire des mois des pensionnaires de la pédiatrie Charles-de-Gaulle. L’établissement sanitaire, même n’étant pas habilité à recevoir les brûlés, tente tant bien que mal de les sauver.

 

 

Les derniers mois de l’année qui correspondent aux périodes  les plus froides, sont aussi des moments où la pédiatrie Charles-de-Gaulle enregistre une forte affluence de ceux qu’on appelle communément les brûlés. Pour les agents, de santé, on sait quand ils arrivent mais on ne sait jamais quand ils ressortiront de leurs locaux, étant donné le temps qu’il leur faut pour recouvrer la santé après  une brûlure.  Cet état où la peau subie des lésions dues à des produits chimiques comme la soude, l’acide, ou des éléments physiques tels le feu, l’électricité ou même le soleil. «Dès lors qu’on a plus de peau, on n’a plus de barrière. Notre peau nous protège contre les microbes, donc les maladies. Elle nous permet de conserver tout ce que nous mangeons comme aliment et d’éviter la dénutrition. C’est un élément de notre immunité », nous explique le chirurgien pédiatre, maître de conférences agréé à l’Université Joseph-Ki-Zerbo, chef du bloc opératoire de la pédiatrie Charles de Gaulle, Isso Ouédraogo.

 

Quelquefois ça part d’un petit geste aux conséquences désastreuses : « C’est pendant que mon fils aîné transvasait son eau chaude pour sa toilette que son cadet, assis à proximité du bois de chauffe, a été arrosé. Tout son corps a été touché. Cela fait plusieurs semaines que nous sommes dans cette pièce. Son état de santé s’améliore progressivement », confie madame Ouédraogo. 

 

Pour Hélène Ganemtoré dont la fille est alitée depuis 5 mois maintenant, les jours et les nuits se ressemblent car le temps semble s’être arrêté. Une brûlure à la cuisse est la cause de l’hospitalisation d’Irène. « Nous avons quitté un village dans le Ganzourgou. Au vu de la dégradation de son état de santé, le médecin a procédé à une greffe au niveau de la jambe. Il nous arrive souvent de ne plus avoir un sou, tout ce que nous recevons finit dans les médicaments et certains parents ne  nous rendent plus visite. On souffre », lâche-t-elle avant de fondre en larmes.

 

 Dianda, 2 ans, qui partage la même chambre exiguë que les Ganemtoré a été, elle, victime de la négligence de sa mère qui a laissé de l’eau chaude à sa portée. Faute de place, Laetitia Kaboré, à peine 10 mois, est elle, hospitalisée dans l’un des couloirs après un bain de thé bouillant. «On a tardé avant de recevoir le premier bain des médecins si bien que le cas s’est aggravé et mon patient souffre d’anémie ».

 

A quelques pas du hall d’hospitalisation, aux urgences, les brûlés arrivés la veille, squattent des paillasses fraîches entourées de leurs vêtements sans literie. La salle qui doit les recevoir provisoirement est bondée en cette période et se transforme en pièce d’hospitalisation en attendant la libération d’un lit providentiel. Les enfants  sont alors à la merci des infections nosocomiales.

 

Les jeunes patients arrivent ici pour diverses raisons. La brûlure peut provenir d’une source thermique (feu), chimique (l’acide, la soude) électrique (électrocution) ou radiante (soleil). Le Dr Ouédraogo, précise que ce qui importe, c’est son étendue  « Une brûlure n’est pas la même selon que c’est au niveau du bras ou sur toute l’étendue du dos, du ventre, des membres est différente. Il faut tenir compte aussi de la profondeur de la couche de la peau affectée. Lorsqu’il s’agit de la couche superficielle, c’est moins grave. Le siège est aussi déterminant. Notamment autour des orifices (le nez, la bouche,  l’anus, les organes génitaux externes).

