28e FESPACO : Réponse au mélodrame du maître du palais de Carthage
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Rideaux sur la 28e édition de la biennale du plus grand festival du cinéma africain, le FESPACO. Si le président de la Transition du Mali, Assimi Koïta, n’a pu effectuer le déplacement à Ouagadougou pour présider ce 4 mars la cérémonie de clôture du festival aux côtés de son homologue burkinabè, Ibrahim Traoré, la leçon sur le panafricanisme qu’aurait pu donner ces prosélytes du sankarisme, est venue de là où on l’attendait le moins : le premier prix du festival, l’Etalon d’or Yennega.
C’est connu, l’Etalon d’or Yennega, la plus grande distinction pour les œuvres en compétition a été décernée par le jury officiel au film Ashkal du Tunisien Youssef Chebbi.
Pour un coup d’essai de réalisation d’un long métrage en solo, Youssef Chebbi a réussi un coup de maître. En effet, l’Etalon d’or Yennega est la 2e distinction de prestige que remporte son film Ashkal, sorti en 2022, après l’Antigone d’or au festival du cinéma méditerranéen de Montpelier de l’année dernière. L’œuvre y avait également remporté le prix de la meilleure musique et celui de la critique. Au Fespaco, outre l’Etalon de Yennenga (20 millions de FCFA), elle remporte aussi le prix du meilleur son (1 million de FCFA).
Cette conjonction de distinctions indique que ce film est de haute facture avec des qualités techniques au service d’un message de fond de grande portée en Afrique : l’aspiration au progrès socio-économique et politique d’un continent où les Etats sont en proie à des crises multiformes et où les changements politiques riment paradoxalement avec immobilisme ou régression dans une dialectique de « tout changer afin que rien ne change ou de rien changer pour que tout change » en moins bien.
C’est dans ce brouillard politique, symptomatique du rêve brisé des Tunisiens en la Révolution de jasmin dont les faméliques fruits sont loin d’avoir tenus la promesse des fleurs de la chute de Ben Ali que s’inscrit la trame de cette fiction, Ashkal ou l’enquête de Tunis qui voyage bien, des plages de la Méditerranée au sud du Sahara. Y a-t-il une meilleure preuve que la Tunisie, historiquement au carrefour des civilisations soudano-sahélienne, gréco-romaine et arabo-musulmane, ne peut se construire sur des bases solides et saines en écorchant par le vif, ou immolant par le feu, une partie d’elle-même.
C’est pourtant dans cette boue négationniste aux relents d’une xénophobie tournée vers les populations subsahariennes, pour ne pas dire contre les Noirs, qu’on ne lui soupçonnait pas, que le président Kaïs Saïed patauge depuis 2 bons mois. Cet apôtre d’une Tunisie blanche aurait dû interdire à Youssef Chebbi et autres cinéastes tunisiens de participer au 28e Fespaco pour rester dans sa logique de borgne limité à ses œillères arabo-musulmanes. Heureusement que Youssouf Chebbi est venu à Ouagadougou au cœur du Sahel, lui comme Dora Bouchoucha, présidente du jury fiction long métrage, Lotfi Achour, poulain d’or du film documentaire, Erige Sehiri, prix de la meilleure interprétation féminine et les autres cinéastes, acteurs et critiques de Tunisie et d’autres pays du Maghreb, pour ne pas dire d’Afrique du Nord, renvoyant vertement le président Kaïs Saïed à ses livres d’histoire , de géographie et de linguistique. Qu’il y lise que la ville de Carthage, les territoires actuels de la Tunisie, ont d’abord été berbère, soudanais et ses habitants adoraient la déesse Ifri, d’où est venu le terme Afrique, avant d’être romaine et longtemps plus tard, arabo-musulmans.
Outre cette leçon d’histoire et de géographie, la consécration de Youssouf Chebbi à ce Fespaco porte brillamment celle du panafricanisme et de la démocratie par le fond de son film et par sa nationalité. Un enseignement qui dit à Kaïs Saïed et aux sicaires de sa politique despotique et raciste que l’avenir n’est pas dans le repli identitaire, porté par un souverainisme sectaire mais bien dans l’ouverture des peuples, les uns vers les autres, les échanges, le brassage, la coopération, l’intégration économique, culturelle et civilisationnelle pour construire un village planétaire tolérant. Oui, il y a des grands rêveurs ici et ailleurs qui croient encore en cet idéal. Le thème de ce 28e Fespaco, « Cinémas d’Afrique et culture de la paix » en est une illustration parmi d’autres.
Youssef Chebbi et son film lauréat sont donc désormais, aujourd’hui plus qu’hier, en Tunisie plus qu’ailleurs, messagers de paix, avocats de ses subsahariens et des autres victimes de la xénophobie inspirée des dérives abjectes de la politique de Kaïs Saïed. Que le président Bourguiba, père de l’indépendance tunisienne, cofondateur de l’Organisation de l’Unité africaine, ancêtre de l’Union africaine, doit se retourner dans sa tombe de voir ses héritiers tombés si bas dans le despotisme non éclairé !
Aux cinéphiles, aux festivaliers de tous horizons, particulièrement les Burkinabè en colère contre la décision du jury officiel de décerner la distinction suprême de ce 28e Fespaco à Youssef Chebbi d’avaler leur amertume. Il ne faut pas confondre Kaïs Saïed et ses partisans à l’ensemble des Tunisiens. Les membres du jury en grands professionnels ne sont pas tombés dans ce piège. Et si leur choix de l’Etalon d’or, de Yennenga en plus des qualités professionnelles de l’œuvre, laisse apparaître en filigrane des messages de panafricanisme et de bonne gouvernance démocratique, c’est tout à leur honneur à celui de ce grand festival et de Ouagadougou, capitale du cinéma africain.
Certes, la 3e étoile du Burkina au palmarès officiel de ce biennal du cinéma continental, fortement espérée avec Sira d’Apolline Traoré, n’a pas été obtenue. C’eût été une première pour une réalisatrice burkinabè et aussi d’une cinéaste africaine qui monte sur la plus haute marche du podium Fespaco. Avec son Etalon d’argent, l’amazone du cinéma national n’en est pas loin. Chapeau bas pour sa persévérance. Bravo pour sa perspicacité, voire sa témérité à se saisir d’un sujet d’une brûlante actualité, totalement en phase avec le thème du festival et des préoccupations des populations du Sahel. L’affluence du public à la projection de Sira et les différents prix spéciaux engrangés nous appellent à l’optimiste quant aux talents de cinéaste d’Apolline Traoré et pour la suite de sa carrière. Qu’elle travaille à améliorer ses œuvres, scénarii, images, jeu des acteurs et le graal lui échoira tôt ou tard.
Exit donc toute déception et tout Burkindi mal placé. Courage à tous les cinéastes burkinabè. Un ban aux organisateurs et à tous les festivaliers. On peut légitimement se réjouir que le flambeau de la résilience contre l’insécurité prégnante ait été porté avec une grande dignité. Vive le professionnalisme du jury officiel et que ce grand message sur le panafricanisme et la démocratie portés par l’Etalon d’or voyage jusqu’au Palais de Carthage et au-delà, pour une Afrique solidaire, en progrès et en paix !
La rédaction
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