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Coup d’Etat au Burkina : «La situation contient en perspective le pire comme le meilleur» (Dr Ra-Sablga Ouédraogo de Free Afrik)

 

Economiste, enseignant chercheur, président de l'Institut d'études économiques « Free Afrik », il est une des figures emblématiques de la société civile. Le Dr Ra-Sablga Seydou Ouédraogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été le rapporteur de la commission de la réconciliation nationale et des réformes présidée par Monseigneur Paul Ouédraogo, mise en place après la fin du régime de Blaise Compaoré.

 

Cet observateur privilégié de la vie nationale n’hésite pas à se prononcer et mieux à proposer ses solutions aux défis de son pays. Entre deux réunions, il a bien voulu nous donner, hier 3 février 2022, sa lecture de la prise du pouvoir par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) le 24 janvier dernier.

 

 

 

 

Dr, vous êtes une des figures emblématiques de la société burkinabè. Or, depuis l’avènement du MPSR, vous ne vous êtes pas publiquement prononcé sur ce qui vient de se produire, sauf erreur ou omission de notre part. Comment expliquer un tel silence ?

 

 

 

C’est tout de même un coup d’Etat que nous avons vécu. Dans une telle situation confuse, dans la période de crise la plus grave de notre histoire, il est bon de prendre du recul et de ne se prononcer que pour être utile. Quand ça tire et vous ne savez pas qui tire sur qui et pourquoi ; quand ça suppute, il est bon de tendre l’oreille, de bien observer et analyser afin que la parole soit utile. Par ailleurs, je ne voulais pas crier dans le vacarme. Dès que les armes se sont tues, vous avez été témoins du vacarme des crieurs publics qui expliquaient, pour beaucoup, après coup, ce qui s’est passé.

 

En ce qui nous concerne, vous avez observé que les médias ont continué à diffuser des analyses toutes récentes de Free Afrik, qui redoutaient ce qui est arrivé. En conséquence, je n’avais rien à ajouter à ce que nous avions dit et redit et qui est arrivé.

 

 

 

Vous avez quasiment prédit la situation. Comme du reste l’issue de l’insurrection plusieurs mois avant. Alors avez-vous une boule de cristal ? Que dit-elle ?

 

 

 

Rires. Nous avons à Free Afrik vu en effet se réaliser des scenarii de prospective que nous avions explicitement annoncés. Ainsi, en février 2014, dans une note publiée dans un journal de la place, nous avons décrit un scenario quasi-identique à l’insurrection d’octobre 2014. Du reste, cette note a été plus suivie et commentée à l’extérieur du pays et du Continent. La jumelarité entre Roch Kaboré et IBK que nous avions soulignée en janvier 2021 dans notre note de prospective redoutait la même fin pour le premier. Et plus récemment, en novembre 2021, et même le 21 janvier, nous avons annoncé clairement que nous redoutions une sortie de route constitutionnelle. Ce que nous redoutions est là. C’est très grave.

 

Je voudrais du reste réaffirmer une chose importante : la détestation que nous devons avoir pour les coups d’Etat et en conséquence condamner sans ambiguïté. Même si nous avons vu venir, même si le régime Kaboré était indéfendable. Pour le principe, il faut condamner les coups d’Etat.

 

Pour en finir avec votre question, je n’ai pas de boule de cristal, j’ai juste le bonheur de diriger une équipe de recherche forte constituée de talents exceptionnels, de travailleurs acharnés qui appliquent avec rigueur des outils et des méthodes éprouvés pour comprendre la réalité et espérer la changer. Notre boule de cristal, c’est notre exercice rigoureux de la démarche scientifique. Je suis personnellement un méthodologue exigeant, appliqué et imaginatif. Vous savez Einstein a dit que l’imagination est supérieure à la connaissance. Il faut tenir les deux bouts.

 

 

 

Que dit le scientifique donc de l’avenir ? Que voyez-vous ?

 

 

 

Rires. Sérieusement, la situation est celle-ci : notre pays vit la pire crise de son histoire ; 1 Burkinabè sur 10 est en errance loin de son domicile ; 1 Burkinabè sur 7 est en détresse alimentaire à l’heure où nous parlons, et l’intégrité du territoire est largement entamée. La situation contient en perspective le pire comme le meilleur. La vertu et l’intelligence stratégique des acteurs détermineront le sort du pays. Il n’y a pas de fatalité, mais rien ne nous est donné non plus.

 

 

 

Dites-nous en quelques mots comment vous concevez la Transition qui vient de s’amorcer.

