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Infrastructures hydrauliques à Léo: « Nancoulbou » se meurt goutte après goutte

Léo ou liô en langue nuni signifie en français « là où il fait frais », « là où l’humidité est abondante ». Mais la ville est en passe de trahir son étymologie. Si ce n’est pas la pluie qui fait des siennes offrant du coup un spectacle désolant dans les champs, ce sont des barrages ou des retenues d’eau qui font grise mine. On est même tenté de parler de réchauffement climatique pour ceux qui sont allés à « l’école du Blanc » dans cette agglomération située dans la région du Centre-Ouest et où la majorité de ses habitants tirent leur subsistance des travaux champêtres et de la maraîchéculture. « Nancoulbou », ce barrage cinquantenaire voire sexagénaire, situé au cœur de la cité, ne vit qu’en période pluvieuse ; lui qui se vide illico presto dès que Dame Nature referme ses vannes. Plongée de 72h dans les eaux de cette infrastructure hydraulique qui se meurt à petit feu.

 

L’air ambiant est déjà surchauffé aux abords du barrage implanté à l’entrée du secteur no5 de Léo, cette bourgade distante de 165 km de la capitale, à la lisière du pays de Jerry John Rawlings. L’horloge n’affiche que 7h20 du matin ce 21 septembre 2021 mais l’eau semble bouillonner à l’image d’une marmite au feu. En témoigne la vapeur qui harcèle l’odorat de n’importe qui s’aventure dans la zone. Tout autour, une présence humaine dans des jardins où leurs occupants y sont dès potron-minet.

Voûté dans une parcelle de poivron et d’aubergine, le cultivateur et jardinier, Abdoul Salam Yago, est installé sur les berges depuis une vingtaine d’années. Il mène cette activité aux côtés de son paternel et tire l’eau du barrage à l’aide d’une motopompe pour sa maraîcherculture qui, en plus de lui rapporter des sous, participe à l’alimentation de sa famille. Le seul hic est que cet « or bleu », qui n’est qu’à une vingtaine de mètres de lui, se fait de plus en plus rare nonobstant cette proximité. Selon ses explications, d’ici le mois de février, il ne restera plus qu’une flaque d’eau. Des propos que corrobore Laurent Napon, plus souple. Pour lui, c’est à partir du mois de mars que « Nancoulbou » présente un visage d’affamé. Positionné à l’entrée de son « territoire », bien délimité par des branchages, ce polygame puisque marié à deux femmes et père de sept enfants, s’est lancé dans le jardinage il y a environ 15 ans. La menthe, la salade, le chou, il en a fait ses …oignons. Depuis ces cinq dernières années, il ne s’est plus dirigé au champ et c’est uniquement de ce jardin que Laurent gagne de quoi subvenir aux besoins de sa famille. « J’honore les frais de scolarité de mes enfants grâce à cette activité ; ils ont des vélos pour se rendre à l’école sans oublier l’argent de poche. De plus, s’il y a des ennuis de santé ou d’autres préoccupations, j’arrive à y faire face avec ce que gagne ici », déclare-t-il sans omettre les constructions « en dur » qu’il vient de réaliser. Ce qu’il y empoche en une saison, il n’en fait pas un secret : c’est de l’ordre de 2 millions de francs CFA si une partie de la moisson ne sert pas à l’alimentation de la famille. Mais il est révolu ce temps où il s’adonnait à cette activité toute l’année civile. A partir du mois de mars, insiste-t-il, il n’y a plus d’eau. Il faut nécessairement attendre les premières pluies en juillet, si Dame Nature est clémente, pour renflouer le barrage. Cette occupation le passionne même s’il est conscient que sa présence en ces lieux peut avoir un impact négatif. Laurent Napon y reçoit également des élèves qui veulent fuir l’oisiveté de la période de vacances et d’autres « bras valides » désireux de se faire quelques centimes. Fait partie de ceux-là, Boureima Ouédraogo qui lui prête main forte de 7h à 13h, moyennant 1500 francs CFA la journée. S’il n’y a pas grand-chose à faire au jardin, Boureima, se dirige vers les chantiers de construction qui ont de plus en plus pignon sur rue dans cette localité. Et c’est encore « Nancoulbou » qui doit se saigner pour que les gens se construisent ces bâtisses (voir encadré : Desserte des chantiers de construction).   