 

Près de 500 brûlés

 

L’hôpital ne disposant pas de service dédié à ces patients spécifiques, le chirurgien pédiatre Isso Ouédraogo et ses collègues font ce qu’ils peuvent. «On les hospitalise avec les autres malades alors que ce n’est pas normal. De 2011 à 2017, on a hospitalisé 6851 patients parmi lesquels 472 brûlés, soit 6,8 % des admis. Et le nombre ne cesse de croître. En 2011, ils étaient 21, en 2017 ils étaient 135. Actuellement, on  a 32 lits dont plus de la moitié occupés par des brûlés »,  nous explique ce disciple d’Hippocrate.

Mais comment se fait la prise en charge ?

 

Elle passe par des pansements, des greffes de peau et la rééducation. Le traitement est aussi fonction de l’âge. C’est plus délicat chez les enfants et les vieillards. Les plus jeunes étant constitués à plus de 80% d’eau. A cause de la brûlure la déshydratation s’installe. Du fait du manque d’infrastructures, les brûlés, lorsqu’ils arrivent, passent directement au niveau des urgences chirurgicales, alors qu’au préalable, ils doivent être lavés dans une baignoire pour une toilette avant d’être conduits au bloc opératoire. « Si la brûlure est étendue, on fait les pansements sous anesthésie générale en utilisant des antiseptiques. On peut aussi faire des pansements occlusifs, c'est-à-dire qu’après avoir appliqué tout ce qu’il y a comme produits, on bande la plaie pour la protéger. On peut aussi laisser la plaie découverte si elle n’est pas profonde, elle se cicatrisera en attendant qu’on passe à la greffe. Le cas échéant, on prélève la peau ailleurs afin de procéder à la greffe », dit le Dr Ouédraogo, ajoutant qu’avant de passer au pansement on doit d’abord réhydrater le malade. ».

 

Toujours selon lui,  de nombreuses modifications vont intervenir dans l’organisme du malade. En effet, avec la chaleur, ses vaisseaux deviennent poreux, perméables, le corps se vide de toute son eau, raison pour laquelle certaines parties vont s’enfler puisque l’eau va dans les tissus. « On prend alors une voie veineuse et on le réhydrate. Après, direction le bloc opératoire pour les pansements qui vont devenir réguliers par la suite. (tous les 2 ou 3 jours). On prélève la peau sur  le corps du patient et on l’appose sur la surface brûlée et suturée »,  souligne-t-il.

 

Au cas où la blessure est critique, les médecins procèdent directement à l’autogreffe. Les conditions n’étant pas réunies, le personnel soignant fait des pansements espérant qu’il y ait une reconstitution de la peau. « Si le mal est étendu et on ne sait pas où faire le prélèvement, on est obligé de procéder par des pansements répétés qui vont faciliter à terme la guérison. Il n’y a pas de délai, tout est fonction de l’évolution. Certains font plus d’une année ici, d’autres, 2 à 4 mois », relève le praticien. Une étude effectuée de 2011 à 2017 a révélé que la durée du séjour peut varier entre 3 et 733 jours.  

 

La durée du séjour est liée aux conditions difficiles de traitement selon les médecins, et pour cela certains patients piquent des infections, notamment du fait  des visites, alors que les malades qui ont des plaies sur tout le corps doivent rester dans un environnement moins sceptique sinon confiné. Pour y parvenir il faut porter des blouses spéciales dans une salle climatisée (boxes isolés, un brûlé par pièce). Ces conditions n’étant pas réunis, les patients  sont sujets à la dénutrition, aux infections. Outre cela, les parents sont souvent confrontés à un manque de moyens occasionné par les longs séjours. On commence avec les pansements et après les médicaments deviennent insuffisants. L’infection s’installe, empêchant ainsi la cicatrisation de la plaie.

 

Quand le pourcentage de la brûlure dépasse 50 % de la surface corporelle, on parle de mauvais pronostic. Quand c’est moins que cela y a la possibilité de guérison, a confié le spécialiste. La prise en charge complète nécessite par la suite des séances de kinésithérapie, de rééducation fonctionnelle qui vont favoriser la reprise des mouvements.