 

 

 

D’abord, il me semble qu’il faut éviter deux extrêmes : d’une part, l’adoubement naïf des militaires, souvent par des opportunistes ou par des mercenaires qui offrent leurs services comme vous en avez plein en ce moment, et d’autre part, la défiance systématique et improductive contre une junte en roue libre, ce qui l’enfermerait dans les dérives. Il ne faut surtout jamais perdre de vue que nous sommes en guerre et que le pays connaît un drame humanitaire inédit.

 

Si nous pouvons faire en sorte d’éviter les erreurs du passé, de mettre le patriotisme et l’intelligence stratégique au cœur du processus, nous aurons des résultats.

 

Il faut très vite dégager les priorités réelles du pays, sans complaisance ni démission, et tout faire pour agglomérer les énergies autour des défis existentiels de la Nation. La concurrence des agendas secondaires nous a maintenus dans l’inertie pendant des années. La démission des élites face à leurs responsabilités sociétales nous a amenés dans le gouffre. Comme le dit Césaire dans la tragédie du roi Christophe : « Nous sommes dans la fosse ». « Alors au fond de la fosse ! C’est bien ainsi que je l’entends. Au plus bas de la fosse ».

 

Mais j’ai foi au brave peuple burkinabè. Sachons féconder son ardeur au travail, son attachement à la dignité et son imagination. Sachons être, dans le vrai, le pays de Sankara et Norbert Zongo !

 

Pour cela nous devons abattre le ‘’dieu argent’’ ; remettre l’argent à sa place : celle d’un moyen utile pour soigner l’humanité. J’ai foi que le pays dispose de ressources humaines de qualité, pétries de vertu et de talents. Elles sont certes rares ; mais elles peuvent être décisives. Il s’agit pour elles de s’autosaisir face au drame national pour conjurer le péril et engager le pays vers l’horizon du bonheur.

 

 

 

Quel serait selon vous le délai raisonnable de  la Transition dont parle le MPSR ?

 

 

 

 

 

Il faut d'abord déterminer les défis et les priorités de la Transition de façon systématique et précise. Ensuite évaluer le temps requis pour proposer une durée. Il ne faut surtout pas faire dans la précipitation sur cette question ni la repousser éternellement aux calendes grecques. Je me garde de donner une date comme certains. Il faut être méthodique et rigoureux sur ces questions. 

 

 

 

Seriez-vous disposé à y jouer un quelconque rôle officiel ?

 

 

 

Evitons de trop vite parler des hommes, cela amène de la subjectivité. C’est du reste ce que j’ai déploré les jours passés : une concurrence des ego et des tronches pour s’afficher pour les ripailles à venir. Faisons en sorte qu’il n’en soit pas ainsi.

 

Mais je ne vais pas me dérober face à votre question. De 2013 à 2021, j’ai refusé au moins une bonne demi-douzaine de fois des nominations, dont une dernière au gouvernement en novembre 2021. La raison en est simple : je veux être le plus utile possible à mon pays. En conséquence, si vous me proposez un chemin B, et que mes évaluations établissent que le chemin A sur lequel je suis est plus utile au pays ; je resterai sur le chemin A. Quand je penserai le contraire, j’aviserai. En tout état de cause, je n’ai jamais été dans un chemin sans mes convictions, mes capacités intellectuelles et mon enthousiasme. Je prie Dieu qu’il en soit ainsi pour toujours. En attendant je suis débordé par le travail avec la même visée : comment apporter notre pierre à la construction nationale.

 

Ki-Zerbo indiquait en 1957 que l’Afrique demande des hommes, des hommes pour la libérer. J’ai souvent relayé cet appel à propos de notre pays face au terrorisme et au sous-développement. La Patrie nous appelle, chacun en ce qui le concerne, à la défendre. Pas seulement aux positions les plus enviées ou les plus convoitées, mais chacun en ce qui le concerne et là où il est le plus utile au moment précis.

 

 

 

Avez-vous eu des contacts avec les nouvelles autorités ?

 

 

 

L’institut FREE Afrik a été reçu par les nouvelles autorités.  Je trouve indiqué qu’elles aient rencontrés la plupart des acteurs constitués de la société notamment les syndicats, les différentes institutions de la République, les opérateurs économiques, etc. Je trouve que c’est une bonne chose de recevoir également des chercheurs. Vous souhaitez peut-être qu’elles ne me rencontrent pas ? Ou souhaitez-vous avoir les minutes de la discussion ? Je vous invite à notre entretien détaillé avec la presse ce vendredi.

 

 

 

Propos recueillis par

Abdou Karim Sawadogo

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