 

Barrage obstrué, le jardinage mis hors de cause

 

A quelques jets de pierre de là, Karim Napon, lui, aussi fait du jardinage une activité lucrative depuis qu’il a été formé dans ce sens. Une portion de 2 m2 qu’il appelle une planche (oignon, gombo, concombre) se monnaye à partir de 60 000 francs CFA. En cette matinée, il prépare ces petites parcelles en prélude à la saison sèche malgré la diminution de la quantité d’eau à cette période. Dans les parages, Karim a dû creuser un puits pour pallier ce manque d’eau. « Mais n’est-ce pas le fait de pratiquer le maraîchage à côté qui l’ensable ? », lui avons-nous demandé. Karim reconnaît qu’on leur a dit, entre-temps, qu’ils sont dans le lit du barrage et doivent par conséquent reculer. Mieux ou pire, promesse avait été faite de les diriger vers d’autres endroits afin de permettre à « Nancoulbou » de respirer à plein poumon. Mais rien n’y fit. Lui, personnellement, prépare il y a au moins 5 ans, un plan au cas où on viendrait les faire partir. «Il est vrai que nos grands-parents et nos parents ne faisaient pas cette activité en ces lieux. Mais je pense que si le barrage est obstrué, ce n’est pas à cause du jardinage. Le marché n’est pas très loin comme vous le constatez, ce sont les tas d’immondices constitués de sachets plastiques et autres qui en sont la cause », explique le solide gaillard, torse nu. Ayant passé une vingtaine d’années sur les lieux, il se rappelle que du pont jouxtant l’infrastructure marchande, un adulte pouvait plonger dans les eaux et être submergé jusqu’au cou. Mais de nos jours, l’eau ne frôlera que ses genoux. Et de soutenir qu’avec l’utilisation des pesticides et herbicides, des torts peuvent être causés à la faune aquatique y compris les « caïmans sacrés », mais cela ne crée pas un problème d’ensablement. Il n’avait même pas fini d’expliquer qu’un gamin, du côté du secteur 1, traînait un bidon d’ordures qui échouera à n’en point douter sur une partie de la berge.

 

Des initiatives d’entretien qui s’avèrent insuffisantes

 

Issaka Nignan, en plus de son petit commerce, ne manque pas de temps les après-midi pour jeter un coup d’œil dans son jardin où il produit chou, salade, concombre, aubergine, gombo et tomate. Sur une portion de 25 m2, il y investit en gros 25 000 francs CFA pour se retrouver avec 100 000 francs CFA, voire plus, en une seule récolte. Durant toute l’année, ses recettes pouvaient être triplées et même quadruplées mais le seul hic demeure l’insuffisance de l’eau. La tendance aux alentours pour essayer de juguler cette pénurie se résume aux puits creusés par-ci par-là. Entre sept et dix mètres de profondeur, il y a « l’or bleu », affirme Issaka, pour qui l’importance de ce barrage pour les habitants de la ville n’est plus à démontrer.

Bien qu’il ait été une initiative privée au départ, selon El hadj Daouda Nignan, ce barrage constitue un poumon vert de la ville en plus des revenus qu’il génère (voir encadré : ce que veut dire ‘’Nancoulbou’’). Après avoir creusé ce point d’eau, c’est sa famille, située à quelque dix mètres de là, qui a été choisie pour veiller à l’entretien et repêcher ceux qui viendraient à s’y noyer. Ayant fait le constat qu’il y a de plus en plus de comportements préjudiciables à la retenue d’eau, El hadj Nignan a, à son tour, invité les jeunes à un nettoyage des berges, entre 2018 et 2019. « J’ai personnellement demandé à l’administration il y a trois ans de nous aider à fixer des plaques tout autour pour interdire aux gens d’y jeter les ordures, mais rien n’a été fait jusque-là », indique l’octogénaire, puisque né en 1937. Son appel le plus pressant à l’endroit de tous les riverains est qu’ils soient plus responsables pour que ce barrage tarissant ne meurt pas définitivement.     

 

Aboubacar Dermé

 

Encadré 1 :

 

Ce que veut dire « Nancoulbou » ?

 

Alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années, El hadj Daouda Nignan se rappelle que Léo du temps de la Haute-Volta comptait dix cantons. C’est sur initiative du chef de cercle, le vieux « Moro Yago », que chaque canton a choisi cent solides gaillards pour poser les jalons de ce qui deviendra « Nancoulbou », qui en langue nationale nuni renvoie au « petit caillou rond » servant à écraser le mil. La manœuvre consistait à creuser puis à placer les cailloux pour constituer la digue. Il ressasse toujours le film sur ces femmes qui préparaient du to sous les nérés dans le but d’alimenter les armoires à glace. La digue ainsi constituée débouche sur le secteur no5 de Léo. Mais cette digue ne résiste pas aux eaux et finit par céder par endroits. Sur appel encore de son grand-père « le vieux Moro », les personnes mobilisées pour la cause adoptent une autre stratégie consistant à conditionner du sable dans des sacs de 100 kg qu’ils placent en première ligne avant de les renforcer par de gros cailloux. Chemin faisant, c’est le « commandant Couillon », « un homme très sévère à l’époque », qui a fait construire la digue sous sa forme actuelle.