 

Pas à l’abri des complications

 

Si le malade n’est pas rapidement et adéquatement pris en charge, il se déshydrate et perd la vie. Les complications primaires sont remarquables dès les 48 premières heures. Pour le spécialiste,  les complications immédiates peuvent affecter le rein, le cœur et presque tous les organes par la suite compte tenu de la déshydratation. Ce qui va provoquer des insuffisances cardiaques, rénales, etc. Passé ce cap, un autre risque peut survenir, à savoir une infection liée à l’environnement, au kit pour le traitement puisqu’il faut disposer de gants stériles, d’un lit spécial, etc. Ensuite, il y les complications tardives qui sont liées à la cicatrisation de la blessure qui va engainer la peau. Dans ce cas, les mouvements deviennent difficiles à effectuer. Le patient va ressentir un rétrécissement des orifices et des paupières. Enfin, il y a les complications psychologiques : après la cicatrisation des parties exposées du corps, la stigmatisation, le regard d’autrui peut être l’autre souci de l’ancien brûlé.

 

La prise en charge complète intègre donc des soins psychologiques. Selon Félicité Traoré qui assure le suivi psychologiqueà la pédiatrie, on a en réalité besoin de psychologues dans la prise en charge de toutes les pathologies. Pour le cas spécifique des brûlés, quand elle se rend compte que le patient et ses parents sont stressés, désespérés, elle intervient à n’importe quel moment. « On s’entretient avec l’enfant pour le rassurer, lui parler de l’évolution de la blessure en le réconfortant. On rassure les parents en répondant à leurs questions, en plaçant des mots là où il faut. La prise en charge dépend du niveau de la brûlure. Cela peut se faire pendant ou après l’hospitalisation jusqu’à ce que l’on sente que l’état psychologique s’améliore », précise-t-elle  avant d’ajouter, « Pour un enfant qui a été victime d’eau chaude, on échange avec la famille pour prodiguer des conseils. De nombreuses personnes ne mesurent pas l’importance de notre travail. Dans notre contexte quand on parle de psychologues, de psychiatres, on pense automatiquement à la guérison  de la folie »,  a-t-elle déploré.

 

Comme on le voit la prise en charge des brûlés est complexe. Il faut donc redoubler d’efforts dans la prévention et ne rien négliger en cas d’accident de ce type.

 

 

 

Encadré 1

Des chiffres qui parlent

Les statistiques indiquent que de 2011 à 2017, le service pédiatrique a reçu en novembre 41 cas, en décembre  64, en janvier 44 brûlés, en févier 57 cas et au mois de mai  le nombre a chuté avec 19. Par inadvertance, les enfants renversent ces liquides chauds sur eux n’étant pas conscients du danger. L’âge des victimes varie entre 2 à 5 ans, voire 7 ans.

 

Encadré 2

« Mes Amis les brûlés »

 

Aux côtés des malades,  il y a « l’Association Mes Amis les brûlés » (AMAB) qui regroupe des médecins, des agents de laboratoire, des parents d’enfants brûlés, des sympathisants, etc. La structure est née dans le but d’apporter sa contribution à l’épineuse problématique des soins. Officiellement reconnue le 6 décembre 2016, l’AMAB soutient des personnes cibles et travaille à l’amélioration de la qualité de leur prise en charge. L’AMAB se donne les objectifs suivants : mobiliser des ressources pour les soins, réaliser des sensibilisations sur les brûlures pour le changement de comportements, faire un plaidoyer pour une formation des acteurs sur la prise en charge des brûlés, faire un plaidoyer auprès des partenaires pour la création d’un centre pour brûlés.

 

Lors de la première assemblée générale qui a eu lieu en juin 2019, le président de l’association, le Dr Amidou  Balima, a confié qu’en 2016 le nombre de cas reçus aux urgences chirurgicales de la pédiatrie Charles De Gaulle était de 102 cas.  «En 2017, le nombre a doublé avec 207 cas. Au 31 décembre 2018, on comptait 296 cas », a-t-il indiqué. Et ça, ce n’est qu’à Charles-de-Gaulle.

 

W. Harold Alex Kaboré

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