A.D.

         

Encadré 2 :

 

Desserte des chantiers de construction

 

Dans une agglomération où les habitants s’orientent de plus en plus vers les constructions « en dur », il faut bien trouver de l’eau pour la confection des briques. Ce qui fait que la pression sur « Nancoulbou » est de plus en plus forte. Il ne se passe pas un jour en effet sans qu’on aperçoive des tricycles chargés de barriques de 200 litres d’eau. Zoulkarnine Nignan venait de charger deux fûts qu’il doit conduire à domicile pour des travaux. Il n’a pas à débourser le moindre copeck. Mais foi de riverains du barrage, Dieu seul sait le nombre de barriques convoyées par jour. Des gens ont fini par en faire un business en livrant une barrique à 500 francs CFA et en fonction de la distance.

 

A.D.   

 

Encadré 3 :

Déversoir dégradé, voie presque impraticable

 

En plus d’être confronté à un ensablement, le barrage qui n’arrive plus à contenir son eau à la moindre pluie a en permanence de l’eau stagnante vers son déversoir.

Conséquence, les eaux ont rongé ce passage où il vous est difficile de rouler à moto, tricycle et même d’y accéder à pied en toute quiétude. La digue présente également des nids de poule conduisant les jeunes à développer des initiatives. Ils se retrouvent en effet les samedis pour curer les caniveaux ; dégageant le passage de l’eau vers le barrage. « La route qui mène au secteur 5 est presque impraticable. Nous avons eu l’idée de curer les caniveaux et de récupérer le sable pour combler les cavités. C’est la seule route que les habitants dudit secteur empruntent pour se rendre au marché. C’est notre contribution au bien-être de la commune », indique Hamidou Nébié, instituteur de profession et membre de l’association « L’union fait la force ». Ils n’ont pas de gêne à faire un travail qui devait revenir aux autorités communales et ne perçoivent aucun rond. « C’est nous qui empruntons la voie quotidiennement, nous pouvons initier quelque chose et ne pas tout le temps attendre l’autorité, si elle vient par la suite nous appuyer tant mieux », déclare Hamidou Nébié. Ses camarades et lui ont la caution morale de sa majesté Dan Zuè (qui veut dire littéralement ‘’la force est finie’’ ou plus d’injustice dans la résolution des conflits entre ses sujets) et le soutien financier de bonnes volontés qui leur permet de servir du carburant aux tricycles qui font le boulot.

A.D.

 

Encadré 4 :

 

Du marigot éponyme de Léo

 

Tout aussi en piteux état est le marigot qui a donné son nom à la commune de Léo. Il est ravagé par les arbustes si bien qu’on n’arrive plus à le délimiter à vue d’œil. Seulement quelques gouttes d’eau s’y échappent. Un spectacle qui ne laisse pas le chef de canton indifférent. « Il se raconte que notre grand-père est venu en ces lieux avec ses bœufs et y a trouvé de l’eau propre à la consommation, assez claire et limpide. Il a bu, les bêtes se sont abreuvées et il s’est couché sous un arbre en disant Liô (en nuni : là où il fait frais, la fraîcheur, là où il est humide). Il s’est familiarisé avec cet endroit et a fini par amener toute sa famille pour s’installer à quelques mètres de là », relate Sa majesté Dan Zué, fils du chef de terre. A l’aide de connaissances, il est parvenu à faire un devis de 15 millions de francs CFA pour redonner vie à ce marigot et entend sonner d’abord la mobilisation des fils et filles de la zone avant d’espérer un quelconque soutien d’un bon samaritain.

 

A.D.   

   

Encadré 5 :

 

«Qu’ils se mettent à l’idée qu’ils seront appelés à quitter»

Hakim Napon, premier adjoint au maire de la commune de Léo

Premier adjoint au maire de la commune de Léo, Hakim Napon  a lancé un cri du cœur pour la réhabilitation du barrage tarissant.

 

Avez-vous déjà évoqué le cas du barrage en conseil municipal ?

 

Nous en avons parlé et avant notre conseil, il y a un projet, le MCA (ndlr : Millenium Challenge Account), pour ne pas le nommer, qui a construit notre bâtiment à la mairie tout récemment, qui voulait nous aider à le réhabiliter mais il y a eu beaucoup de bruit autour de cette affaire. Ceux qui occupent les berges devaient partir avant que les travaux de réaménagement ne commencent. Mais ne supportant pas les bisbilles qu’il y a eu en son temps, la structure s’est retirée. Quand notre conseil municipal est arrivé en 2016, nous en avons parlé parce que la commune ne dispose pas d’assez de barrages, ce qui veut dire que nous devons tout faire pour préserver ce qui existe afin que nos populations puissent toujours en bénéficier pour leurs activités.

 

Vous en avez parlé, c’est vrai, mais qu’est-ce qui a été décidé concrètement. Avez-vous formulé des propositions de réaménagement ou soumis votre doléance aux plus hautes autorités ?

 

Dans notre PCD (ndlr : Plan communal de développement), l’entretien de ce barrage qui fait partie de notre patrimoine y figure. Nous voulons de ce fait ‘’bousculer’’ un peu nos partenaires afin qu’ils nous aident à conserver cet ouvrage qui aurait vu le jour en 1957 selon certaines sources (ndlr : 1962 pour d’autres).

 

Combien pourrait coûter une telle entreprise ?

 

Malheureusement, nous n’avons pas pu évaluer un montant jusque-là. Nous n’avons pas non plus eu de techniciens pour le faire si bien que je ne peux pas me hasarder à donner un chiffre.  

 

En attendant cette retenue d’eau s’assèche d’année en année, il n’y a pas d’action dans l’immédiat, quel appel avez-vous donc à l’endroit de vos concitoyens ?

 

Il faut que nos administrés veillent à la propreté de l’environnement. On ne doit pas y jeter des sachets plastiques, des ordures d’une manière générale. La difficulté, c’est qu’il y a des gens qui ont construit dans le lit du barrage et il va falloir à un moment donné les déguerpir. C’est un bien commun. Il faut que nos populations nous aident aussi dans ce sens d’autant plus que c’est un barrage qui abrite des caïmans sacrés et elles savent ce que cela revêt pour la communauté. Si le manque d’eau doit se poursuivre, la vie de ces espèces sera menacée. Nos concitoyens doivent être compréhensifs si toutefois un de nos partenaires parce qu’il aurait entendu notre cri du cœur venait à nous appuyer. Je souhaiterais vraiment que ceux qui sont sur les berges se mettent à l’idée qu’ils seront appelés à quitter tôt ou tard si nous voulons que ce barrage redevienne comme avant.

 

Mais ceux qui y font du jardinage vous diront que c’est de ce barrage qu’ils tirent leur pitance quotidienne…

 

Tout à fait, mais ce sont des activités qui peuvent porter ou portent déjà préjudices au barrage. Il y a ce qu’on appelle bande de servitude dans toute infrastructure de ce genre, c’est-à-dire un périmètre dans lequel personne ne doit cultiver ou mener une activité quelconque susceptible de polluer l’eau (ndlr : un rayon de 100 m en moyenne). Si cette retenue venait à être réhabilitée, je crois que ce serait l’occasion pour que ce périmètre soit clairement délimité avec des bornes et au-delà, les gens pourront mener tranquillement leurs affaires. Sinon ce serait toujours l’ensablement ; il y a d’autres qui creusent aux abords pour la confection de briques, ils enlèvent l’eau pour des chantiers de construction, etc…

 

Vous dites qu’il n’y a pas beaucoup de retenues d’eau, est-ce que les populations environnantes ont vraiment le choix ?

 

Si on doit prélever l’eau pour des chantiers de construction, je crois qu’il n’y a pas de problème. Mais venir creuser pour confectionner des briques, c’est autre chose.

 

Qu’en est-il du déversoir qui est également dans un état de délabré ?

 

Dans l’immédiat, si ce n’est pas un partenaire qui peut nous venir en soutien ça sera difficile. Dans nos communes, si quelque chose n’a pas été budgétisé, on peut se rendre compte de la réalité du problème mais ne pas pouvoir apporter une solution malheureusement. Mais nous avons remarqué ces temps-ci que des jeunes curent les caniveaux, ils utilisent le sable obtenu pour combler les nids de poules qui se trouvent dans l’allée, c’est une bonne chose, c’est ce que nous pouvons et devons même faire en attendant que d’autres personnes nous viennent au secours. Nous ne pouvons que sensibiliser les gens à continuer avec ces genres d’initiatives.

    

  Propos recueillis par A.D. 

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